Une foi secrète ?

Culte du dimanche 21 juin 2020
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : Matthieu 10,5a et 26-33

« La foi est une affaire privée, intime, secrète, elle ne regarde que soi. » Autant de déclinaisons d’une idée qui semble bien conforme à la laïcité de notre pays. Pour les protestants, qui gardent la mémoire de leur combat pour la liberté de conscience, une telle affirmation exprime bien la volonté de distinguer de façon très étanche différentes sphères : les autorités de ce monde n’ont pas à se mêler de la vie religieuse ou spirituelle des citoyens. La laïcité telle que la loi de 1905 l’a mise en place est en effet bien une affaire de séparation et d’égalité de traitement. Néanmoins, depuis quelques années, certains font croire que la laïcité à la française organise le retrait du religieux de l’espace public. La société est de moins en moins chrétienne, de plus en plus séculière, et il faudrait que la spiritualité reconnue comme telle se cantonne à des lieux bien identifiés, à la limite à l’espace domestique et familial, et surtout, qu’elle n’en sorte pas. Mais non seulement cette idée ne correspond pas à l’esprit des lois de la République, elle entre aussi en tension, en contradiction même, avec des paroles de Jésus que l’on peut lire dans la Bonne Nouvelle.

« Tels sont les Douze que Jésus envoya, après leur avoir donné les injonctions suivantes : […] Ne les craignez donc pas, car il n’y a rien de voilé qui ne doive être révélé, rien de caché qui ne doive être connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; ce qui vous est chuchoté à l’oreille, proclamez-le sur les toits en terrasse. » Voilà la mission de ceux que Jésus envoie, voici la mission de ceux qui confessent le Christ comme Seigneur, voici la mission de tous les croyants.

Oui, voici ma mission, voici la tienne, frère ou sœur qui écoutes. Elle n’est pas réservée à une élite de chrétiens. Il ne s’agit pas non plus d’aller annoncer la Bonne Nouvelle en terrain ami, facile, mais partout, y compris là où cette parole sera mal accueillie. D’ailleurs, dans les versets précédents, Jésus prévient ses disciples. Être chrétien, c’est être différent, et ce sont nos proches qui peuvent avoir le plus de difficultés à accepter cette différence qui est la nôtre. Oui, être chrétien, c’est vivre d’une Bonne Nouvelle mais c’est aussi être soumis à une certaine incompréhension. Comme souvent l’incompréhension mène à l’hostilité, l’affirmation de notre foi est une prise de risques. En d’autres temps ici, aujourd’hui encore dans d’autres pays, confesser le Christ expose à des persécutions.

Ce n’est cependant pas notre quotidien. Et l’absence de persécutions n’annule pas la mission que le Christ nous a confié ! Les tensions que notre foi peut générer avec nos amis ou même nos familles, ces tensions sont toujours possibles. Nous pouvons les appréhender. N’en faisons pas des prétextes pour garder secrète notre foi : nous ignorerions alors ce que dit Jésus à trois reprises en cinq versets : « ne craignez pas, n’ayez pas peur ». Nous pouvons être impressionnés et redouter les réactions, mais la Parole de Dieu nous rassure : la Bonne Nouvelle sera partagée. Si les dangers et même les coups nous donnent l’impression d’être seuls, isolés, abandonnés, le Seigneur souligne que nous avons bien plus de valeur aux yeux de Dieu que des moineaux, dont il n’ignore rien, à qui il attache un prix bien plus important que nous ne leur accordons sur nos marchés. Ne craignons pas non plus d’être bien insignifiants pour proclamer l’Évangile, la Bible nous rappelle la longue série de porte-paroles qui se croyaient incompétents et qui ont servi le message divin.

« Il n’y a rien de voilé qui ne doive être révélé, rien de caché qui ne doive être connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; ce qui vous est chuchoté à l’oreille, proclamez-le sur les toits en terrasse. » Jésus annonce-t-il donc la fin de toute confidentialité, de tout secret, de toute intimité ? Ces questions sont particulièrement discutées avec les nouvelles possibilités offertes par de nouveaux outils de communication. Certains choisissent de s’exposer sur des écrans de télévision ou acceptent de partager des quantités d’informations personnelles via des réseaux sociaux. Mais au fond, l’être humain se doute qu’il n’est pas souhaitable que tout soit absolument transparent. Tous, nous avons des gestes que nous voudrions voir reconnus, par orgueil parfois, ou parfois parce que nous pensons très sincèrement que ces actes ou ces mots sont bénéfiques à notre prochain et qu’ils témoignent de l’amour que nous avons reçu et que nous tenons à partager. Mais tous aussi, nous avons des gestes ou des paroles dont la révélation nous embarrasserait, justement parce que ces gestes ou ces mots ne font pas transparaître l’amour fraternel, le respect de l’autre, le souci particulier de ceux qui sont plus faibles que nous. Si certaines chosent valent mieux ne pas être révélées, ce doit uniquement être parce qu’elles n’aident pas à construire le Royaume ; mais n’ayons pas honte de nos faiblesses, car des faiblesses, nous en avons tous ; et les accepter constitue la clé d’une interdépendance mutuelle, d’une solidarité en vérité entre nous et devant Dieu.

Dans les deux derniers versets, Jésus semble annoncer un jugement sévère : celui qui renie le Christ serait renié par le Christ devant son Père. Mais c’est sans compter la grâce, dont l’un des Douze est un exemple très significatif. Pierre n’a-t-il pas renié le Christ, trois fois, avant Pâques ? Et pourtant, après la Résurrection, dans l’évangile de Jean, Jésus donne trois occasions à Pierre d’affirmer son amour du Seigneur. Pierre a renié trois fois le Christ, et le Christ ne l’a pas renié. Pierre a renié le Christ, mais cela ne l’a pas empêché d’annoncer la Bonne Nouvelle à de nombreux hommes et de nombreuses femmes. L’exemple de Pierre nous invite à relativiser la sanction annoncée par Jésus, il nous invite aussi à oser et à persévérer dans la mission.

Frères et sœurs, votre foi est-elle susceptible de faire du bien à d’autres que vous ? Ou est-elle quelque chose de honteux ? Votre foi, vous le savez, c’est un cadeau, une joie, et qui ne peut pas vous être enlevé. Alors frères et sœurs, cette foi, vous la cachez peut-être. Mais vous la cachez vainement, parce que j’ai la conviction que c’est bien de tels trésors qui doivent être révélés autour de nous. Vous ne pouvez pas savoir comment votre témoignage – qui, encore une fois, n’est pas un acte de prosélytisme – comment votre témoignage va être accueilli, reçu ; cela, cela appartient à Dieu. Jésus nous parle dans le secret de nos cœurs ? C’est vrai. Mais il nous dit aussi qu’il nous envoie, pour parler ouvertement de notre espérance, pour proclamer l’amour de Dieu au monde. Alors ne craignons pas, n’ayons pas peur. Amen.

Note : Je dédie cette prédication à ma collègue pasteure Claire Chaumet, avec qui j'ai suivi plusieurs cours à l'Institut protestant de théologie - faculté de Paris, et réfléchi aux questions de laïcité et de diversité dans les églises dans la France du début du vingt-et-unième siècle. Claire s'est éteinte ce week-end.

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