Une place pour tous

Culte du dimanche 24 avril 2022
Prédication par Michelle Raynaud

Texte biblique : Matthieu 20,1-16

S’il est une parabole de Jésus qui nous choque, c’est celle « des ouvriers de la dernière heure ».
Pour les premiers, c’est une injustice. Cette histoire nous paraît profondément injuste : voilà des hommes qui ont travaillé toute une journée dans les vignes, et ils reçoivent le même salaire que ceux qui n’ont travaillé qu’une heure…
D’un côté douze heures de travail, de l’autre une heure, et au bout le même salaire… C’est aujourd’hui : scandaleux ! Cela ne correspond pas à notre sens de la justice.
Voilà que Jésus dynamite le lieu où se croisent notre travail et nos revenus, le lieu où se justifient bien souvent nos existences : le rapport entre ce que nous faisons et ce que nous gagnons. Voilà une parabole qui semble dire que ce que nous faisons importe peu ; que l’on travaille dur toute la journée ou que l’on ne travaille que la dernière heure, à la fin, tous ont la même chose. Ce n’est pas vraiment juste !

Notre réaction est celle des ouvriers de la première heure, qui vont trouver le maître en fin de journée pour se plaindre de cette injustice : « Ces derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons supporté le poids du jour et de la chaleur ». Cette histoire est dure à avaler… pour ceux qui ont travaillé longtemps. Mais si nous déplaçons notre regard pour le porter vers ces fameux ouvriers de la dernière heure, la perspective change !!!

Pour les derniers, une double grâce. Les hommes de cette parabole sont des ouvriers journaliers, comme il en existe tant dans notre monde, qui louent leurs bras à la journée, au bon vouloir des propriétaires, au gré du travail disponible.
Le matin, ils vont sur la place publique et ils attendent celui qui va les embaucher. Pour certains, la chance sourit dès le début, ils trouvent à travailler pour toute la journée. D’autres attendent en vain, et ne trouvent pas de travail pour la journée, donc pas de salaire, pas de quoi manger et nourrir leur famille.
Dans la parabole, le maître vient à plusieurs reprises sur la place, pour embaucher toujours plus d’ouvriers. A la troisième heure, à la sixième, à la neuvième… et jusqu’à la onzième, c’est à dire la dernière puisque la journée compte douze heures. Jusqu’au dernier moment.
Ces hommes qui sont embauchés à la dernière heure ont attendu toute la journée … ce ne sont pas des fainéants ou des profiteurs, des gens qui abusent du système, des petits malins qui se défilent du travail pour pouvoir gagner sans effort.
Ce sont des malheureux qui, aujourd’hui, ne vont pas trouver de travail, désespérant petit à petit, mais restant là…on ne sait jamais ! C’est un cadeau qui leur est fait, au tout dernier moment… travaillé au moins une heure !!! C’est l’espérance qu’ils n’attendaient plus, ce maître qui revient encore une fois vers eux. C’est une grâce qui leur est donnée.

C’est l’image de notre Dieu, qui inlassablement, vient et revient sur la place chercher ceux qui s’y trouvent encore.
Une deuxième grâce les attend, quand à la fin de la journée le maître leur donne généreusement le salaire de toute la journée, c’est à dire ce dont ils ont besoin pour vivre, eux et leur famille. Le maître ne regarde pas à ce qu’ils ont fait, il regarde à ce dont ils ont besoin.
Vu par ces ouvriers de la dernière heure, le maître fait preuve d’une grande bonté. Il est venu les chercher, les appeler, les mettre au travail. Et il leur donne ce dont ils ont besoin. Ce maître est généreux – Ce maître est profondément juste. C’est une histoire de justice pour ces hommes. Une double grâce : être appelé à se joindre au travail dans la vigne à la dernière heure et recevoir le salaire d’une journée.

Une question de regard…

Revenons aux premiers , à partir d’une prédication du pasteur Christian Baccuetouvriers, à ceux-là qui trouvent la situation injuste. En quoi est-elle injuste pour eux ? La jalousie ?
Ils ont eu la chance d’être appelés dès le début pour travailler, ils n’ont pas connu la longueur de l’attente et le désespoir du temps vide. Ils se sont mis d’accord avec le maître sur le salaire en début de journée, un denier pour douze heures de travail, c’est le salaire normal de l’époque, c’est un contrat juste. A la fin, ils touchent ce qui était promis. Tout est clair. Tout est normal. C’est ce que le maître rappelle à l’un d’eux : « Mon ami, je ne te fais pas de tort ; n’étais-tu pas d’accord avec moi pour un denier ?… »
Cette impression d’injustice vient de leur regard. Ils ont vu que les autres touchaient un denier, alors ils se sont mis en tête qu’ils allaient avoir plus. C’est ce regard sur les autres qui, soudain, les rend jaloux. Ils se croient supérieurs, et le maître les considère comme égaux aux autres. Sentiment insupportable…

Ils me font penser au frère aîné de la parabole du fils prodigue (Luc 15). Il est resté bien sagement chez lui, près de son père, à travailler sans relâche, pendant que le frère cadet partait dépenser la moitié de l’héritage, avant de revenir tout penaud chez lui, et d’être accueilli par un père qui fait la fête. Le même sentiment de jalousie le saisit, la même impression d’injustice.
Mais le père lui dit : « Mon fils, tu es toujours avec moi, et tout ce que je possède est aussi à toi ». Tu n’es pas lésé dans l’amour que je te porte parce que j’aime aussi ton frère. L’amour donné à l’un ne l’est pas au détriment de l’autre.

