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Injustice ou promesse de vie tenue ?
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Culte du dimanche 20 septembre 2020
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique : Matthieu 20,1-16
Chers amis,
A quel âge avez-vous commencé à travailler ? Il est très probable que beaucoup parmi nous ont commencé plus jeunes que moi. En excluant les stages, dont l’indemnité ne saurait constituer un salaire, j’ai dû recevoir ma première feuille de paie à 23 ans. On peut se réjouir des mécanismes de solidarité familiaux, ecclésiaux et nationaux qui m’ont permis de suivre de longues études avant de travailler pour subvenir à mes besoins. Dans mon esprit, il est normal aussi que je n’envisage pas de réclamer le droit de partir à la retraite à l’âge où une grande part d’entre vous avez pu le faire. Je suppose que nous serions d’accord qu’il serait juste que je ne demande pas à bénéficier d’une retraite pleine à 55 ans !
Oui, frères et sœurs, quand il est question de la rémunération de notre travail, de nos efforts, notre perception et notre souci de la justice vont beaucoup dépendre de ce que reçoivent les autres, de la motivation voire de l’efficacité dont nous avons pu être témoins – ce qui, nous l’oublions souvent, ne sont pas forcément des critères exacts ! Dans notre pays, l’inégalité la plus répandue en matière de rémunération est celle qui dépend du sexe de la personne qui travaille. En 2016, une organisation féministe, reprenant des données de l’INSEE, constatait que l’écart de rémunération à métier, responsabilité et temps de travail équivalents était alors estimé à 8 %. Ce calcul, néanmoins, atténue le problème, puisque les femmes subissent plus souvent du travail à temps partiel et sont empêchées d’accéder à certains niveaux de responsabilité. En prenant en compte ces paramètres, il a été calculé que sur une année complète de travail durant laquelle les hommes étaient payés jusqu’au 31 décembre… les femmes recevaient un salaire jusqu’au 7 novembre seulement !
Au-delà de cette injustice qui est lourde de conséquences pour des familles et pour la société toute entière, pensons aussi aux décalages absurdes entre les rémunérations des spéculateurs sur des produits financiers qui ne correspondent à rien, ou celles de grands sportifs, et les salaires de celles et ceux que nous avons applaudi, chaque soir, au printemps, ces fameux travailleurs essentiels sans lesquels notre mode de vie serait impossible. En nous limitant à la France, qui n’est certainement pas le pire des pays en la matière, nous sommes obligés de constater que l’injustice en matière de rémunération du travail est bien de notre monde, elle a même un caractère normal. C’est une réalité quotidienne. Peut-être est-elle quasi-universelle et assez intemporelle…
Et pourtant, en entendant cette parabole que vous pouviez déjà connaître, vous avez sûrement été indignés une nouvelle fois par ce maître qui donne autant à ceux qui ont travaillé une heure qu’à ceux qui ont travaillé toute la journée. L’introduction que j’ai faite doit nous aider à mieux orienter notre surprise. L’injustice dans les salaires, c’est quelque chose de plus fréquent qu’on ne le souhaite, c’est quelque chose ancré dans nos sociétés humaines, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas chercher à l’atténuer. Ce qui nous choque, c’est que cette parabole semble suggérer que de telles inégalités ont aussi cours dans le royaume des cieux. Est-ce bien le cas ?
Revenons donc sur ce qui est dit du salaire dans le texte. Pour les premiers ouvriers, il est question d’une pièce d’argent, l’unité classique à l’époque pour une journée de travail. Lors des embauches supplémentaires, le maître s’engage à donner « un juste salaire », sans davantage de précisions, et les ouvriers alors recrutés se satisfont apparemment très bien de cet arrangement assez vague. Or, il y a deux mille ans, en Palestine occupée, il n’y a pas de protection sociale, pas de minima sociaux. L’homme qui ne travaille pas n’a rien. Ou plutôt si, il a des besoins, les besoins élémentaires des membres de sa famille. Qu’il travaille ou qu’il ne travaille pas, ces besoins sont les mêmes. C’est peut-être cette perspective que va adopter le maître. La rémunération ne correspondrait donc pas aux efforts consentis, mais aux besoins de celui qui la reçoit. Cela change tout, car en effet, les derniers ouvriers recrutés ne sont à priori pas responsables de leur embauche tardive ! « Personne ne nous a engagés », expliquent-ils au maître de la vigne. Nous imaginons mal aujourd’hui, dans notre système social heureusement protecteur, à quel point l’attente de ces hommes a du être angoissante et humiliante ! Que vais-je ramener à la maison ? Comment ceux qui dépendent de moi, comment ceux que j’aime vont-ils disposer de quoi vivre ? Et quelle honte de n’être appelé par personne pour que nos compétences ou nos forces soient utilisées, valorisées, productives… Sentiment d’inutilité, mais aussi d’échec envers ceux qui dépendent de soi… Le maître, lui, a sûrement connaissance de la détresse matérielle et psychologique de ces chômeurs. Il se réjouit probablement de leur permettre de sortir de cette situation indigne. Quand la journée de travail s’achève, quand chacun a agi pendant le temps de son embauche, voici l’heure des comptes. Pour le maître, le juste salaire n’est pas celui qui correspond à la longueur de l’utilisation de nos compétences, mais celui qui va permettre à l’ouvrier et à sa famille de vivre dignement. La famille de l’ouvrier de la onzième heure a autant de besoins que celui de la première !
