Culte du dimanche 28 août 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique: Luc 14,7-11
Chers amis,
Après ce culte, vous allez sûrement rentrer chez vous, et un peu plus tard, vous allez prendre place autour d’une table pour déjeuner. Ou peut-être allez-vous manger en-dehors de chez vous, chez des proches ou avec des personnes auxquelles vous tenez. Où vous assiérez-vous ? A « votre » place, comme d’habitude, depuis des années ? Ou, surtout si vous ne déjeunez pas en famille, y a-t-il un peu d’incertitude sur le sujet ? Quoi qu’il en soit, je doute que cette question vous préoccupe beaucoup.
Pourtant, si vous trouvez par hasard un ouvrage un peu ancien, consacré aux bonnes manières ou à « l’éducation de la ménagère » (entendez les guillemets, tant ces expressions évoquent des temps distincts de ces cinquante dernières années), si vous trouvez un tel livre et le parcourrez, vous lirez certainement quelques recommandations en matière de « plan de table », c’est-à-dire comment placer convenablement les convives à un repas, pour qu’un certain ordre social soit ainsi affirmé et respecté. Bien sûr, la pratique du « plan de table » reste d’actualité à l’occasion de certains repas officiels – sans chercher loin, cela a sûrement été le cas lors de la visite du président français en Algérie ces derniers jours. « Plan de table » également pour certains mariages, même si en la matière, d’autres paramètres que les conventions sociales peuvent être pris en compte : on veillera à ne pas mettre côte à côte deux personnes qui ne s’apprécient pas, et au contraire on essaiera de rassembler certains invités partageant les mêmes centres d’intérêt, par exemple les camarades d’étude d’un des époux…
Je ne sais pas depuis combien de milliers d’années c’est le cas, mais ce qui est sûr, c’est que cela fait très longtemps que le repas n’est pas qu’une question d’alimentation. C’est aussi, profondément, un temps d’interactions, de vie en société. Un temps privilégié pour accueillir, pour rencontrer, pour nouer des relations. Qu’il soit banal ou exceptionnel, ordinaire ou très important, le repas comporte bien davantage de sens que ce à quoi nous prêtons attention. En tant qu’événement social, en tant que produit d’une culture, un repas constitue à n’en pas douter un sujet d’étude pour les chercheurs, comme les anthropologues ou les sociologues. Sujet d’étude, mais aussi occasion d’enseignement.
C’est tout cela qui se noue dans cette courte scène rapportée par l’évangéliste Luc. Nous savons par les versets précédents que Jésus a été invité par un dirigeant des Pharisiens, pour un repas qui n’est sans enjeux. Car plusieurs des convives, des Pharisiens, sans qu’on sache si l’hôte en fait partie, plusieurs des convives cherchent à piéger Jésus. C’est un repas un jour de sabbat, ce qui explique peut-être une certaine hospitalité envers la communauté. Mais pour les adversaires de Jésus, ce jour de sabbat est l’un des éléments du piège : Jésus pratiquera-t-il une guérison ce jour-là ? Pour lui, l’urgence de sauver le souffrant justifie une intervention ; c’est ce qui se passe dans les versets qui précèdent, et certains des convives ont du mal à digérer un tel argument.
Mais dans notre passage, Jésus, à table, se prend à observer ce qu’il se passe autour de lui, un peu comme un anthropologue ou un sociologue en effet. Il remarque, nous dit-on, comment les invités choisissaient les meilleures places. Nous apprenons ainsi qu’à la différence de certains repas peut-être plus solennels durant lesquels les places sont attribuées d’avance par l’hôte, par celui qui reçoit, ce jour-là, les invités peuvent choisir leur place. Et on comprend alors, à travers les yeux de l’observateur, que toutes les places ne se valent pas ; que la place où l’on s’installe dit quelque chose de nous ; ou plus précisément, la place dit quelque chose de notre relation avec celui qui reçoit, et de notre proximité avec lui, il est question d’un certain statut social. Qui sommes-nous ? Sommes-nous assis près des puissants et des influents ? Et surtout, sommes-nous bien « au-dessus » d’autres personnes, de voisins ou de connaissances ? Oui, l’enjeu derrière est bien de nous positionner pour en tirer avantage…
Cela donne à Jésus l’envie de raconter ce que Luc appelle une parabole, même s’il s’agit en fait plutôt d’une petite leçon de sagesse ou de morale, dans laquelle il s’adresse directement à celles et ceux qui l’écoutent, comme un enseignant parlerait à ses élèves ou disciples. Le fait que Luc qualifie ce bref enseignement de « parabole » a cependant son importance et nous y reviendrons.
