Culte du dimanche 10 juillet 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Textes bibliques : Luc 10,25-37 ; Deutéronome 30,8-14
Frères et sœurs,
L’histoire de l’homme blessé, laissé pour mort sur la route de Jérusalem à Jéricho, évité par deux responsables religieux mais secouru par un ennemi du peuple juif, fait partie de ces récits très connus, mais pour lesquels plusieurs interprétations sont en concurrence, tant chez les prédicateurs qu’en chacun de nous. En effet, est-il possible est-il facile, de résister, au moins dans un premier temps, à une lecture un peu moralisante, lecture dans laquelle le message se résume à un appel à imiter le Samaritain secourable ? Cette lecture, renforcée par le fait que Jésus répond justement à un spécialiste de la loi qui semblait mal intentionné, conduit également à dénoncer l’attitude du prêtre puis du lévite, dont l’une des priorités dans la vie était de rester dans la pureté, dans l’observance stricte de la loi de Moïse, et donc de se garder de tout contact avec un cadavre ou avec un corps dont la vie semble partie. Cette interprétation est aussi très séduisante parce qu’elle confirme notre attente envers la religion : qu’elle nous appelle à la solidarité avec l’autre, cela correspond bien à ce que nous imaginons être son rôle.
Dans nos églises luthéro-réformées françaises du 21ème siècle, il me semble que le deuxième univers interprétatif de ce récit est maintenant très répandu. Il insiste sur la question de Jésus après sa parabole : « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé aux mains des bandits ? » Oui, Jésus provoque ici un retournement, ou au moins un décalage avec nos attentes. Il n’est plus question de regarder le blessé, le faible, mais celui qui vient le secourir, qui assure les soins vitaux puis veille à la convalescence de celui qui d’habitude le méprise… Pour le dire autrement : qui s’est fait mon prochain ? Il s’agit bien de se placer en tant que personne à demi-morte et de regarder d’où va venir le secours, pour reprendre une expression des Psaumes. Quand je suis écrasé par le mal au bord de la route, de cette route qui d’ailleurs s’éloigne de Jérusalem, lieu symbolisant la présence de Dieu, oui, quand je souffre de mes blessures, quand mes forces me quittent, je suis dans une situation de totale dépendance, et c’est bien une question de vie ou de mort. De qui me viendra le secours ? Qui se fera mon prochain ?
Avec ce point de vue, un peu moins immédiat, l’histoire racontée par Jésus nous encourage à ne pas désespérer : même par un intermédiaire complètement improbable, même par ce qui ne nous semble pas proche du tout, un homme ou une femme peut emprunter le chemin, nous voir, être pris d’émotion, il ou elle peut s’approcher, soigner nos blessures, nous prendre avec lui pour nous conduire jusqu’à un lieu de ressourcement. Ce Samaritain qui arrive au bon moment, ne serait-ce pas Jésus voyageant incognito, sous une forme humaine que nous pourrions avoir tendance à négliger ?
Nous avons aussi entendu un texte du Deutéronome. Nous connaissons sûrement davantage le dernier discours de Jésus à ses disciples, avant la Passion, dans l’évangile selon Jean, que le dernier discours de Moïse adressé au peuple, avant de passer le relais à Josué et de mourir. Quelques expressions, peut-être, nous sont néanmoins plus familières, comme ce verset qui suit de peu l’extrait de ce matin, dans lequel Moïse déclare de la part de Dieu : « J‘ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie (…) » (Dt 30,19). Peu avant, au verset 6, il y avait le début du commandement que Jésus a utilisé pour répondre à la première question du spécialiste de la loi : « Que tu aimes le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme. » Vous savez qu’il convient de comprendre ici « aimer » comme « écouter, obéir, chercher », plutôt que comme ce sentiment qui, de fait, ne se commande pas ! Si elles ont leur utilité, les dizaines de prescriptions plus précises, touchant à la vie domestique ou aux rituels religieux, ces prescriptions ne constituent que des déclinaisons du commandement premier ; et c’est ce commandement premier qui est bénédiction. Mal comprises, les autres règles peuvent prendre le dessus sur le commandement prioritaire et devenir des occasions de chute : ces règles peuvent devenir des absolus indépendants des circonstances, des idoles, et détourner le croyant de la seule recherche qui est possible en tous temps et en tous lieux, la recherche de Dieu.
