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Impatiences humaines, patience infinie de Dieu
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Culte du dimanche 11 septembre 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique: Exode 32,1-14
Chers amis,
C’était peut-être une sortie au cinéma, un spectacle, ou une journée dans un parc d’attraction. C’était peut-être un cadeau particulier, symbolique, à la valeur marchande ou à la valeur sentimentale exceptionnelle. Un temps de grande joie, partagée, avec quelqu’un qui vous est cher, comme un de vos enfants ; un temps durant lequel la joie est démultipliée car vous savez que vous l’expérimentez à plusieurs, avec des personnes à qui vous voulez faire du bien. Vous êtes alors dans l’espérance, plus ou moins consciente, que ce moment privilégié va se prolonger, ou que vous en observerez les bienfaits au-delà de l’événement. Vous convenez avec les personnes avec lesquelles vous avez vécu cette expérience de quelque chose, d’une façon d’entretenir la relation qui vous unit, d’une façon de bien se comporter les uns envers les autres. Et soudain, c’est la désillusion : ce qui avait été convenu n’est pas respecté par l’autre, votre enfant désobéit ou commet une bêtise, et outre la tristesse et la colère que cela occasionne, vous vous révoltez car cet incident vient mettre un terme trop rapide au bonheur qui venait d’être partagé. Sentiment d’ingratitude, de gâchis, peut-être…
Toute proportion gardée, c’est un peu ce qui se passe dans cet épisode du taurillon, veau d’or, dont nous n’avons lu qu’une partie. La suite du chapitre comprend des répétitions mais aussi des différences significatives, puisqu’un groupe du peuple s’y présente comme n’ayant pas suivi le mouvement de foule, il est resté fidèle à Dieu. Et ce groupe, la tribu de Lévi, les futurs lévites c’est-à-dire ceux qui seront en charge du Temple à Jérusalem, ce groupe va exécuter 3000 hommes dans le peuple, y compris des gens de leur famille, dans d’apparentes représailles, suggérant que si Dieu n’avait pas exterminé le peuple, comme il annonce d’abord en avoir l’intention avant d’y renoncer grâce à l’intervention de Moïse, il fallait quand même que quelqu’un soit puni ; et si vous lisez cette partie du chapitre plus tard, probablement que, comme d’autres, vous serez étonnés que 3000 hommes soient considérés comme responsables, mais qu’Aaron est épargné… Nous, ce matin, nous allons nous arrêter sur la première version de cet épisode, dans les 14 premiers versets du chapitre.
Cela ne fait pas très longtemps que la sortie d’Égypte a eu lieu. Après des siècles d’esclavage, après des siècles de supplications, les choses se sont accélérées quand Moïse, accompagné de son frère Aaron, a été envoyé par Dieu pour demander au Pharaon de libérer le peuple hébreu. Vous le savez, comme dans toutes les situations d’oppression, le maître a refusé. Il a fallu insister, il a fallu les dix plaies pour que, finalement, le Pharaon cède. Et la fragilité de sa décision a nécessité que les descendants des douze fils de Jacob partent précipitamment. De fait, le dirigeant égyptien s’est vite ravisé, a lancé son armée à la poursuite des anciens esclaves. Il a fallu la traversée de la mer des Joncs pour que le peuple soit réellement libre, hors de portée des soldats qui d’ailleurs ont été engloutis par les eaux. Peut-on imaginer la joie ressentie par les Israélites ? C’était en Exode 14.
Mais les préoccupations quotidiennes reprennent vite le dessus, avec le besoin d’eau et de nourriture, auxquels Dieu répond, notamment, par des sources jaillissantes, par la manne et par les cailles. On voit que très rapidement, la reconnaissance pour la liberté offerte est placée au second plan, pour des récriminations envers Moïse et envers Dieu.
En Exode 20, Moïse s’avance au devant de Dieu, sur une montagne ; et Dieu donne alors les Dix Paroles que vous connaissez bien, que nous appelons souvent les Dix Commandements. Car vivre libre, cela ne s’improvise pas, et convenir de certaines règles, de certaines modalités de relations entre les êtres humains, mais aussi entre chacune et chacun et Dieu, oui, convenir de bonnes pratiques, cela se révèle non seulement utile mais vital. En ouverture de ces Paroles, il y a ce « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est un », que nous avons chanté, et qui affirme que ce Dieu de la sortie d’Égypte, ce Dieu non seulement est exclusif, mais ce Dieu est suffisant. Après ces éléments fondateurs et fondamentaux, Moïse reçoit de Dieu des éléments plus précis de l’Alliance dans laquelle Dieu s’engage au même titre que le peuple. Pendant de longs chapitres, l’Exode nous rapporte ces prescriptions que Dieu transmet à Moïse pour son peuple. Les chapitres sont longs, et d’ailleurs, au pied de la montagne, le peuple commence à s’impatienter. Que fait Moïse ? Quand reviendra-t-il ? Et même… reviendra-t-il ?
