Un repas simple et pourtant extraordinaire

Culte du dimanche 6 juin 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : Marc 14,12-26




Frères et sœurs,

Dès les premières heures de sa vie, un être vivant a besoin de manger. C’est une question de survie, puis de développement. Dans nos sociétés d’abondance, certains souffrent de la faim. Bien que toujours trop nombreux, ils sont quand même plus rares que ceux qui souffrent d’une alimentation déséquilibrée, de mauvaise qualité. Ce matin, nous faisons probablement partie des privilégiés en la matière. Chaque jour, nous consommons plusieurs repas qui nous fournissent un certain nombre de nutriments nécessaires au fonctionnement de notre corps et de notre esprit.

Mais les êtres humains sont, selon l’expression attribuée à Aristote, des animaux sociaux. Le même plateau-repas peut être consommé seul chez soi ou dans une chambre d’EHPAD ou d’hôpital, comme il peut être dégusté à une table à laquelle de nombreuses autres personnes sont attablées. Ce sont dans les deux cas les mêmes aliments. Pourtant, pour la très grande majorité d’entre nous, ce n’est pas le même repas. Peut-être même que nous laisserions davantage dans notre assiette quand nous mangeons seuls, alors que nous rendrions l’assiette vide sans nous en rendre compte lors d’un repas pris dans une collectivité, comme si les aliments étaient meilleurs, avaient une saveur plus agréable, dans le second cas de figure. Plus exactement, c’est notre appétit qui est différent. En effet, le repas n’est pas qu’une question d’alimentation, mais aussi de relations.

Que dire alors des repas de fêtes, ces occasions particulières pour lesquelles non seulement les plats mais aussi la compagnie est plus soignée qu’au quotidien, ces repas de Noël, de Pâques, de Nouvel An, d’anniversaire ? Lors de tels repas, trois éléments s’additionnent. Tout d’abord, la bonne chère, avec des ingrédients festifs et une certaine sophistication dans la préparation. Deuxième élément, le temps de qualité passé avec des êtres chers. Et troisième élément d’un repas de fête, sa dimension symbolique. Il peut s’agir d’un événement concernant une personne, qui célèbre une année de plus, ou d’un rendez-vous d’un groupe ou d’un peuple qui vit alors un moment de communion, un moment important pour son existence, entre passé, présent et avenir.

Pour les Juifs, la Pâque commémore la sortie d’Égypte, la libération de l’esclavage, la concrétisation de l’alliance avec Dieu. Or cet événement a été fondateur, car avant, les patriarches n’étaient que des chefs de tribus. Avec la sortie d’Égypte, la traversée de la mer, et le don des Dix commandements, c’est un peuple, le peuple hébreu, qui est constitué. La Pâque juive est donc une fête très importante.

C’était le cas pour Jésus et ses amis. Alors qu’il était menacé, alors que la Passion approchait, Jésus a tenu à partager le repas de Pâque avec ses disciples. On peut supposer qu’il n’était pas facile de trouver une salle pour une douzaine de convives dans une ville où convergeaient des milliers de pèlerins. Pourtant, une salle était disponible, les préparatifs ont été effectués, et l’évangéliste Marc n’estime pas nécessaire de donner davantage de détails, quitte à laisser planer un semblant de mystère sur cette séquence. Quoi qu’il en soit, la Pâque juive pouvait donc être célébrée. Traditionnellement, cette fête est célébrée dans le cadre familial. Elle est centrée autour d’un repas, avec le chef de famille qui dit des prières de reconnaissance, avec des aliments spécifiques évoquant l’Exode (le pain sans levain, l’agneau, des herbes amères, etc.), avec l’écoute du récit de l’Exode, avec le chant de psaumes…

Dans les évangiles, comme celui de Marc, Jésus annonce plusieurs fois sa mort et sa résurrection. Mais il attend ce repas de fête pour annoncer que c’est l’un de ses proches qui le trahira. Quel coup de théâtre ! Surtout, l’atmosphère autour de la table a été profondément troublée ; familièrement, on dirait que Jésus « casse l’ambiance » avec un tel propos. Il faut souligner qu’il ne désigne pas Judas et aucun des Onze n’a de soupçons. Au contraire, chacun craint d’être le traître, par accident ou par faiblesse… C’est quelque chose de remarquable : ils ne s’accusent pas les uns les autres, mais ils s’examinent individuellement… N’oublions pas cette attitude : l’annonce d’une nouvelle bouleversante, qui remet en cause ce qui nous est cher, ne signifie pas nécessairement qu’un autre est coupable du malheur à venir. Peut-être avons-nous une part de responsabilité en la matière. Restons conscients de nos faiblesses.

Alors que tous savent que l’un d’entre eux sera un traître, responsable en partie des épreuves qui attendent Jésus, Jésus partage un repas avec eux tous, y compris donc avec le traître, qui, jusqu’alors, était un disciple ordinaire. Le pain et le vin évoquaient la sortie d’Égypte et l’alliance avec Moïse. Jésus donne deux nouvelles symboliques à la Cène, à l’eucharistie : c’est une préfiguration du futur proche, de ce que son corps va subir, du sang qui va couler ; mais c’est aussi un geste d’attente d’un temps autre, du temps du règne de Dieu.

Ce repas partagé est simple dans sa forme : du pain, du vin, des paroles de reconnaissance. Ce repas partagé est pourtant extraordinaire dans ce qu’il montre. Car les convives sont à la fois des serviteurs volontaires, parfois enthousiastes, mais aussi des personnes fragiles, susceptibles de renier ou de trahir leur maître ; le repas est partagé en connaissance de cause. Pas besoin d’être parfaits pour y prendre part. Ce repas est aussi extraordinaire car c’est un lieu de communion. Il nous rappelle que nous sommes tous unis par le Christ, que nous formons une famille qui vit des temps forts ensemble, malgré les faiblesses passagères des uns et des autres. Ce repas est encore extraordinaire parce qu’une nouvelle fois dans l’histoire qui relie Dieu et l’humanité, c’est le Seigneur qui nourrit la communauté, l’Église, par son fils Jésus-Christ.

Lors d’un tel repas, simple et extraordinaire, nous faisons souvenir de l’action de Dieu pour nos mères et nos pères. Nous prenons aussi conscience que Dieu se manifeste dans nos vies, ici et aujourd’hui. Enfin, c’est l’espérance d’un monde autre, de relations autres, avec Dieu mais aussi avec nos sœurs et nos frères.

Réjouissons-nous donc que cette vérité merveilleuse et extraordinaire nous soit accessible par quelques éléments aussi simples que du pain, du vin et quelques mots. Dans quelques instants, nous partagerons ce repas qui nous est donné, qui nous fait vivre. Et plus tard dans la matinée, alors que nous échangerons sur la mission de l’Église, gardons en mémoire ce dont nous faisons l’expérience lorsque nous sommes rassemblés pour la Cène. Le Christ rassemble l’humanité autour d’une table de fête. C’est simple, merveilleux, extraordinaire. L’Évangile n’a pas besoin que nous le rendions plus compliqué. Que l’Esprit nous donne la sagesse de vivre simplement de la vie offerte par le Christ, qu’il nous aide à faire de l’Église le règne de son amour dès à présent. Amen.

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