Culte du dimanche 4 juillet 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique : Marc 6, 1-6
Frères et sœurs,
« C’était un voisin discret, ordinaire. On ne l’aurait jamais cru capable de cela. » Après un fait divers, les médias pressent de questions les proches des protagonistes. Outre un certain voyeurisme, la curiosité est animée par une volonté de comprendre ce qu’il a pu se passer, et parfois il s’agit aussi de manifester une stupéfaction envers une situation inattendue et souvent traumatisante. Le goût du frisson et une certaine quête d’audience, la recherche d’une explication, l’importance d’extérioriser une vive émotion… autant de motifs qui aboutissent à cette pêche aux témoignages intrusive et désagréable… Les faits divers concernent souvent des inconnus, des anonymes. Mais parfois, ce sont des célébrités qui se retrouvent en très mauvaise posture, des personnes dont une part importante de la vie est mise en scène ou scrutée par des personnes extérieures. Là aussi, des révélations provoquent un choc, et il est difficile pour ses admirateurs d’apprendre que quelqu’un dont l’œuvre les inspire ou les accompagne au sens fort, que ce quelqu’un ait des zones d’ombres qui appartiennent au registre du terrifiant.
Depuis quelques années, en particulier dans le monde anglo-saxon, les dynamiques d’organisation de la société sont remis en cause. En effet, certains constatent que la société demeure inégalitaire et qu’elle perpétue l’exploitation de certains groupes par d’autres. Pour d’autres parties importantes de la population, ces systèmes sont tellement intériorisés qu’ils sont considérés comme naturels ou même inexistants. Outre-Atlantique, certains se disent « woke », c’est-à-dire éveillés ou « conscients des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale ». Dans cette démarche, il est question de dénoncer un certain nombre de phénomènes. Mais la dénonciation prend une dimension très polémique quand elle constitue le point de départ d’une stratégie d’exclusion, qu’il s’agisse d’exclure des individus, des groupes ou des institutions responsables d’actions, comportements ou propos perçus comme problématiques. C’est ce qu’on appelle la « cancel culture », et les tensions sont très vives aux États-Unis. En France, il nous arrive d’être éclaboussés par ces débats. La « cancel culture » nous interpelle, car elle s’apparente à un « tribunal populaire », mêlant médias et réseaux sociaux. Sont rejetés des principes extrêmement importants pour qui cherche normalement la justice, la vraie, celle qui permet la vie en société. Il n’y a pas de présomption d’innocence, il n’y a pas de débat contradictoire dans lequel celui qui est accusé peut se défendre, il n’y a pas de discernement collectif pour déléguer le pouvoir de juger, il n’y a pas non plus de place pour la repentance et le pardon.
Car oui, si au début j’évoquais le mal caché qui est soudain révélé et qui change notre regard sur quelqu’un, l’inverse est aussi possible : un être humain ou un groupe peut s’engager sincèrement et avec efficacité dans un chemin de réparation des torts qu’il a commis. Les jumelages institués après-guerre ont rapproché des peuples qui auparavant s’étaient déchirés ; c’est aussi le cas, notamment, de la construction de ce qui est devenu l’Union européenne.
L’idole d’hier a ses parts d’ombres ; l’ennemi d’avant-hier peut être devenu l’ami d’hier et d’aujourd’hui. Le proche réputé pour son optimisme peut être déprimé pendant un temps. La personne que nous croyons baptisée depuis des années, membre de notre communauté, nous surprend un jour en demandant à recevoir le baptême. Le charpentier membre d’une famille connue de Nazareth peut ne pas être qu’un artisan ordinaire… Oui, nous voilà au cœur de ce court extrait de l’évangile de Marc. Un peu auparavant, après que Jésus ait apaisé la tempête, les disciples s’étaient demandés : « Qui donc est celui-ci, pour que même les vents et les flots lui obéissent ? ». Après une incursion en pays non-juif, après être revenu en Galilée où il a guéri la femme qui avait des pertes de sang depuis douze ans et avoir ramené à la vie la fille du chef de la synagogue Jaïros, Jésus poursuit ses déplacements avec ses disciples. Il revient dans sa « patrie », très probablement à Nazareth. Là, Jésus retrouve des gens qui l’ont connu avant qu’il ne débute son ministère. Ils l’ont fréquenté pendant des années, mais ne sont pas partis, comme lui. L’évangéliste suggère ici que Jésus et ses disciples sont en mouvement, physiquement bien sûr, mais aussi sur un chemin spirituel, alors que ses compatriotes, eux, sont moins mobiles. Ils ont pourtant une question qui les rassemble : qui est vraiment Jésus ?