Le doute se répand et le peuple, probablement pas loin de la panique, s’adresse à Aaron. Sa proximité avec Moïse et son rôle de prêtre en font un recours. Lui, il est resté près d’eux. Mais je suis quand même un peu perplexe devant la demande qui lui est adressée. Car c’est Moïse manque… et les Hébreux réclament qu’Aaron leur fabrique « des dieux qui marchent devant [eux] ». Moïse n’était ni un dieu, ni « des dieux », alors en quoi la fabrication de dieux au pluriel répondrait-elle à l’absence de Moïse ? Il faut peut-être alors se rappeler que l’environnement de ce récit diffère de nos compréhensions des choses. Nous, nous croyons que nous pouvons nous adresser directement à Dieu, qu’il est présent même si nous ne le voyons pas. Pour le peuple israélite, en revanche, il y avait cette nuée indiquant la présence de Dieu et servant de guide, et Moïse était aussi l’intermédiaire, le médiateur, qui assurait la communication entre Dieu et eux… Sans Moïse, la communication semble impossible et, apparemment, la présence de Dieu est sujette au doute, encore le doute…
Autre sujet d’étonnement : Aaron ne fait aucune objection à cette demande problématique. Non seulement il ne rappelle pas ces paroles des Dix commandements concernant le fait de ne pas avoir d’autres dieux, ni l’interdiction de faire des statues ou des formes de ce qui est dans le ciel, mais en plus il accorde du crédit à l’idée qu’un objet fabriqué par des mains humaines puisse être une divinité. Qu’elle semble loin, la sortie d’Égypte, la libération de l’esclavage, la traversée de la mer ! En fait, le comportement d’Aaron expose nos fragilités : seul, perçu comme un recours, il ne résiste pas à la pression du nombre. Lâcheté ordinaire, dont nous sommes nous aussi bien capables… Dès lors, on ne perd pas de temps : récolte des bijoux en or, fonte et façonnage, au burin nous précise-t-on… Puis édification d’un autel… et, le lendemain, sacrifices, festin mais aussi divertissements plus ou moins respectables… Notre texte dit qu’« ils s’amusèrent », et la connotation n’est pas forcément positive.
C’est Dieu qui informe Moïse de ce qu’il se passe au pied de la montagne. L’envoyé du Seigneur doit descendre, sachant que Dieu est en colère, et qu’il annonce une sanction définitive. Mais la promesse de faire de Moïse une grande nation est pourtant ré-affirmée ; comme Noé, même s’il s’agit ici de faire disparaître un peuple et non toute la création, Moïse serait l’élément non compromis qui permettra un nouveau départ, un nouveau recommencement. Le patriarche, cependant, n’entame pas tout de suite sa descente, son retour. Il va « cherch[er] à apaiser le Seigneur, [s]on Dieu », dans une négociation qui peut faire penser, elle, à celle d’Abraham en faveur de Sodome (Genèse 18). Moïse utilise deux arguments. Le premier, c’est que si Dieu fait disparaître son peuple, le regard des autres peuples sur Dieu – et sur Israël – sera ravageur. Une telle libération suivie rapidement d’une extermination, n’est-ce pas folie, n’est-ce pas absurdité, n’est-ce pas ridicule ? Le deuxième argument, c’est de rappeler à Dieu ses promesses envers les patriarches Abraham, Isaac et Jacob, ses promesses de fécondité, de descendance multiple prospérant sur la Terre promise, et ce, pour l’éternité. Je ne sais pas si Dieu était préoccupé de sa réputation. Mais l’engagement pris et répété, voilà quelque chose qui constitue un frein à sa colère. Et notre extrait se termine avec le renoncement à la sanction envisagée. Moïse, qui n’est pas encore redescendu, a obtenu la grâce, le pardon, pour ses compatriotes.
Encore une fois donc, les erreurs humaines ne seront pas suivies de toutes leurs conséquences devant Dieu, car encore une fois, Dieu va faire le choix d’un amour bienveillant, d’un pardon radical, d’une grâce infinie. Bonne nouvelle donc pour nous aussi : car nous avons sûrement vécu de petites ou grandes sorties d’Égypte, des délivrances enthousiasmantes ; car nous avons certainement pris alors des engagements, dans le secret de nos cœurs ou publiquement, et nous avons échoué à tenir de tels engagements, à vivre pleinement et durablement sur la lancée de la libération, à l’aide des balises pourtant bien identifiées… Selon nos visions de Dieu, ce dernier serait en droit de se mettre en colère, la colère n’étant pas opposée à l’amour (au contraire même, on ne se met pas en colère contre quelqu’un ou quelque chose qui n’a aucune importance pour nous) ; ou, peut-être pire, Dieu pourrait se détourner de nous, découragé, désespéré même. Mais non, malgré nos fragilités, malgré nos faillites dues à la panique ou à la peur d’être isolé, nous pouvons être pardonnés. Nos erreurs peuvent quand même entraîner des conséquences désagréables, mais Dieu ne nous abandonnera pas.
Sur un plan peut-être un peu moins existentiel, peut-être plus concret, ce récit nous invite certainement à un regard lucide sur nous-mêmes. Comme Aaron, succombons-nous à l’envie de plaire ou – c’est presque pareil – à la peur de déplaire ? Comme le peuple, nous arrive-t-il de nous impatienter, de paniquer et d’essayer de nous rassurer à bon compte, en faisant fabriquer ou en élaborant nous-mêmes des substituts humains à la place de Dieu ?
Dans les épreuves que nous traversons, nous prenons parfois la discrétion de Dieu pour un silence, ou même pour une absence. Notre impatience nous fait perdre de vue tout ce qui a déjà été donné, des promesses et leurs accomplissements, une libération complète et une bénédiction infinie. L’inquiétude nous fait prendre des décisions mal ajustées ou franchement mauvaises. Peut-être devons-nous nous aider mutuellement, dans de telles situations, pour rappeler à Dieu ses promesses et sa bonté, ou pour nous rappeler les uns les autres, que notre Dieu est digne de confiance. Aujourd’hui, héritiers de ce qu’a accompli le Christ, nous avons toujours davantage de preuves de son amour et de sa fidélité. Alors oui, que par son Esprit, Dieu nous maintienne dans le chemin qu’il nous propose d’emprunter pour vivre conformément à ses souhaits de bonheur pour nous. Amen.