Nouveau détour par notre pays. Les prestations sociales qui y existent actuellement témoignent d’une intuition similaire. Elles cherchent à manifester à chacune et chacun qu’il a sa place et des droits dans la société, à partir du principe énoncé dans certains de nos textes fondateurs d’une valeur inaliénable de notre existence. Quels que soient nos mérites, notre société assume l’idée qu’une solidarité est nécessaire pour que le minimum vital soit garanti à toutes et tous. Il y a une distinction entre ce dont nous avons besoin et ce que nous pouvons obtenir seuls. Cette distinction présente des ressemblances avec le propos de notre parabole. Jésus, en effet, dans cette histoire, sépare deux propositions.
La première proposition, c’est « l’humain agit, ou œuvre » ; la seconde, c’est « Dieu donne ». Notre esprit humain veut associer ces deux phrases, ces deux dynamiques. Jésus tranche : « Les deux propositions n’ont plus de lien. » (Céline Rohmer) Cette séparation est Bonne Nouvelle pour chacune, chacun.
Je voulais aussi attirer votre attention sur le fait que le maître respecte le contrat oral discuté avec les ouvriers. Vendredi dernier, je lisais dans la presse qu’une étude montrait qu’une mesure de réduction d’impôts avait conduit un représentant des chefs d’entreprises à promettre de créer un million d’emplois ; six ans après, à peine 160 000 postes avaient effectivement été créés. Dans nos vies aussi, car nous ne sommes pas irréprochables non plus, dans nos vies, combien de fois avons-nous promis à une connaissance de faire appel à elle pour nous aider, et combien de fois avons-nous oublié de le faire, ou choisi de ne pas le faire ? Notre Dieu, lui, passe sa journée à chercher des gens à embaucher. Il ne retourne pas moins de cinq fois sur la place pour être sûr d’avoir donné à chacun l’occasion de le servir. Et à la fin de la journée, il donne une pièce d’argent, comme promis, à ceux recrutés les premiers, ce qui est le salaire qui correspond à leur travail. Mais surtout, c’est ce qui correspond à leurs besoins. Comme aux besoins des ouvriers qui sont arrivés ensuite. La fidélité de Dieu nous est attestée continuellement dans la Bible. Dans cette parabole, il est promis par celui qui représente Dieu qu’il sera donné de quoi vivre. Et effectivement, il est donné de quoi vivre. Se scandaliser est-il approprié ?
Enfin, dernier point. La phrase qui précède le passage que nous avons lu et la phrase qui conclut la parabole sont la même. Ceux qui sont les derniers seront les premiers, et ceux qui seront les premiers seront les derniers. Cette idée est toujours difficile à entendre quand nous pensons que nous pourrions bien être les premiers ici. Peut-être est-ce une invitation à renoncer à ce souci de classement, là aussi tellement ancré dans nos esprits, et pourtant source de nombreux mal-êtres. Heureusement, nous savons déjà expérimenter dans la joie un tel bouleversement dans nos hiérarchies. En effet, si la majorité d’entre nous sommes chrétiens depuis tout-petits, serions-nous scandalisés si quelqu’un d’un âge bien avancé se convertissait et demandait par exemple à recevoir le baptême ? Probablement pas, et nous nous en réjouirions, heureusement. Il reçoit la même chose que nous, ce dont il a besoin pour vivre digne et en relation avec Dieu et avec les autres. Et c’est merveilleux ! Et comme ce don est déconnecté de ses efforts, comme nos mérites n’y sont pour rien, notre jalousie éventuelle peut rapidement s’estomper. En Christ, et dans le royaume, l’important n’est pas d’être premier, ou dernier, mais d’en être.
Appelés par le maître, nous recevons ce qui est nécessaire pour vivre dignement. Voilà la Bonne Nouvelle. Il y a même tellement de fruits à récolter que des renforts pour les vendanges ou les moissons sont toujours nécessaires. Amen.