Ce jour-là, ils ont entendu le charpentier – c’est la seule fois dans les évangiles où il est écrit que Jésus n’était pas seulement le fils plus ou moins adoptif du charpentier Joseph, mais qu’il a exercé lui-même ce métier – ils ont entendu celui qui était charpentier et qui a parlé comme un prophète ou un sage extraordinaire. Ils ont appris que cet homme, qui a une mère, quatre frères et plusieurs sœurs qu’ils connaissent bien, cet enfant du pays, accomplit des guérisons miraculeuses. S’interroger quand on entend des paroles de sagesse exceptionnelles, s’interroger quand on est témoin de miracles, quoi de plus normal ? Mais ce qui pose problème, ce jour-là à Nazareth, c’est que beaucoup n’arrivent pas à accepter l’idée que Jésus soit si différent de ce qu’ils avaient connu de lui. Ce jour-là à Nazareth, Jésus n’était pas celui qu’il aurait dû être, selon ceux qui pensaient le connaître.
Il est vrai que Jésus est toujours un mystère, et ce qui nous surprendra chez lui sera différent selon les moments : sont-ce ses paroles ? Ses gestes miraculeux ? Ou au contraire son humanité, lui qui a exercé une profession identifiée, qui était dans une famille avec des frères et sœurs ?
Jésus sait que nous pouvons être comme les habitants de Nazareth, incrédules, mais que nous pouvons aussi devenir des disciples. Il ne s’impose pas : devant l’hostilité et le blocage spirituel de ses compatriotes, il s’éloigne à peine, pour prêcher et guérir dans les villages alentours ; autrement dit, Jésus reste disponible, proche, et il sera là quand nous serons prêts. Oui, pour croire, il faut être prêt à renoncer à ce que l’on croit connaître. Quand nous parvenons à lâcher prise, à accepter que nos certitudes humaines soient ébranlées, alors nous pouvons croire, alors notre vie peut être transformée.
Si un être humain a été bien davantage qu’un être humain, et c’est ce que nous croyons quand nous appelons Jésus le Christ, alors il est possible que nous n’ayons pas tout vu de celui ou de celle qui est notre prochain, même si nous le connaissons depuis des dizaines d’années. Bien sûr, les changements radicaux de personnalité ou de caractère sont rares, mais ils demeurent possibles. Mais pensons-y. Si nous admettons que notre vie a été transformée et est encore transformée par notre foi, par l’Esprit Saint, nous sommes de fait des témoins de ces conversions possibles. Nous sommes aussi dans l’espérance de ces changements, tant pour les autres que pour nous, encore et encore. Oui c’est possible, car cela l’a déjà été, et cela pourra encore l’être. Grâce à Jésus, je peux changer. Grâce à Jésus, l’autre aussi peut changer. Nos regards mutuels peuvent évoluer ; mieux même, mon regard sur toi, comme ton regard sur moi, peut dire l’amour de Dieu pour chacune et chacun. Mon regard sur toi comme ton regard sur moi peut ouvrir au meilleur de chacune et de chacun.
L’Esprit Saint nous encourage et nous aide à tourner nos regards vers le Christ, et à nourrir nos regards de l’amour du Christ pour nous et pour notre monde. Amen.