Savoir écouter, savoir parler

Culte du dimanche 22 août 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique: Jacques 1,19-27




Il y a quelques semaines, nous avons eu deux temps d’échanges après les cultes, pour participer à la réflexion de notre Église et de ses synodes des prochaines années. Le thème est celui de la mission de l’Église et des ministères qu’elle reconnaît, organise et articule pour accomplir cette mission. Même si certains des enjeux soulevés correspondent à d’autres réalités paroissiales que la nôtre, nous percevons bien que notre église locale est concernée par les évolutions du contexte dans lequel elle est implantée. Lors des deux réunions que j’évoquais, nous avons estimé qu’il était probablement prioritaire pour notre communauté de « se mettre à l’écoute », tant des paroissiens qui ne viennent pas, que des personnes nouvelles qui pourraient se présenter.

« Se mettre à l’écoute. » Dans la Bible, il est surtout question d’écouter la Parole de Dieu, d’écouter celles et ceux qui proclament cette Parole. Et l’écoute, en hébreu, est une notion qui se confond avec l’obéissance. La confession de foi du peuple hébreu, que l’on trouve notamment en Dt 6,4 commence d’ailleurs par cet impératif : « Écoute, Israël : Le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. » Autrement dit, n’oublie pas que ton Dieu t’a rendu libre, ne te soumets donc pas à d’autres choses, qu’il s’agisse d’une autre divinité, ou de ce que te dicte la mentalité de ton époque. Car les idoles étrangères ne sont pas le seul ou même le plus grand danger ; les richesses, la puissance ou la réussite sont autant de maîtresses prêtes à nous asservir et à nous conduire dans des dynamiques mortifères. Bref, toi qui as été libéré par Dieu, écoute et cherche à obéir à son appel à ne pas retomber dans un esclavage, quel qu’il soit.

« Se mettre à l’écoute. » Dans la Bible, il s’agit aussi d’écouter celui qui a une parole digne d’intérêt. Un prophète, un enseignant comme Jésus l’a été, un apôtre. Oui, la Parole de Dieu est transmise par des êtres humains à d’autres êtres humains, mais bien souvent il est suggéré une différence de statut entre ceux qui parlent et ceux qui écoutent. Dans l’Antiquité, le schéma maître-disciples est le plus répandu.

Aujourd’hui, un tel rapport, inscrit dans la verticalité, un tel rapport enseignant/élèves soulève beaucoup d’objections. Le siècle des Lumières et les Réformateurs ont combattu le monopole que les religieux s’étaient attribués sur le savoir. Avec la démocratie et la massification de l’enseignement, l’égalité des voix et parfois des opinions s’est imposée. Nos sociétés sont d’ailleurs confrontées à une perte de crédibilité de ceux qui, objectivement, disposent des informations les plus pertinentes sur tel ou tel sujet ; de même, il est difficile de se mettre d’accord de façon consensuelle sur les limites nécessaires à la liberté d’expression. Aujourd’hui, nous ne savons plus qui écouter, nous ne savons plus non plus comment faire quand certains propos menacent les uns ou les autres. Aujourd’hui, il nous est difficile de nous taire quand nous le devrions, et aussi d’oser prendre la parole quand nous le devrions.

La semaine dernière, nous avions vu, dans les tous débuts de l’épître de Jacques, comment l’auteur redonnait des repères à celles et ceux qui, confrontés à des épreuves, commençaient à douter de la bonté de Dieu. Dans la suite du chapitre 1, Jacques donne des conseils de sagesse en matière d’écoute et de parole.

