Se laisser interpeller par la grâce et servir

Culte du dimanche 27 septembre 2020
dans le cadre de la Journée de l’Ensemble Dauphiné-Vivarais
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Textes bibliques : Ézéchiel 18,25-28 et Matthieu 21,28-32

Frères et sœurs,

Sommes-nous à un tournant dans la crise sanitaire qui occupe nos esprits depuis le début de l’année ? Les médias nous font part de l’incompréhension et même de la résistance suscitées par les nouvelles dispositions prises pour certaines activités dans plusieurs régions. La suite nous dira si cela se traduira par une désobéissance massive. Pendant des mois, la très grande majorité d’entre nous avons accepté de bouleverser nos habitudes, de renoncer – temporairement – à de nombreuses libertés au nom de la protection des plus fragiles et de la préservation des capacités de notre système de soins. Aujourd’hui s’exprime une certaine usure, une exaspération parfois. La défiance envers les élus existe depuis des années. Elle devient critique quand la santé publique est en jeu. Bien sûr, leurs discours ont changé en fonction des circonstances, et certains messages ont alimenté la confusion. Mais n’oublions pas que de tels phénomènes ne sont pas nouveaux et que, devant une menace mal connue, ces communications défaillantes sont inévitables. D’ailleurs, il serait injuste de ne parler que des paroles des décideurs politiques…

Car mes paroles, elles aussi, sont à examiner. Tous les mots qui sortent de ma bouche ont-ils la même valeur ? N’ai-je pas prononcé, dans des circonstances solennelles et en public, des « oui » qui m’engagent sur le long terme ? D’autres « oui » sont lâchés distraitement pour se débarrasser de quelqu’un d’un peu envahissant. Il y a des réponses évasives à des invitations, mais il y a aussi des responsabilités dont on se charge silencieusement ou même inconsciemment.

Oui, la parabole racontée par Jésus s’appuie sur un motif très courant de nos relations entre êtres humains. Dans ce passage de l’évangile de Matthieu, il est question d’un décalage, décalage qui est exprimé remarquablement, sans jugement, par le titre d’un film actuellement projeté dans les cinémas. Ce titre, c’est « Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait. » Je ne sais pas si le film correspond à son titre, à ces quelques mots. « Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait. » Ces quelques mots, nous en savons la justesse. Ces quelques mots résonnent avec notre expérience de ce décalage qui rend de nombreuses relations humaines tellement plus complexes.

A première vue, et ceux à qui Jésus s’adressent s’engouffrent dans cette hypothèse, Jésus semblerait expliquer qu’il vaut mieux faire que dire. Il est utile de se rappeler qu’à quelques jours de la Pâque juive, Jésus vient de bouleverser le Temple de Jérusalem ; il a renversé les étals des marchands et des changeurs. Les grands-prêtres et les anciens sont naturellement choqués. Auparavant, ils avaient déjà été critiqués par cet agitateur, qui avait dénoncé leurs jugements méprisants envers les autres et souligné que s’ils respectaient assez bien la lettre de la loi de Moïse, ils ignoraient complètement son esprit et donc son objectif. Jésus avait mis en garde ceux qui le suivaient : ceux qui se disent bon pratiquants, ceux qui prétendent avoir dit « oui » à Dieu, dans les faits ne mettent pas en œuvre sa volonté. « Vous prétendez bien faire, alors qu’en fait seules vos paroles répondent à l’appel de Dieu, et encore… » Pour ajouter encore au scandale pour ces bons pratiquants auto-proclamés, Jésus prétend que ceux qui semblent très éloignés de la sainteté, de la pureté, du fait de leurs situations de vie, ceux-là même sont les plus efficaces quand il est question d’agir dans le sens voulu par Dieu.

Jésus dénoncerait donc l’incohérence entre les paroles et les actes des élites religieuses, des personnes les plus pieuses de la société. Nous le savons, cette recherche de la cohérence entre nos pensées, nos mots et nos actions constitue en effet une préoccupation de tout croyant. Gardons-nous cependant de croire que Jésus dit qu’il vaut mieux agir que parler. Ce n’est pas si simple. Car une telle affirmation est rapidement détournée en un impératif. On se retrouve à croire ou à dire qu’il y a des bonnes actions à accomplir pour faire plaisir à Dieu, et donc gagner son amour et espérer son pardon. Une théologie des œuvres dans laquelle la grâce serait au mieux seconde. Alors que la grâce de Dieu est première, même s’il faut être un peu attentif pour l’identifier dans ce court extrait de l’évangile.