« Mon ami », le maître appelle l’ouvrier de la première heure : « Mon ami »…C’est une parole forte. Dans ta jalousie, dans ton sentiment d’injustice, tu demeures mon ami. Tu n’as pas encore compris que l’amour ne se donne pas comme un salaire, tu n’as pas encore compris que ce que je donne à ton frère ne t’es pas retiré, mais tu es MON AMI.
Mon ami, « Vois-tu d’un mauvais œil que je sois bon ? » C’est bien une question de regard, qui nous fait voir d’un mauvais œil la bonté de DIEU pour les autres. C’est bien une question de regard qui nous fait prendre pour une mauvaise nouvelle pour nous, la bonne nouvelle pour notre frère.
Dieu est juste, non pas en nous récompensant plus que les autres, mais en donnant à chacun autant d’amour, quel que soit le parcours des uns et des autres.
Pourquoi faut-il que nous ayons cette difficulté à accepter la grâce de Dieu pour les autres ?

Partager la grâce…

Cette parabole est l’histoire d’un DIEU qui ne mesure pas son amour à nos mérites, mais qui accueille chacun dans son Royaume, par sa grâce seule.
Dieu est juste, parce qu’Il n’indexe pas son amour à la pauvreté de nos errances, de nos doutes, de nos hésitations, mais qu’il nous fait place entièrement dans son cœur.
Dieu est juste, parce qu’Il donne son amour sans compter…c’est difficile à admettre !!!

Cela était difficile à admettre pour les bien-pensants du temps de Jésus. Comment admettre que le Christ venait chercher les malades, les exclus, les gens de mauvaise vie, pour leur offrir l’amour de DIEU, au même titre que les pharisiens, les religieux, les pratiquants ?
Cela a était difficile à admettre aux premiers temps du christianisme, quand la première génération chrétienne a dû penser l’Évangile offert avec autant de générosité aux païens, ouvriers de la dernière heure, qu’aux juifs, présents de tout temps dans la vigne du Seigneur.
Cela a toujours été difficile dans la vie d’Église, que d’admettre que le dernier arrivé a autant de place que celui qui est là depuis tout petit ou depuis plusieurs générations.
La foi toute neuve du converti a autant de prix pour lui que la fidélité éprouvée au fil du temps ; pas moins non plus, la même place.
Cela est toujours difficile d’admettre que d’autres que nous aient autant de place que nous dans le cœur de DIEU. Nous sommes tout de suite dans une logique comptable, avec des colonnes : si un reçoit, c’est que cela est pris à un autre. Nous avons tellement de peine à concevoir l’immense générosité de ce Dieu qui dit : « ne m’est-il pas permis de faire de mes biens ce que je veux ? »
La grâce de Dieu n’est pas à notre échelle, elle est infinie. Il y en a pour tous. C’est le cœur de l’Évangile.
Cela est difficile à admettre dans notre monde qui fonctionne sur les mérites, les performances, l’argent ; dans notre monde qui réduit chacun à ce qu’il fait (ou ne fait pas), comme si nous n’étions que des producteurs ou des consommateurs.
Notre monde abandonne tant de gens sur la place, là où plus personne ne vient les chercher.
Notre monde récompense les forts et exclut les faibles, donne toujours plus aux riches et enlève toujours plus aux pauvres. Dans notre monde, une grande partie de la population n’a même pas le minimum nécessaire pour manger… La logique de Dieu n’est pas celle de ce monde. Dieu ne nous donne pas plus ou moins selon son parcours, notre appartenance, notre morale, notre généalogie, selon le temps que nous avons passé en sa compagnie, selon les œuvres que nous avons faites pour lui. Dieu vient inlassablement nous chercher pour nous appeler à travailler dans sa vigne, pour nous mettre en route derrière lui, et quelle que soit l’heure de notre réponse, Il nous fait place entière dans son amour.

Cela est-il du rêve, ou une vraie interpellation pour notre vie sur cette terre ? C’est une bonne nouvelle pour nous si nous y comprenons sa justice, sa grâce, son amour infini.
Cela peut-être bonne nouvelle pour le monde si cela nous pousse à regarder différemment les autres, éclairés par l’espérance du Royaume – Un monde où nous pouvons déjà, poser des signes du Royaume en osant le partage – En allant chercher sur les places ceux qui attendent, ceux que personne n’a encore appelé, ceux qui espèrent encore et ceux qui n’espèrent plus, les inviter à se joindre aux autres, quels que soient leur âge leurs fragilités, leurs limites, comme le Christ allait chercher les malades, les rejetés, les exclus de son temps.
Et en leur offrant place parmi nous, avec nous, pour qu’ils reçoivent le nécessaire pour vivre, pour manger, s’habiller, recevoir l’éducation, voyager, partager, comme le Christ donnait à chacun du pain, des poissons, la liberté, l’amour de Dieu.
Il y a de la place pour tous dans le cœur de Dieu. Et si, nous faisions place pour tous sur cette terre ? Amen.

(Extrait d’une prédication du pasteur Christian Baccuet)

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