« Tu m’as formé un corps. »

Culte du dimanche 19 décembre 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Textes bibliques: Luc 1,39-45 et Hébreux 10,5-10




Chers amis,

L’église réformée, toujours à réformer. C’est l’une des grandes idées de la Réformation, un des « piliers » du protestantisme. Oui, l’église en tant que réalité humaine est vivante, et comme tout ce qui vit, elle doit s’adapter en permanence à son environnement. Mais les institutions, les organisations, ont une certaine capacité d’inertie, il est naturel qu’elles perdent de leur capacité de réactivité. En plus, dans ces institutions, il y a des hommes et des femmes, qui ont besoin de repères, dans un monde qui évolue considérablement et très rapidement. Or les êtres vivants qui doivent être en permanence dans le changement développent une certaine fatigue, un stress, et finalement l’adaptation en continu a pour conséquence une plus grande fragilisation de celles et ceux qui y sont soumis. En fait, que l’Église soit un lieu où des habitudes peuvent se prendre est quelque chose qui nous convient. Oui, il est bon que nous disposions de certains repères, d’un certain confort, dans nos activités spirituelles.

Ce besoin d’une certaine routine est sûrement l’une des explications – il y en a d’autres ! -, l’une des explications pour lesquels il nous est difficile de bouleverser nos cultes. Or nos cultes ont des défauts. Peut-être aux yeux de Dieu, mais nous l’avons rappelé au début du culte, Dieu nous accepte et nous accueille tels que nous sommes ; Dieu connaît nos cœurs. Mais nos cultes ont des défauts pour nous qui y participons. Êtes-vous conscients que notre façon de faire mobilise de façon très privilégiée notre intellect ? Nous apprécions cela, peut-être manquons-nous parfois dans notre quotidien de temps construits et structurés, avec des argumentations qui ont de l’espace pour se déployer, avec cette invitation laissée à chacune et à chacun de poursuivre le chemin esquissé par le prédicateur, ou d’en emprunter d’autres… Non, à notre époque, ce n’est pas un luxe, ce culte plutôt cohérent et qui fait appel, avec confiance, à notre intelligence et à notre raison.

Mais vous le savez aussi, nous ne sommes pas que des cerveaux ! Nous avons aussi des cœurs, des émotions donc, dont nous nous méfions parfois. Il est vrai que la Bible nous invite à surmonter la peur, à maîtriser la colère, à fuir l’indifférence… Mais ces émotions sont là et elles font partie de notre humanité, et même Jésus, pendant son ministère, a manifesté de l’irritation, de l’appréhension, de la tristesse. Pour certains théologiens de communautés opprimées, la colère peut même être le germe d’un discours sur Dieu, d’un dialogue avec Dieu.

Nous ne sommes pas que des cerveaux, nous sommes aussi des cœurs… et nous sommes aussi des corps ! Des corps qui ressentent la rigidité des bancs de ce temple, des corps qui ressentent la fraîcheur des murs du temple, des corps qui sont encombrés d’accessoires pour limiter les maladies, ou mieux voir, mieux entendre…

Donc, nous ne laissons ni nos émotions ni nos sensations au seuil du temple. C’est un peu la même chose pour notre foi : nous ne la laissons pas à la maison quand nous allons dans l’espace public, n’en déplaise aux tenants d’une laïcité déshumanisante. C’est aussi comme cette réalité que reconnaissent à nouveau les soignants : la maladie physique n’est pas sans influence sur notre psychisme et inversement.

En fait, nous avons du mal à unifier ce qui a été longtemps distingué artificiellement : corps, âme et esprit. Un pasteur (Robert Philipoussi) rappelait dans Réforme cette semaine, que « quand le Nouveau Testament parle de corps, celui-ci est envisagé comme un concept global, désignant quelqu’un dans son intégralité et pas simplement un véhicule périssable. […] Quand, lors de la sainte cène, nous invoquons le corps du Christ, nous parlons de lui et non pas d’une enveloppe, et quand Jésus dit ‘ceci est mon corps’, il dit ‘c’est moi’, il dit ‘je suis là’. »

Nos cultes dans leurs formes classiques, qui nous sont si familières et rassurantes, nos cultes privilégient beaucoup nos capacités cognitives. Nos corps sont peu pris en compte ; certes, nous nous levons ou nous nous asseyons, nous chantons ou nous nous taisons pour écouter, parfois il y a la cène… mais c’est à peu près tout. Cela fait un moment que je me dis qu’il pourrait être pertinent de proposer des prières gestuées, notamment lors des cultes célébrés à la Maison de retraite : le corps serait alors mobilisé au-delà des oreilles et de la bouche… Mais je suis moi-même très réformé et je repousse régulièrement l’expérimentation de ce projet… Et c’est dommage, tant pour nos aînés qui assistent à ces cultes que pour nous tous ! Car finalement, c’est comme si nous venions au culte diminués d’un certain nombre de capacités que Dieu nous a donné, comme si nous prétendions que la volonté de Dieu ne s’accomplit que dans nos esprits, dans nos têtes…

