Une présence dans le trouble

Culte du dimanche 18 avril 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique: Luc 24,35-48

Écoutez ci-dessus ou en cliquant ici (PodCloud) l’enregistrement de la prédication.

Frères et sœurs,

Quand les évangiles racontent les heures, les jours, les semaines qui ont suivi le matin de Pâques, plusieurs thématiques sont dominantes. Dans ce chapitre de l’évangile de Luc, les femmes venues au tombeau y trouvent non pas le cadavre de Jésus, mais des messagers de Dieu. Ceux-ci leur rappellent que ce mystère et ce qui l’a précédé était nécessaire au projet de Dieu. Juste après, ce sont les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs qui ressassent leur déception, leur incompréhension. Ils sont rejoints par le Christ qui leur explique les événements passés à partir des Écritures. Les yeux des deux disciples s’ouvrent alors qu’ils partagent un repas avec Jésus, qu’ils reconnaissent alors. Ces deux hommes retrouvent le groupe des disciples et à nouveau, c’est ce que nous avons lu, Jésus apparaît. Les Onze passent alors par toute une série d’émotions : frayeur, crainte, trouble, doute, incrédulité, étonnement, joie… Jésus les invite à utiliser leurs sens pour progresser dans l’acceptation de la nouvelle de sa Résurrection. Jésus mange devant eux. Et pour la troisième fois ce jour-là, ils entendent que ce qu’il s’est passé était annoncé dans la Bible et que cela était nécessaire. Luc, qui a aussi rédigé le livre des Actes des apôtres, rapportera ensuite comment les disciples seront envoyés à nouveau en mission, cette fois-ci dans le monde entier. Pour l’instant, ils sont témoins de l’accomplissement par Dieu de ses promesses : il a envoyé un Sauveur pour l’humanité, le Christ a bien souffert, et cela a ouvert une vie nouvelle pour chacune, pour chacun.

Je vous le disais, dans les évangiles, les instants qui ont suivi les apparitions ont plusieurs points communs. Parmi ceux-ci, il y a ces témoignages multiples : le Christ est bien vivant. Il y a ces éléments pour démontrer qu’il ne s’agit pas d’hallucinations, mais que Jésus était bien présent, en chair et en os, ces jours-là, avec une insistance sur la vue, le toucher, ce qu’ils ont pu entendre, mais aussi tous ces repas partagés. Il y a la peur, le doute, et nous allons revenir dessus. Et enfin, il y a l’envoi pour répandre une bonne nouvelle merveilleuse dans le monde. Nous avions déjà la plupart ces éléments la semaine dernière quand l’évangéliste Jean racontait la conversion et la confession de foi de Thomas.

Oui, dans ces récits, les personnes qui avaient accompagné Jésus avant la Passion sont troublés, parfois effrayés, ils ne comprennent pas, ils sont étonnés ou sceptiques, ils doutent. Il me semble intéressant d’approfondir un peu cela.

En fait, certaines de ces émotions ne sont que des réactions à des situations improbables. Je suis à peu près certain que la plupart d’entre nous aurions très peur de voir soudainement devant nous quelqu’un que nous avons vu mourir et ensevelir. Nous aurions peur, car cela ouvrirait deux univers de possibilités qui bouleversent des savoirs fondamentaux, essentiels à notre vie dans ce monde. Le premier univers, c’est de considérer que nos perceptions sensorielles ne sont pas fiables : soit Jésus n’était pas vraiment mort à la croix, soit ses apparitions le jour de Pâques relèvent d’une illusion terrifiante car toute distinction entre illusion et réalité aurait disparu. Que nos sens soient tellement dans l’erreur, c’est affolant, c’est terrifiant. Le deuxième univers qui pourrait être bouleversé, c’est celui de la conscience que nous avons tous de la finitude de toute vie humaine. S’il est possible d’être vivant comme Jésus après qu’il ait été mis à mort comme il l’a été, alors tout ce que nous avons appris, de façon plus ou moins consciente, depuis notre petite enfance, tout cela est remis en cause.

Jésus réveillé de la mort, et plus généralement l’idée de la résurrection de la chair, c’est quelque chose qui ne peut pas être accepté sans un temps de crise profonde où nous doutons soit de nos sens, soit de notre raison. Si être chrétien c’est croire au Christ ressuscité, ce qu’affirme Paul, si être chrétien c’est considérer ce mystère comme vérité, alors oui, croire ne peut pas faire l’économie du trouble, de la peur, du doute, au moins dans un premier temps.