Tout commence par un appel pressant à l’écoute. L’écoute ne peut pas faire de mal à l’autre. Mais certaines paroles, et la colère, elles, risquent de faire mal. Elles ne participent pas à la mission de témoigner de la Bonne Nouvelle à nos interlocuteurs. Elles peuvent nuire à l’expression de l’amour fraternel dans le monde. L’auteur de l’épître de Jacques encourage chacun à s’écarter de « ce qui salit » et de « la méchanceté », et à accueillir « avec humilité la parole que Dieu plante dans votre cœur. » Il ajoute : cette parole « a le pouvoir de vous sauver ». En fait, savoir faire silence en soi, savoir se rendre disponible, c’est nécessaire pour percevoir une parole qui peut venir de Dieu. Et c’est quand nous pouvons entendre cette parole que nous pouvons, nous, recevoir ses bienfaits. Réconciliés avec Dieu, nous pouvons nous mettre à nouveau à l’écoute, apaisés, cette fois-ci de nos contemporains. Nos éventuelles réponses à leurs propos seront alors portés par l’Évangile.

Frères et sœurs, je m’arrête un instant. Je ne suis pas certain que l’auteur de la lettre ait consciemment voulu distinguer clairement des étapes dans une discussion, mais je me demande si nos échanges entre nous et avec des non-croyants ne seraient pas bouleversés si nous observions différents temps. Le silence, jusqu’à ce qu’on ait reçu à nouveau la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu, puis l’écoute de l’autre, et enfin, notre parole, nourrie de l’Évangile. Très concrètement, que se passerait-il si nous priions intérieurement alors que notre interlocuteur se confie à nous ? Dieu pourrait placer dans notre cœur la sagesse – rappelez-vous la semaine dernière, Dieu la donne à celui qui demande, généreusement et avec bienveillance – Dieu pourrait placer dans notre cœur la sagesse pour comprendre en vérité ce que l’autre cherche à exprimer ; mais aussi, Dieu pourrait nous adresser une parole à travers les mots de l’autre ! J’ose croire qu’une telle écoute serait d’une qualité incomparable, mais je mesure bien, aussi en moi-même, pour moi-même, à quel point c’est une discipline exigeante…

Revenons aux conseils de Jacques. Dans des phrases qui ont parfois été mal comprises, l’auteur explique qu’une écoute de la Parole de Dieu s’accompagne d’actes cohérents. Jacques admet qu’il est possible d’écouter sans mettre en pratique ; mais il considère cette situation comme un signe d’immaturité et comme un frein à la réussite ou au bonheur. Il ne s’agit pas de faire pour être sauvé, mais bien, comme nombre d’églises chrétiennes le disent aujourd’hui sans ambiguïtés, de faire parce qu’on a été sauvé, libéré des obligations mortifères pour nous engager de façon responsable dans la manifestation de l’amour de Dieu pour nous et notre monde. Jacques est concret et interpelle la personne croyante : on se trompe si on prétend écouter Dieu et que dans le même temps on fait circuler rumeurs, médisances, fake news ; on se trompe si on prétend écouter Dieu et que notre bouche déverse mensonges, paroles blessantes et autres insultes. On ne peut pas prétendre choisir la vie et condamner l’autre. C’est en venant en aide au nécessiteux, c’est en restant libres des tentations du monde que nos actes sont ajustés, que nos actes témoignent de notre écoute réelle de la volonté de Dieu. Encore une fois, restons vigilants : l’amour et le pardon de Dieu pour nous ne dépendent pas de nos actes, mais c’est parce que nous avons été réconciliés avec Dieu en Jésus-Christ que nous partageons les dons que nous avons reçus, que nous faisons rayonner la bénédiction de Dieu sur le monde.

Frères et sœurs, si nous estimons qu’il est prioritaire aujourd’hui pour notre église de « se mettre à l’écoute », nous avons de quoi faire. D’abord prier, avec ferveur, pour vraiment écouter tant le Seigneur que notre prochain. Dans la prière, nous accueillerons comme neuve pour nous aussi la Bonne Nouvelle. En deuxième temps, veiller attentivement à nos paroles : que l’immense majorité d’entre elles disent l’amour de Dieu pour l’humanité et la Création. Enfin, que notre écoute puisse être suivie d’une solidarité concrète. Si nous nous mettons à l’écoute comme Jacques le suggère, alors oui, nous nous engageons ensemble sur un chemin de vie. Amen.

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