Quand l’évangéliste Luc raconte la rencontre entre Élisabeth et Marie, ce qui se joue de décisif est de deux ordres : il y a l’expérience physique qu’éprouve Élisabeth, la mère de Jean le Baptiste ; et il y a, simultanément, l’expérience spirituelle qui lui permet d’interpréter ce qu’elle a ressenti au plus vivant de son être comme un message divin. Et Élisabeth se réjouit de la foi de Marie qui a accepté de mettre au monde le Messie tant attendu. Les femmes enceintes traversent une expérience qui reste hors de portée pour les autres, et notamment de tout le genre masculin. Cette vie en soi, en plus de la sienne, je n’en doute pas, influence le chemin spirituel de celle qui la porte. En revanche, il y a une expérience physique qui nous rassemble tous, êtres vivants, ce sont les souffrances sous toutes les formes qui nous affectent. Oui, nous souffrons tous, à des degrés divers, notamment mais pas seulement dans notre chair. Il y a les accidents de la vie, les maladies, l’âge… Là aussi, la souffrance peut bouleverser notre vie spirituelle. Certains vont se révolter contre Dieu qui semble indifférent aux épreuves qu’ils affrontent. D’autres prieront avec ferveur que Dieu les soulage.

« Tu n’as voulu ni sacrifice, ni offrande, mais tu m’as formé un corps. » L’auteur de l’épître aux Hébreux imagine que le Christ s’est adressé à son Père « au moment où il allait entrer dans le monde ». Il reprend alors une phrase du Psaume 40, un constat que beaucoup de prophètes ont eux aussi dressé : la distance entre l’être humain et Dieu ne peut pas être comblée par des sacrifices que l’être humain offrirait. Non, même si la Loi de Moïse prévoyait de telles pratiques religieuses, elles ne suffisent pas, car trop souvent, toujours même, l’être humain ne persévère pas dans sa repentance. Il retombe dans ses comportements, l’être humain échoue à respecter le double commandement d’amour, l’être humain est incapable de demeurer dans l’élan du pardon de son péché. La volonté de Dieu reste inaccessible aux hommes et aux femmes ordinaires. Le problème ne réside ni dans les sacrifices, ni dans nos cultes. Mais le Christ vient dans le monde, et il dit à Dieu : « Je viens moi-même à toi mon Dieu, pour faire ta volonté », il répète même : « Je viens moi-même pour faire ta volonté. » Oui, le Christ vient accomplir à la fois ce qu’il est impossible aux humains de faire, et ce que Dieu a promis. Et cela change tout, l’auteur de l’épître aux Hébreux précise : « Il supprime donc ce qui précédait pour établir une réalité nouvelle. »

Une réalité nouvelle. C’est cela, la venue du Christ, que nous célébrerons dans quelques jours. Et cette réalité nouvelle dépend directement de quelques mots placés dans la bouche du Christ : « Tu m’as formé un corps. » Oui, c’est par une vie terrestre, dans un corps humain en tous points semblable aux nôtres, que s’opère la réconciliation complète et définitive avec Dieu. C’est par une vie dans un tel corps que la volonté de Dieu s’accomplit, que nous sommes sauvés. Le Christ « s’est offert lui-même une fois pour toutes, et cela a rétabli notre relation à Dieu. »

Le Père et le Christ étaient pleinement en communion dans ce projet de libération. Nous avons été créés avec un cerveau, des organes, des membres. Notre condition nous en fait éprouver les limites et les souffrances ; mais le Dieu d’amour nous donne aussi le salut à travers un être entier comme nous, corps, âme et esprit. Dès lors, nos perspectives peuvent changer. Oui, la Bonne Nouvelle et l’amour de Dieu sont proches de nous, il faut les attendre ou même les chercher chez notre prochain, celui ou celle qui est à côté de nous. Oui, notre être dans son entièreté, corps compris, malgré ses faiblesses, notre être tout entier est un lieu de bénédiction de la part de Dieu.

Nos regards sur ceux qui nous entourent, et notre compréhension de notre propre corps peuvent être transformés. Il ne s’agit pas de basculer dans un culte du corps qui se confond bien souvent avec une idolâtrie de la jeunesse comme époque de tous les possibles. Mais sûrement pouvons-nous, nous protestants réformés, réinvestir nos enveloppes terrestres et nos sentiments ; sûrement pouvons-nous réhabiliter notre corps, nos émotions et notre raison comme formant un tout, une entité unique, intégrale, au-delà des limites perceptibles par nos sens.

Le Sauveur n’était pas qu’un esprit. A Noël, souvenons-nous que le salut est venu pleinement dans notre humanité. Dieu ne peut pas être davantage présent dans nos réalités, qu’il renouvelle. Alors aimons-le, comme le dit le commandement, « de tout notre cœur, de tout notre être, de toute notre pensée, et de toute notre force. » Amen.

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