Ce dernier discours de Moïse est en effet plutôt le dernier message que Dieu transmet au peuple par son intermédiaire. Maintenant que l’alliance a été donnée, maintenant que les commandements ont été énoncés, le Seigneur recommande la persévérance au peuple. Oui, ces ordres sont importants. Mais le Seigneur rappelle aussi au peuple qu’il sait à quel point, malgré la libération de l’esclavage et la sortie d’Égypte, ce même peuple oublie facilement à quel point il dépend des bienfaits de Dieu, le peuple se détourne rapidement de celui qui l’accompagne et lui souhaite le meilleur de la vie possible. Dieu ne se fait pas d’illusion. Mais il ne renonce pas pour autant, il assume de faire alliance avec un partenaire peu fiable. Dieu veille à une chose : que la situation soit claire, sans ambiguïtés. Car la liberté qu’il offre dans son amour est une vraie liberté, une liberté dans laquelle les choix sont énoncés et leurs conséquences annoncées.
Cette mise au point arrive après un rapide rappel de l’histoire des bénédictions de Dieu pour son peuple, et après cette annonce lucide que des temps difficiles surviendront car Israël aura tendance à prendre ses distances d’avec cette alliance. Cela me fait penser à ces deux hommes sur le chemin du blessé, ce prêtre et ce lévite qui descendent de Jérusalem et s’éloignent donc du Temple, du lieu saint… Revenons à notre passage du Deutéronome, car il prophétise même qu’après un tel mouvement d’éloignement, le peuple voudra faire marche arrière, « se retourner » à nouveau mais cette fois-ci pour revenir vers Dieu et sa Parole. Et ce retour est ici présenté comme une évidence. Oui, c’est une histoire écrite, une histoire où les choix sont ouverts en toute transparence, une histoire dans laquelle le groupe humain se trompe et pèche, une histoire dans laquelle il se repent et revient sur un meilleur chemin où il est toujours attendu et accueilli.
Dans ces quelques phrases du Deutéronome, une idée est déclinée à plusieurs reprises. « Ce commandement (…) n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ta portée. » « Cette parole est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. » Entre ces deux propositions, il est ajouté que le commandement n’est pas localisé au loin, dans le ciel ou au-delà de la mer. Oui, la parole de vie est infiniment proche, accessible sans obstacles. En version originale, le texte hébreu suggère le fait que le commandement n’appartient pas au domaine du miracle, de l’extraordinaire, de la merveille. En fait, c’est plutôt sa proximité et son immédiateté qui relèvent du merveilleux ! Combien de fois dans la Bible pouvons-nous lire que Dieu entre en relation avec les êtres humains en parcourant lui-même tout le chemin qui pourrait nous séparer de lui ? Et notre foi chrétienne ne prend-elle pas son fondement dans le Christ, qui a partagé notre humanité et s’est ainsi fait aussi proche de nous que possible alors qu’il était envoyé par Dieu ?
Dans le Deutéronome, le commandement qui est près de nous, à notre portée, ce commandement est – cela est dit dans les versets précédents et suivants – un commandement de fécondité, de bonheur, de vie. C’est le commandement du verset 6, que j’ai déjà cité : « Aimes le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme. »
Celui qui peut nous secourir, nous ramener à la vie et nous ressourcer, c’est celui qui s’est fait, contre toute attente, proche de nous. La parole de vie et de fécondité que le Deutéronome nous encourage à chercher, oui, elle aussi, « cette parole est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. » « Elle n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ta portée. »
Frères et sœurs, Dieu n’attend pas de nous des exploits, il ne nous cache pas sa volonté et ne la tient pas éloignée, ni de notre connaissance, ni de nos capacités. Aimer le Seigneur, cela revient, d’abord, à regarder ce qui est proche de nous. Alors que nos yeux et nos cœurs s’ouvrent : il est proche, celui qui vient nous donner la vie, au nom de Dieu. Elle est proche, la parole de vie. Amen.