Mais de quoi peut-on aussi douter ? Il y a ceux qui se demandent si Dieu existe. Ou si Dieu se rend accessible aux humains. Ou si Dieu veut vraiment du bien à sa création, à ses créatures. Tous ces sujets de trouble, de doute, d’étonnement ne sont pas, comme certains le croient parfois, à l’opposé de la foi. Au contraire même, je crois que ces questionnements témoignent d’une recherche, d’une quête, d’un mouvement. Et dans cette dynamique, Jésus, le Ressuscité, vient à la rencontre du pèlerin ; il va l’accompagner, lui permettre de lire la Bible en y discernant la fidélité de Dieu dans l’accomplissement de ses promesses, il va se nourrir avec lui. Il va se donner comme nourriture à travers la Parole et à travers le pain rompu.

Pour le dire autrement, pouvons-nous croire si nous ne passons pas, de temps en temps, par un temps de crainte par rapport aux conséquences de notre foi ? Pouvons-nous croire si nous pensons tout comprendre de Dieu et des autres ? Pouvons-nous croire si rien ne nous étonne, dans notre monde, dans la Bible, ou dans la prière ?

Oui, c’est parce que nous passons par la peur, l’incompréhension, le doute, que le Ressuscité chemine avec nous, que nous lisons la Bible avec l’aide de l’Esprit, que nous partageons la Cène et de quoi vivre ensemble, et c’est de cela aussi dont nous sommes les témoins.

Nous avons besoin que notre perception du monde, que notre logique, que nos certitudes sur notre identité et notre place dans la société, nous avons besoin que de temps à autre, cela soit questionné, mis en mouvement, troublé.

Autant dire que depuis un peu plus d’un an, nous sommes servis en la matière. Nous reprenons conscience à quel point nos plans et nos projets échappent à notre maîtrise. Nous souffrons aussi, profondément, de ce quotidien dans lequel l’incertitude est devenue omniprésente. Que nos prévisions soient perturbées, nous le savons, cela fait partie de la vie. Mais encore une fois, la durée du bouleversement de nos habitudes, les multiples évolutions de restrictions créent un trouble particulier.

Le choc des disciples à la résurrection pourrait bien nous aider à garder confiance. N’est-ce pas par l’imprévu que Dieu se manifeste dans nos vies ? N’est-ce pas en interrompant nos habitudes que nous lui accordons davantage de place ? Au lieu de percevoir les réajustements multiples de nos projets, entre annulations et reports, au lieu de les percevoir comme des fardeaux, osons les considérer comme des possibilités ouvertes pour nous placer humblement à l’écoute de Dieu. Cela nous est répété dans ces récits d’après-résurrection, quand tous les repères humains sont troublés, Dieu, lui, accomplit ses promesses de bénédiction à notre égard.

Les disciples, bien qu’avertis préalablement, ont été déstabilisés par la traversée de la mort par le Christ. C’est à partir de ce trouble qu’ils ont ré-examiné ce qu’ils savaient, ce qu’ils avaient vu et entendu, c’est à partir de ce choc dans leur perception du monde, de l’humanité et de Dieu qu’ils ont pu recevoir une nouvelle interprétation de leurs existences et de leurs rôles. Toute la Bible est rythmée de ces ruptures dans l’ordre logique des choses, la Parole de Dieu ouvre sans cesse des brèches dans les déterminismes humains. La vie de Jésus, les guérisons qu’il a accompli, les paraboles qu’il a proposé à la réflexion, tout cela participe d’une dynamique d’interruption de nos mécanismes plus ou moins mortifères, pour susciter des élans de vie et d’amour autrement impensables.

Frères et sœurs, gardons-nous de voir ou de rêver la vie, la foi chrétiennes comme un long fleuve tranquille qui s’écoule paresseusement dans une large vallée. Parfois, il s’agit davantage d’un torrent de montagne, au cours irrégulier, impétueux ; ou d’une source étonnamment abondante, rafraîchissante, désaltérante, en plein désert. Oui, notre vie spirituelle traverse, nécessairement, des crises, des doutes, des questionnements imprévus. Encore une fois, c’est dans de telles occasions que nous voyons le Christ venir à notre rencontre, redonner du sens à nos existences, et renouveler son appel à ce que nous devenions ses témoins pour le monde. Soyons rassurés par l’Esprit : nous ne sommes jamais seuls, y compris quand nous pensons nous être perdus. Il est présent, comme un roc, comme un repère dans la tempête. Amen.

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