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Quand le prophète réveille le prêtre
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Culte du dimanche 17 janvier 2021,
commun avec l’Église évangélique libre d’Annonay
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Lecture biblique : 1 Samuel 3,1-19
C’est la nuit. Entendre des sons sortant d’une bouche humaine, se lever, se recoucher, et cela à trois reprises. Une grande majorité de parents de nourrissons pourraient raconter de telles nuits ; ces mêmes parents pourraient considérer que de telles nuits sont « plutôt bonnes », car il n’y a eu « que » trois levers. D’autres seraient épuisés. Pourtant, dans cet épisode connu de la vie de Samuel, ce n’est pas l’adulte qui sort de son lit pour prendre soin de son enfant, mais le plus jeune, enfant ou adolescent, qui se lève pour s’approcher de celui qu’il assiste et qui se trouve être bien plus âgé que lui. Mais avec un certain effet comique, on découvre que ce mouvement du jeune homme envers son aîné repose sur un malentendu : en effet, ce n’est pas le vieux prêtre qui appelle son assistant. C’est le Seigneur lui-même.
Faites-vous partie de ceux qui connaissent cette histoire et qui l’aiment bien ? C’est possible. D’ailleurs, elle est souvent racontée, de façon adaptée, aux enfants. Nous estimons en effet que les enfants peuvent s’identifier à Samuel. Nous pensons aussi certainement, et je crois que nous avons raison de le faire, nous pensons aussi qu’ils peuvent apprendre de ce récit que Dieu s’adresse aussi aux plus jeunes. Ce texte est un peu le miroir des phrases de Jésus dans les évangiles, quand il invite les enfants près de lui, qu’il les bénit, et qu’il les montrent en exemple. Oui, Dieu s’adresse aux enfants et ceux-ci peuvent lui parler. Mieux que cela, quand Jésus appelle ses auditeurs à recevoir le Royaume comme des enfants, il déclare en fait que les plus jeunes parlent de Dieu avec justesse, qu’ils sont des théologiens à part entière, que les adultes peuvent être nourris de leur foi.
Mais revenons à Samuel. Nos esprits ont tendance à enjoliver cet épisode nocturne. Certains peuvent même jalouser Samuel : ah, pourquoi n’entendons-nous pas Dieu aussi clairement que le jeune homme ? Mais ce n’est qu’au quatrième appel et grâce à l’aide d’Éli que Samuel va véritablement pouvoir écouter celui qui veut vraiment lui parler. Ce n’est donc pas aussi simple que nous le pensons parfois ! Et en plus, le message que confie le Seigneur à Samuel n’est franchement pas des plus agréables. Aucune bonne nouvelle, au contraire, il s’agit d’annoncer à Éli une sanction à priori définitive à l’égard de sa famille.
Permettez-moi de consacrer encore un peu de temps à examiner certains des détails de ce chapitre. Vous le savez, dans la Bible, les « récits » comportent peu de détails, et ceux-ci ne sont donc pas seulement des indications sur les circonstances des événements, mais des indices de messages importants.
« La parole du Seigneur était rare en ces temps-là, les visions n’étaient pas fréquentes, […] la lampe de Dieu n’était pas encore éteinte. » Nous avons ici des informations sur l’époque, mais aussi, à priori, sur l’état de l’un des objets rituels du sanctuaire cette nuit-là, cette « lampe de Dieu », ce chandelier à sept branches décrit dans le livre de l’Exode, que l’on appelle aussi la menorah. Et ce qui est à retenir, c’est cette situation bien spécifique de la rareté qui n’est pas l’absence. A Silo, au sanctuaire où officie Eli, ses fils, et d’autres comme Samuel qui l’assiste, des gens prient, comme Anne, cette femme stérile à qui Dieu a accordé un fils, Samuel. Des prêtres offrent des sacrifices. Mais les messages divins sont rares. Cela peut nous rappeler les siècles précédant la naissance de Jésus, des siècles sans prophètes, et pourtant Dieu n’a pas cessé d’accompagner son peuple. Dans nos vies aussi, nous pouvons regretter de ne pas entendre plus souvent Dieu nous parler. Est-ce que c’est Dieu qui s’est éloigné ou est-ce que nous avons encombré nos oreilles de bruits et de discours parasites ?
L’auteur du livre de Samuel insiste aussi sur le déclin des capacités d’Éli. Deux chapitres auparavant, il a confondu les prières d’Anne avec les paroles d’une ivrogne. Ici, sa mauvaise vue, probablement au sens propre mais aussi au sens figuré, est mise en avant. Le narrateur nous avait appris auparavant que les fils de Samuel, qui officiaient aussi comme prêtres au sanctuaire, détournaient les viandes offertes en sacrifices par les fidèles, bafouant la loi de Moïse qu’ils étaient censés servir. Leur père n’a pas su les reprendre pour qu’ils arrêtent ces abus. Cette indulgence pourrait être qualifiée d’aveuglement quant à la gravité des agissements de ses fils, d’aveuglement à l’égard des conséquences de ces problèmes. La fonction de prêtre d’Éli ne constitue pas une garantie de relation ajustée à Dieu. Pour autant, pour que l’histoire sur laquelle nous réfléchissons ait lieu, pour que Samuel se mette vraiment à l’écoute du Seigneur, Éli a un rôle à jouer.
Encore un détail. Le nom de Samuel apparaît une vingtaine de fois dans ce chapitre. Samuel, cela signifie « voué à Dieu », et c’est d’ailleurs ce à quoi Anne, sa mère, s’était engagée, quand elle demandait à Dieu un fils. Une telle insistance est significative. Dieu n’a pas seulement accordé un enfant à une femme stérile, il n’a pas seulement ajouté une aide aux prêtres du sanctuaire, mais il a donné naissance à un serviteur qu’il appelle effectivement cette nuit-là. D’ailleurs, Dieu répète le nom de Samuel, comme il a répété celui de Moïse au buisson ardent, comme il répétera celui de Saul sur le chemin de Damas avant que ce dernier ne devienne l’apôtre Paul.