Juste avant de proposer cette parabole, Jésus avait été pris à partie par les chefs religieux à propos de son autorité. Il avait alors retourné la question, en demandant aux grands prêtres et aux anciens de qui venait le baptême administré par Jean le Baptiste. En concluant la parabole, Jésus explique cette dernière en mentionnant à nouveau le dernier des prophètes. Le message de la parabole ne peut donc pas être séparé de la question du ministère de Jean Baptiste. Jean se distinguait par les baptêmes, mais lui et Jésus lançaient exactement le même appel de Dieu à leurs auditeurs : « changez radicalement », ou « repentez-vous », « convertissez-vous », selon les traductions… Cet appel, transmis par Jean ou par Jésus, n’a pas le même succès selon ceux qui le reçoivent. Les collecteurs d’impôts et les prostituées représentent ici les catégories sociales les plus méprisées de la société. Et ces méprisés entendent le message, reconnaissent sa pertinence, et décident de répondre positivement à l’appel. Les chefs religieux, non seulement restent insensibles à l’appel du Baptiseur puis du Nazaréen, mais choisissent d’ignorer le témoignage de ces méprisables qui s’engagent à changer de vie. C’est cet aveuglement répété qui est le plus dramatique.

En effet, la parabole, encore une fois, ne se résume pas à un appel à la cohérence. Ce que dit Jésus, et en cela il reprend ce qu’ont dit les prophètes, dont Jean, mais aussi Ézéchiel, c’est que ce qui compte, c’est de se laisser profondément, sincèrement, pleinement interpeller par la Parole de Dieu, et qu’au-delà de nos choix passés, nous nous engagions à une conversion effective.

Les quelques phrases lues dans le livre du prophète Ézéchiel présentent certaines des attitudes qui peuvent être les nôtres quand nous recevons une parole de la part de Dieu, une parole qui invite au changement, à la transformation de nos cœurs.

On peut considérer que cette parole n’est pas pertinente ; elle ne nous concerne pas personnellement, elle ne correspond pas à notre situation. Ézéchiel pose alors la question : sommes-nous vraiment à notre place quand nous portons de tels jugements ? Ne nous laissons-nous pas aveugler par un certain orgueil, une certaine suffisance ? Ne devrions-nous pas faire preuve de davantage d’humilité ?

On peut considérer que cette parole nous indique un chemin de justice et d’équité, un chemin qui nous éloigne de transgressions que nous avons pu commettre, on peut considérer que la parole divine nous appelle au service, indépendamment de nos refus ou de nos autres choix passés. Cet appel reçu aujourd’hui, qui aujourd’hui me permet de poser un choix avec l’amour de Dieu et l’amour du prochain en ligne de mire, cet appel reçu et auquel je réponds de tout mon être, devient un élan vivifiant, un antidote aux choix destructeurs ou porteurs de mort que j’ai pu faire autrefois ou même hier.

Frères et sœurs, l’appel que nous recevons est d’abord un message de grâce. La parabole racontée par Jésus met en scène un père et ses deux fils ; il ne s’agit donc pas d’un maître et de ses serviteurs, contraints d’obéir à moins de s’exposer à des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement. Cette relation entre parent et enfants se caractérise en effet par un amour inconditionnel et donc libérateur.

Notre Père nous aime, indépendamment de notre réponse orale, indépendamment de nos actes effectifs. Notre Père nous aime et s’adresse à nous car il a besoin de nous pour prendre soin de la Création. Il nous aime même si nous choisissons de l’ignorer. Il nous aime même si nous répondons « oui » mais n’accompagnons pas ce « oui » d’actes concrets. Il nous aime aussi si nous répondons dans un premier temps que nous ne souhaitons pas participer au service qu’il nous demande. Ce n’est donc pas son amour qui est en jeu, ce n’est pas notre salut qui est en jeu.

Mais ce que Dieu nous demande, c’est de contribuer à l’avancée de son Royaume, ici et maintenant. Ce que Dieu nous demande, dans chaque aujourd’hui qu’il nous accorde, c’est de nous laisser transformer par son Esprit, de laisser sa Parole nous indiquer notre juste place, notre juste rôle, en tant que ses témoins dans le monde. Plus que dire, plus qu’agir, il nous est donné de nous laisser transformer par lui, de nous engager aussi souvent que nécessaire à revenir sur le chemin du service par amour pour lui et pour notre prochain. Le Royaume de Dieu est proche, si proche… Amen.

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