Jésus parle donc du comportement à adopter lors d’un repas particulier, ici un festin de mariage auquel nous sommes invités. Remarquons qu’ici, à la différence d’une parabole au sens habituel du terme quelques lignes plus bas dans l’évangile de Luc mais aussi dans celui de Matthieu, aussi autour d’un festin de noces, la question n’est pas d’avoir répondu présent ou non, ou le fait d’être vêtu convenablement ou non pour participer au repas. Pour le repas dont il est question dans notre passage, dans cet exemple donné par Jésus, chacun a pu entrer, chacun a pu prendre place, et même chacun peut s’installer où il le souhaite, au moins dans un premier temps. La tentation, alors, est bien sûr de trouver une place qui nous honore, de nous positionner comme notre orgueil nous le suggère… Mais Jésus nous le rappelle rapidement, il y a alors le risque que l’hôte du repas nous oblige, sans tendresse particulière (« Laisse-lui cette place »), à laisser notre place et à en chercher une autre, forcément parmi les seules restées disponibles, forcément parmi les dernières. Une attitude inverse, d’humilité, et sans calcul, peut conduire à un retournement de situation bien plus favorable, bien plus agréable : l’hôte peut nous inviter à nous rapprocher de lui, en nous appelant « mon ami ».
Jésus veut-il donc nous suggérer que ce n’est pas à nous de juger de notre honneur et de notre dignité, ni d’ailleurs de l’honneur et de la dignité des autres invités ? C’est bien possible. En nous conseillant d’accorder moins d’importance à nos hiérarchies humaines, Jésus nous permet aussi de nous intéresser à l’estime que nous accorde le maître de maison, celui qui pourvoit à toute chose, à toute occasion de joie.
C’est là qu’il est intéressant de revenir au fait que l’évangéliste Luc qualifie cette petite leçon de parabole. Ainsi, Luc nous indique qu’il ne s’agit pas seulement d’un conseil de Jésus pour nos conventions sociales, d’un simple guide de conduite sage et raisonnable, mais que cette courte histoire a aussi quelque chose à nous dire du Royaume de Dieu, et de Dieu.
Évidemment, celui qui invite et pourvoit à toutes choses, c’est Dieu lui-même. Dès lors, on peut comprendre qu’au-delà de nos hiérarchies sociales, il y a un enjeu qui relève de notre place devant Dieu. Cette question était très importante bien sûr pour les Pharisiens, qui s’imaginaient observer suffisamment les prescriptions rituelles de la Loi de Moïse pour obtenir un positionnement privilégié auprès de Dieu. Mais ne l’oublions pas, il nous est facile de devenir les Pharisiens à notre tour ! La leçon du Christ nous explique habilement que nos prétentions humaines peuvent nous conduire à nous tromper sur les « mécanismes » à l’œuvre dans le regard que Dieu porte sur nous. Non, Dieu n’est pas impressionné par notre pratique religieuse consciencieuse et ne la récompensera pas par des honneurs spécifiques. Mais oui, Dieu perçoit quand nous ne faisons plus semblant, ni pour les autres ni pour nous-mêmes, il discerne quand nous nous comprenons vraiment, sincèrement, humblement. Et cette attitude de vérité nous ouvre au cadeau d’une grâce et d’une gloire que nous ne méritons pas, qui nous sont accordés, en Christ.
Les retournements que Jésus annonce, que « celui qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé », oui, ces retournements affirment que les choses ne sont pas figées. Il n’y a pas de fatalité. Quand Dieu arrive là où il nous as invité, s’il nous appelle ses amis et nous fait venir avec lui, alors même que nous savons que nous n’en sommes pas dignes, cela nous libère de l’envie d’être bien vu de nos contemporains. Pour le dire autrement, nous n’avons à nous épuiser dans des efforts pour correspondre à l’image que nos proches peuvent avoir de ce que devrait être un bon croyant. D’abord parce que cette image ne correspond probablement pas au regard que Dieu porte sur nous, et ensuite, encore une fois, parce qu’il nous aime, tels que nous sommes, avec nos fragilités et nos défaillances, et qu’il nous honore, indépendamment de nos échecs.
Frères et sœurs, si nous n’avons pas à nous demander si notre pratique religieuse et notre foi sont conformes à ce qu’attendent ceux qui nous entourent, nous pouvons aussi nous débarrasser de certains de nos questionnements. Par exemple de savoir si nous sommes estimés à notre juste valeur ; si nous sommes à la place qui correspond à l’image que nous nous faisons de nous-mêmes ; si nous sommes assez proches de ceux que nous admirons, et surtout assez loin de ceux que nous méprisons. Nous pouvons en revanche vivre dans l’espérance et la confiance, convertir nos regards sur les autres invités au repas, et les traiter comme des semblables, susceptibles d’être honorés par le Seigneur en dépit de leurs zones d’ombre. Comme Jésus interpellait les Pharisiens sur leurs illusions orgueilleuses, Jésus nous encourage à relativiser ces questions de rang social dans la société, à nous détacher de toute tentation de classement entre nous, y compris dans la pratique religieuse ou même la foi, pour nous tenir tous en vérité devant lui, lui qui se fera une joie de nous faire venir près de lui, en nous appelant « mon ami ». Quelle que soit notre position dans le monde, Jésus l’a promis dans un autre évangile, une place nous attend, près de lui, nous qu’il nomme « ses amis ». Amen.