Résumons ces différents indices semés par le narrateur : Dieu n’hésite pas à s’adresser aux jeunes. Son message semble condamner sans appel possible les agissements de ceux qui étaient institués comme des intermédiaires entre le peuple et lui. La rareté de sa parole témoigne d’une situation problématique mais Dieu n’a pas abandonné sa Création : si le comportement de la famille de prêtres est mauvais, Dieu peut faire jaillir de nouvelles modalités pour maintenir la relation avec son peuple. Enfin, Dieu appelle avec insistance ceux qui sont destinés à le servir, indépendamment de leur passé ou de leur jeunesse.
Chers amis, il est bien question de notre relation à Dieu dans ce texte. Cette histoire est celle de l’appel d’un prophète destiné à interpeller un prêtre. Ce n’est pas une question de changement de génération, entre Éli vieillissant et Samuel au seuil de sa vie adulte. Car Samuel ne va pas reprendre la fonction d’Éli.
Eli représente ce que nous pensons devoir faire pour plaire à Dieu. Éli a la charge d’un lieu de prière et de rituels de purification, de demande de pardon et de réconciliation. Or l’avènement de Samuel ne signifie pas la fin de la prière, la fin d’un besoin de pardon. Non, aujourd’hui encore, écouter et parler ou chanter à Dieu est vital pour nous ; aujourd’hui encore, confesser ce qui n’est pas conforme à sa volonté et s’en repentir, tout cela reste nécessaire pour être en vérité devant les autres et devant Dieu. Mais il ne s’agit pas seulement de « faire ». Les fils d’Éli officiaient bien pour les sacrifices, mais de façon cupide et malhonnête. D’ailleurs, quand Dieu parle enfin à Samuel, il explique qu’aucun sacrifice ne pourra être suffisamment efficace pour effacer leur péché. Eli représente nos habitudes religieuses quand elles sont devenues mécaniques, ou quand nous pensons qu’elles peuvent nous obtenir la faveur de Dieu. En son temps, Jésus s’était notamment opposé aux prêtres et aux pharisiens, ces groupes plus attachés à l’accomplissement de rituels qu’à la recherche de la justice envers son prochain.
Samuel représente lui le prophète, qui porte une parole de vérité. Cette vérité se décline en trois dimensions. Il s’agit d’abord d’affirmer la présence de Dieu : si on ne l’entend pas, ce n’est pas parce qu’il est absent, ou qu’il se tait, mais peut-être parce que nous ne sommes pas prêts à l’entendre, qu’il ne s’est pas encore révélé à nous. Deuxième aspect de cette parole de vérité : rien de ce que nous pouvons faire de bien ou de religieux ne peut suffire pour réparer nos erreurs à l’égard des autres et à l’égard de Dieu. Se réfugier dans l’activisme religieux est une impasse. Troisième idée de cette parole de vérité : si nos rituels sont inopérants pour cela, Dieu, lui, ne manque pas de ressources pour rétablir une relation digne entre nous et lui, ou, pour le dire autrement, cette relation d’amour, de vie, n’est possible que par la volonté de Dieu. C’est, bien sûr, ce que nous appelons la grâce.
Alors, frères et sœurs, les mois écoulés nous forcent, malgré nous, à nous interroger sur ce qui est important dans une vie d’église ainsi que dans notre vie spirituelle à chacune et chacun. Avec ce texte de 1 Samuel 3, je pense qu’un cadre de réflexion et d’évaluation nous est proposé. Qu’est-ce qui relève des pratiques de la famille d’Éli ? En quoi est-ce que je cherche une sécurité dans certaines activités ? En quoi mes habitudes m’aveuglent au point que je ne vois pas qu’elles m’éloignent de Dieu ? Et, dans l’autre sens, qu’est-ce qui relève de l’appel reçu par Samuel ? Qu’est-ce qui relève de la parole prophétique, qui énonce mes limites, et qui m’invite à tout remettre entre les mains de Dieu, qui m’encourage à tout attendre de sa grâce infinie et complètement offerte ?
Vous l’aurez compris, il ne s’agit évidemment pas d’écarter nos temps de prière, nos cultes, ou d’autres habitudes. Nous avons besoin, en tant qu’êtres humains, de ces éléments, pour nous. Ne faisons cependant pas l’économie d’une réflexion, d’un discernement, sur la sincérité et la cohérence de telles pratiques par rapport à notre mission d’annonce de l’Évangile. Nos pratiques, en effet, n’ont aucun effet sur l’amour que Dieu nous porte. Cela n’a aucun effet sur l’appel qui nous est adressé à mener une vie juste, à porter la parole d’amour de Dieu pour ses créatures. Pour le dire autrement, ne nous servons pas de ces éléments ni pour mériter le pardon que Dieu nous accorde, ni pour atténuer l’urgence de mener des vies plus justes, plus solidaires et plus fraternelles. Avec nos paroles, de telles vies témoignent de notre foi, des dons reçus de la part de notre Seigneur et offerts à toutes celles et tous ceux qui les acceptent.
Comme le prophète Samuel a servi ici à réveiller le prêtre Éli, laissons-nous interpeller par l’appel de Dieu à partager la Bonne Nouvelle au-delà de nos cercles et de nos zones de confort. Le repli nous condamne à mort. Par la grâce de Dieu, manifestée en Jésus-Christ, nous pouvons sortir de nos murs, nous pouvons faire fructifier la vie en plénitude dont nous profitons déjà. Amen.