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Notre appel : ni timides, ni cupides !
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Culte du dimanche 4 octobre 2020
« Saison pour la Création 2020 »
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique : Matthieu 21,33-46
Chers amis,
Une parabole n’est pas qu’une fiction, et les évangiles ne sont pas de simples récits ou compte-rendus des faits et gestes de Jésus. Et en conséquence, les chemins qui s’ouvrent avec ce texte peuvent se révéler surprenants et même déstabilisants. Avant d’évoquer quelques actualisations possibles du message de Jésus, toujours à quelques jours de la Passion (comme les textes des précédents dimanches), et toujours dans cette séquence de confrontation avec les responsables religieux, exaspérés par les paroles et les gestes du prédicateur, prenons quelques instants pour bien discerner les enjeux de cet échange.
D’abord, Jésus annonce une parabole. Mais dès les premiers mots, ses auditeurs reconnaissent les éléments du début du chapitre 5 du prophète Esaïe, dans lequel le prophète proclame la tristesse du Seigneur à l’égard de son peuple. Chez le prophète, celui qui a planté la vigne avec tout le nécessaire pour qu’elle donne des bons fruits, c’est le Seigneur ; la vigne, c’est le peuple… et les bons fruits attendus sont remplacés par l’injustice et le malheur… Les grands-prêtres, les anciens, les pharisiens comprennent immédiatement qu’il va être question de la relation entre Dieu et son peuple, dont ils ont la responsabilité. Mais Jésus va rapidement transformer la prophétie en parabole. Les vignerons sont ici des personnages ajoutés par le Nazaréen. Il en est de même des serviteurs, que l’on peut identifier comme les prophètes ; et bien sûr du fils du maître de la vigne. C’est celui qui leur parle ! Il est intéressant de relever que c’est ici la première fois dans l’évangile de Matthieu que Jésus suggère en public, et non pas uniquement avec ses disciples, qu’il suggère qu’il est le Fils de Dieu. Suggestion blasphématoire pour les religieux, pour qui Dieu, très saint, ne peut pas se rabaisser, se « salir » en ayant des enfants en chair et en os. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que Jésus sera accusé et condamné quelques jours plus tard. Le maître, c’est Dieu, son fils pourrait être Jésus, la vigne c’est le peuple, les serviteurs les prophètes puis les disciples… Mais qui sont les vignerons qui sont à l’origine de la violence dans ce texte, violence inouïe mais qui pourrait être retournée contre eux ? Les grands-prêtres et les anciens, c’est-à-dire les bons religieux de leurs temps, les pratiquants modèles, finissent par comprendre qu’il pourrait bien s’agir d’eux. Et la suite montre qu’ayant compris cela, ils n’ont pas réussi à se remettre en cause, et qu’ils ont, en effet, mis à mort le fils de leur maître, le fils de Dieu. Qu’espéraient-ils en le mettant à mort ? Comment ont-ils pu croire qu’ils pourraient rester les responsables de la vigne et du peuple, ou comment ont-ils pu croire qu’ils pouvaient ainsi devenir propriétaires de ce qui leur avait été confié ?
La parabole reprend une des thématiques des serviteurs à qui sont confiés des talents. Dans les deux cas, ceux qui s’étaient construits une image déformée de Dieu, ceux qui se sont imaginés qu’il pouvait être leur ennemi, ceux-là ont pris les mauvaises décisions. Les paraboles s’achèvent sur leur ruine complète, l’annonce de leur condamnation à une mort honteuse… Et ce qui leur avait été confié est remis à d’autres. Ces parallèles entre ces deux paraboles peuvent nous aider à être attentifs au message, un message qui n’est pas seulement destiné aux chefs religieux de la Jérusalem du premier siècle… Ceux-ci étaient alors mis en garde : ils n’allaient plus être les partenaires privilégiés de l’alliance de Dieu, ils allaient en être dépossédés, au profit d’un groupe plus grand, susceptible de reconnaître le maître, de lui donner la part qui lui est due, d’honorer ses serviteurs et ses héritiers…
Car en effet, la parabole ne s’adresse pas uniquement aux « vignerons », aux « gardiens du Temple », qu’il s’agisse du temple de Jérusalem ou de toute autre institution religieuse. L’histoire met aussi en scène des hommes et des femmes envoyés par le maître pour rappeler aux vignerons à qui ils doivent leur situation, à qui ils doivent rendre des comptes, de qui, finalement, ils dépendent. Les disciples de Jésus, qui assistent à la confrontation, comprennent alors – ou ils comprendront plus tard – à la fois quelle est leur vocation, leur raison de vivre, mais aussi qu’ils pourront être mal reçus, maltraités et même tués par ceux qui ne veulent plus reconnaître leur maître. Voici la première actualisation de la parabole, avant de revenir aux vignerons. Au service du Seigneur, celui-ci peut nous envoyer interpeller nos contemporains. Oui, dans une humanité qui désespère de maîtriser les éléments, nous sommes invités à rappeler que Dieu nous a donné la vie, qu’il nous bénit, qu’il nous accompagne dans nos limites et nos faiblesses. Il suffit de lui donner un peu de place dans nos pensées et nos journées. Nous devons en témoigner, sans contrainte, convaincus que cette compréhension du monde et de nos existences est bienfaisante. A l’écoute de cette parabole, nous pouvons donc nous identifier aux envoyés du maître. C’est un rôle dangereux mais qui a l’avantage de ne pas trop bousculer nos consciences, même si nous sommes parfois trop timides dans notre témoignage.
