Culte du dimanche 24 mai 2020
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Textes bibliques : Actes des apôtres 1,12-14 et Jean 17,1-11
Chers amis,
Il y a deux semaines, le 9 mai, comme chaque année, c’était la journée de l’Europe, une journée qui, sauf erreur de ma part, n’a pas été particulièrement célébrée ! Vous souvenez-vous de la devise de l’Union européenne ? C’est « unie dans la diversité ». Il est encore trop tôt pour dresser un bilan des effets de la pandémie sur le projet européen. Si on se projette soixante-dix ans en arrière, les acquis en matière de coopération sont considérables. Si on considère les derniers mois, on ne sait pas encore dans quelle mesure la solidarité entre les différents États-membres sera une réussite, prenant en compte les situations des pays les plus touchés, ou une occasion manquée, où les égoïsmes l’auront emporté sur la notion de partage d’un destin commun.
Unité et diversité. L’articulation de ces deux notions n’a pas toujours été évidente dans l’histoire de l’humanité. Le mot « unité » est ce qu’on appelle un « mot-valise ». Il évoque du positif et il semble très accessible, facile à comprendre. Pourtant, il peut cacher des dynamiques problématiques. On peut penser à la volonté d’uniformiser ; certains ont rêvé de parvenir à une unité du genre humain en uniformisant, en essayant de masquer les différences par l’adoption de normes. D’autres raisonnent en terme d’intégration : pour appartenir à un groupe donné, il faudrait laisser de côté, se faire amputer de ce qui constitue une partie de notre identité. Oui, l’humain résume souvent l’unité à une question arithmétique : l’unité, c’est quand on a tout soustrait, sauf un élément, sans lequel il n’y a plus rien.
Un terme proche d’unité est celui d’unicité. C’est l’idée que chacune et chacun, chaque chose est unique. On perçoit bien cette idée quand on commence à énumérer des séries de caractéristiques et autres catégories. Par exemple, quand je me présente, j’énonce différentes données dont la combinaison fait de moi un être unique. Mais l’inconvénient de cette approche est qu’elle nous conduit à compartimenter notre humanité, à chercher ce qui distingue en occultant ce qui rassemble, ce qui nous permet tout simplement d’être en relations les uns avec les autres.
Unité, unicité… d’autres termes sont voisins, et nous verrons tout à l’heure qu’ils nous intéressent.
Mais d’abord, revenons à nos textes bibliques. Commençons par le début du livre des Actes des apôtres. Nous sommes après l’Ascension et avant la Pentecôte. Les disciples se retrouvent pour prier. Luc, l’auteur de ce livre du Nouveau Testament, estime nécessaire de nommer les Onze qui sont présents. Judas n’a pas encore été remplacé. Mais ces onze noms écrits, et Luc évoque aussi la présence de plusieurs femmes, me font penser aux débuts de nos cultes téléphoniques, durant lesquels notre communauté se forme. C’est à la fois une communauté d’occasion, c’est-à-dire une communauté unique, dont la composition diffère d’un dimanche à l’autre, et une communauté plus identifiée, très majoritairement composé de personnes qui appartiennent à l’église réformée d’Annonay, des hommes et des femmes qui se connaissent, qui se reconnaissent, qui partagent une histoire commune, des habitudes, etc.
Dans une telle communauté, chacun est appelé par son nom. Son identité est faite de singularités, dont la combinaison est unique. Mais cette identité est aussi constituée de points communs, d’éléments partagés, qui permettent de faire groupe.
Passons maintenant à l’évangile de Jean. Nous sommes le jeudi qui précède la Pâque, à Jérusalem. Judas étant déjà parti, Jésus est là aussi en présence des Onze. Il vient de prononcer un long discours d’au-revoir à ses disciples, avant la Passion ; c’est en quelque sorte son testament. Après ce discours, on trouve la prière que Jésus adresse à son Père, au bénéfice des hommes et des femmes qui ont cheminé avec lui et qui sont ensuite appelés à témoigner de sa Bonne Nouvelle. Cette prière comporte une dimension pédagogique. En effet, le Christ explique en quoi consiste la vie éternelle : connaître le Père et le Fils, et Jésus constate avec reconnaissance que les disciples l’ont accueilli, lui, la Parole faite chair. Après ces explications, la prière devient intercession. Jésus remet à son Père les croyants, qui doivent rester dans le monde alors que lui s’en va. Il demande en particulier que celles et ceux qui lui font confiance, à lui le Christ, restent unis à Dieu comme lui le Fils est uni au Père ; il demande donc qu’il n’y ait pas de distance entre eux et Dieu, et qu’eux-mêmes ne soient pas divisés.
Cette demande d’unité constitue le cœur de cette prière, une prière qui réconforte celles et ceux qui restent dans le monde alors que Jésus sera apparemment plus distant. L’unité s’oppose bien sûr à la distance, mais surtout à la division. Au niveau individuel, la division, c’est être déchiré entre différentes façons d’être, ou entre notre volonté et les résultats de nos paroles ou de nos gestes. C’est quelque chose dont nous pouvons faire l’expérience dans de nombreux contextes, et Jésus demande à son Père de réunifier nos êtres et nos existences devant lui. Au niveau communautaire, il est facile de comprendre ce que peuvent être des divisions. Il s’agit de conflits, qu’ils soient ouverts ou souterrains. Car la division, le conflit, entraînent la tendance à vouloir vaincre l’autre, dans une attitude qui entre en très vive tension avec l’appel à l’amour fraternel. Quand Jésus ajoute quelques phrases plus loin que l’unité permet à d’autres de croire, on comprend que l’unité vécue est témoignage de l’amour rendu possible en Dieu, on comprend que l’unité constatée par les non-croyants devient appel et source d’espérance pour eux. Dans ce chapitre 17 de l’évangile selon Jean, cette question de l’unité est centrale, comme une autre façon de signifier, de rendre manifeste l’amour reçu, accueilli, partagé.
Finalement, l’unité que Jésus demande pour nous serait peut-être plus justement comprise en articulant d’un côté la notion d’intégrité, au sens d’entièreté, de plénitude, et de l’autre les idées de cohésion et de communion.
D’un côté, Jésus prie pour que nous formions un seul corps, avec tous ses membres, chacun exerçant une fonction spécifique. Cette unité, c’est celle qui répare ce qui est cassé, qui renforce ce qui est affaibli, qui sauve ce qui aurait pu être perdu.
De l’autre côté, Jésus prie pour que toutes et tous soient accueillis dans la famille des enfants de Dieu, une famille sans frontières mais surtout une famille définie par un amour sans limites, vivant de ce même amour. Cette unité, cette communion, confèrent un supplément d’identité, une capacité de partage et de solidarité entre égaux, entre prochains.
En Christ, la communion avec le Père est donc bien un projet d’intégrité pour chacune de nos existences morcelées ; elle est aussi un vecteur de cohésion pour nos sociétés. L’unité selon le Christ, c’est une bénédiction pour chacune et chacun, pour notre communauté, pour l’Église aux contours invisibles, et pour le monde qui en est témoin. Amen.