Quand notre foi ébranle nos identités

Culte du dimanche 28 juin 2020
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : Matthieu 10,34-42

Frères et sœurs,

« Frères et sœurs », est-ce une ouverture appropriée après ce texte dans lequel Jésus annonce des divisions dans les familles à cause de lui ? Étonnamment d’ailleurs, les relations dans une fratrie ne sont pas données en exemple de ces déchirures, alors que des liens encore plus intimes sont mentionnés, entre parents et enfants en particulier. Mais quelles sont donc ces paroles qui sortent de la bouche de Jésus, alors que pas moins de trois prophètes (Esaïe 9,5, Michée 5,4, Zacharie 9,10) avaient promis que le Sauveur apporterait la paix ? Oui, comment entendre ces phrases des versets 34 à 39 et y trouver un message bienfaisant pour nous aujourd’hui ?

Prenons un peu de recul. Le passage que nous avons lu conclut le message que Jésus adresse aux Douze avant de les envoyer en mission, accomplir des guérisons et annoncer la Bonne Nouvelle. Dans l’ensemble de ce chapitre, Jésus décrit à la fois les bénédictions qui accompagneront les pas, les paroles et les gestes de ses envoyés, mais aussi les épreuves qui seront les leurs : l’indifférence, l’incompréhension, l’hostilité, les persécutions. Quand Matthieu compose l’évangile qui porte son nom, dans le dernier tiers du premier siècle, les chrétiens font d’ailleurs face à toutes ces attitudes, et il n’est alors pas étonnant que l’évangéliste ait veillé à transmettre ces paroles de Jésus. Car ce que Jésus évoque, les chrétiens en font la douloureuse expérience. Dans des sociétés dans lesquelles le religieux structure le rapport au monde, les divergences de foi ont des implications radicales et parfois dramatiques. La foi des chrétiens entre donc souvent en tension avec la foi de ceux qui leur sont proches, notamment du fait de liens familiaux.

Encore un élément de contexte utile quant aux versets 34 à 39 – je garde pour la fin les versets 40 à 42 qui ont une tonalité différente, sur l’accueil mutuel et le souci des plus fragiles. Jésus parle des « gens de la maison ». Dans le bassin méditerranéen du premier siècle, la « maison » regroupe un ensemble plus large que la famille nucléaire qui nous vient spontanément à l’esprit. Il peut y avoir des membres de belles-familles, mais aussi tous les domestiques, serviteurs, esclaves, ainsi que les clients d’une famille, considérés comme faisant partie de la « maison ». Si Jésus annonce bien des déchirements dans nos relations les plus intimes, son propos concerne aussi nos relations moins proches.

Des familles déchirées, donc, à cause du Christ, à cause de l’Évangile, cette bonne nouvelle d’un Dieu qui nous a créés, qui nous connaît, nous aime et nous pardonne. Le cœur de notre texte dresse en fait un constat lucide : se placer à la suite du double commandement d’amour d’aimer Dieu et d’aimer son prochain, se placer à la suite de ce commandement, c’est considérer que l’amour de notre famille terrestre n’est plus le plus grand amour auquel nous sommes appelés. Cet amour demeure, mais au-delà, il y a Dieu et notre prochain, celui que nous pouvons ne pas aimer et qui pourtant nous sauve la vie (souvenons-nous du « Bon Samaritain »). Cette nouvelle hiérarchie dans nos loyautés, cette nouvelle priorité, ne vient pas nécessairement détruire nos relations existantes, mais ces relations peuvent être éprouvées quand nous plaçons le Christ au cœur de nos vies et de nos choix. L’épée, en effet, peut symboliser cette dimension « tranchante » de nos décisions, de nos conversions.

A celles et ceux qui souffrent de leurs familles déchirées, parfois à cause de leur foi, Jésus annonce donc que ce qu’ils vivent n’est pas le signe qu’ils font fausse route. Ce n’est pas en soi une bonne nouvelle, mais c’est déjà un réconfort possible. En revanche, quelques versets auparavant, Jésus a suggéré que placer notre confiance en lui donnait accès à une famille d’une autre nature, la famille des enfants de Dieu, celle-là même qui nous fait nous appeler frères et sœurs, car Christ s’est fait notre semblable, notre frère, et il nous relie à son Père, qui devient ainsi doublement le nôtre.

C’est d’ailleurs ce dépassement de nos structures humaines habituelles qui constitue peut-être la grande Bonne Nouvelle de ce texte. En effet, que ce soit notre famille, notre village, notre réseau de connaissances, notre communauté paroissiale ou notre pays, tous ces cadres qui nous lient, tous ces cadres qui nous définissent et que nous croyons indispensables à notre vie sont en fait seconds. Non pas secondaires, mais seconds. Ce qui est premier, c’est la vie nouvelle, la famille dans laquelle Dieu nous adopte et il fait de nous ses enfants. Cette vie nouvelle, cette famille autre ont pour conséquence de déplacer nos ancres, nos racines. Le don premier de Dieu, d’ailleurs, n’est pas un acquis qu’il s’agirait de faire sien une bonne fois pour toutes, c’est un don fondateur à sans cesse ré-accueillir.

Pour recevoir les dons de Dieu, Jésus demande à l’être humain de lâcher prise par rapport à la construction de son existence, et même par rapport à sa préservation, et d’accepter que tout soit entre les mains de Dieu. C’est seulement ainsi que l’humain trouvera sa vie : en renonçant à ses propres forces et en plaçant sa vie sous les promesses de Dieu. C’est une expérience de dessaisissement, de lâcher prise par rapport à ses propres capacités, qui nécessite d’abandonner les béquilles que nous nous créons, et d’accepter d’être au-dessus du vide. Mais ce n’est pas un vide stérile. C’est un large espace que nous ménageons en nous-mêmes, une place que nous laissons à Dieu, pour que, lui, nous donne ce qui est nécessaire et nous aide à construire notre propre identité.1

Jésus parle aux Douze avant qu’ils partent en mission. Plus tôt dans le chapitre, il avait déjà donné des conseils à ses envoyés quant aux lieux où ils devraient demeurer. A la fin du chapitre, dans ces versets 40 à 42 qui concluent notre passage, il est question d’hospitalité. Plus précisément et même plus simplement, Jésus demande d’accueillir et de pourvoir aux besoins élémentaires de tous ceux qui portent la Bonne Nouvelle. Or, comment savoir qui a vu sa vie renouvelée par le Christ ? C’est bien un accueil de tous, et une attention aux besoins les plus vitaux de ceux qui sont petits que Jésus préconise. Dans d’autres chapitres, Matthieu rapportera d’autres paroles de Jésus qui soulignent l’importance de cette hospitalité première, de cette relation première qui n’est finalement pas autre chose que la concrétisation de l’amour fraternel du prochain.

Suivre le Christ, c’est potentiellement fragiliser ce qui était structurant dans notre vie sans Dieu. Mais Dieu renouvelle nos identités et enrichit nos relations avec celles et ceux qui cheminent comme nous vers lui. Avec eux et avec la puissance de l’Esprit, nous pouvons aussi prier pour nos familles, nos villages, nos groupes, autant de situations dans lesquelles nous voudrions faire resplendir l’Évangile, l’amour premier de Dieu. Qu’ainsi, notre foi ne soit pas source de déchirures mais de communion. Amen.

1 Ce paragraphe est constitué de phrases de Christine Prieto dans le numéro 61 de la revue Lire & Dire.

Contact