Mais osons prendre un autre risque. Osons reprendre le raisonnement suggéré par Jésus aux grands-prêtres et aux anciens du peuple. Osons, car finalement, nous leur ressemblons. Comme eux, beaucoup d’entre nous sommes nés dans un milieu chrétien, c’est-à-dire que nous sommes héritiers d’une mission. Eux devaient faire vivre l’alliance entre Dieu et son peuple, avec intelligence et amour. Malheureusement, ils ont traduit et déformé cet ordre de mission. Ils se sont préoccupés de veiller au bon accomplissement des sacrifices, ou au respect des règles de pureté d’un peuple donné, en renonçant à la justice et à l’amour. Et nous, qu’avons-nous fait de ce que Dieu nous a demandé ? Notre objectif est-il l’annonce de l’Évangile, ou la survie d’un groupe, d’une communauté, avec ses habitudes, ses codes, ses scléroses ?
Jésus annonce aux responsables juifs qu’ils pourraient bien, à moins de changer radicalement, ils pourraient bien se voir dépossédés des privilèges d’être le peuple élu, les premiers dépositaires de l’alliance d’amour entre Dieu et l’humanité. Le Nouveau Testament nous confirme qu’en effet, une nouvelle alliance a été conclue, établissant une fois pour toute le pardon et la réconciliation entre le Créateur et ses créatures. D’un côté, Dieu et son amour premier. De l’autre, l’Église, qui allait déborder les groupes de croyants juifs, l’Église dont les contours sont connus de Dieu seul, et qui ne correspond à aucune de nos institutions humaines. Ne nous arrive-t-il pas parfois de confondre cette Église invisible, concept cher à notre tradition protestante, avec nos Deuxième actualisation possiblecommunautés visibles, des communautés aux rendez-vous ritualisés, aux frontières bien réelles, aux fruits si mal partagés ? Deuxième actualisation possible : si nos groupes humains ne rendent que peu de fruits à leur maître, ces groupes s’éteindront, bien sûr, mais la Bonne Nouvelle, elle, sera toujours vivante. Elle sera confiée à d’autres. Il n’est pas trop tard pour exprimer notre reconnaissance à Dieu, et faire fructifier les ressources qu’il nous a confiées. Il n’est pas trop tard pour être de bons vignerons !
Frères et sœurs, vous le savez peut-être, en ce dimanche s’achève la Saison de la Création pour les églises chrétiennes ; certaines célèbrent d’ailleurs les récoltes. Cela m’invite à une troisième possibilité d’actualisation de la parabole. Et si la vigne, c’était la Création, et les vignerons, l’humanité entière ? Depuis le début de l’ère industrielle, les puissants se sont en effet accaparés la planète et en exploitent les ressources, au point, vous le savez, qu’une extinction de masse est en cours ; au point que les trajectoires actuelles font craindre des décennies très troublées pour le climat et pour de bonnes conditions de vie de l’espèce humaine sur Terre. Nous faisons partie, que nous le voulions ou non, d’une société qui en veut toujours plus. Cela nous fait terriblement ressembler à ces vignerons cupides, malhonnêtes et meurtriers. Saurons-nous nous arrêter à temps ? Saurons-nous avoir confiance en la bonté de notre Créateur et Seigneur pour pourvoir à nos besoins ?
Enfin, quatrième piste pour faire résonner le message de Jésus en nous. Les questions évoqués à l’instant, que nous nous posons en tant que groupe, en tant qu’espèce, peuvent aussi être valables à un niveau personnel, intime même. Quelles ressources m’ont été confiées ? Suis-je bien conscient qu’elles ne m’appartiennent pas ? Est-ce que je m’en sers pour mon profit personnel ou pour faire fructifier « son » Évangile, au service de « son » Royaume ? Suis-je vraiment un vigneron honnête, un serviteur fidèle ?
Quatre actualisations possibles donc. Aujourd’hui, la parabole de Jésus nous invite à l’introspection. Cette introspection pourrait nous accabler, nous désespérer. Les chefs religieux considèrent en effet que la suite logique pour les vignerons est la mort. Mais heureusement, ce ne sont pas eux qui ont le dernier mot ! Il y a d’abord Jésus, qui, avec l’exemple de la pierre rejetée devenue la pierre fondatrice, sort de la logique humaine. A chacun de voir ce qu’il va faire de cette pierre – Jésus emploie cette image du Psaume 118 car en hébreu, le mot pierre (eben) et le mot fils (ben) sont très proches. Une pierre pour bâtir, ou une pierre pour trébucher ou même pour être écrasé ? La mort n’est pas la seule sortie possible de cette histoire. Et quelques jours après, Jésus, crucifié, sortira vivant du tombeau, incarnant cette espérance que décidément, même si nous avons ressemblé à ces vignerons, Dieu ne nous privera pas de son amour vivifiant.
Saurons-nous écouter l’Esprit et nous convertir en profondeur pour ne pas être exclus de la Bonne Nouvelle, de la Création, ou de la volonté de bonheur de Dieu envers nous ? Le chemin de vie est toujours ouvert, osons nous retourner pour l’emprunter ! Amen.