Cet Évangile dont nous avons tant besoin

Culte du dimanche 9 janvier 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique: Tite 3,4-7




Chers amis,

Dans le Nouveau Testament, il n’y a pas moins de 21 lettres ou épîtres, dont les plus importantes, en nombre, en volume et dans nos traditions théologiques, sont attribuées à l’apôtre Paul. Plusieurs d’entre elles sont adressées aux premières communautés chrétiennes, situées dans une ville ou une région, puis ces textes ont été copiés et diffusés à d’autres destinataires, au point qu’elles sont devenues des « circulaires ». Du coup, nous ne prêtons pas toujours attention à quelques détails. Par exemple, la courte lettre à Tite est rédigée à l’attention d’un homme, Tite, que l’on pense être un proche collaborateur de Paul, et qui a la charge de l’annonce de l’Évangile sur l’île de Crête. Tite exerce un ministère que le fonctionnement de notre Église protestante unie de France ne prévoit pas, de par sa logique de desserte territoriale. Tite est ce qu’on appelle, dans d’autres unions, un « implanteur d’église ». C’est un ministère important, et dans certaines facultés de théologie en France, il existe des formations spécifiques pour l’exercer. La mission de l’implanteur d’Église présente des points communs et des différences avec celle d’un évangéliste, mais aussi avec celle d’un – ou d’une – pasteur-e. Mais ces différences peuvent aussi devenir de moins en moins visibles, quand la présence de la communauté dans la société s’estompe. Le noyau de la communauté doit être édifié de façon à rayonner, à témoigner plus largement dans la société. Il y a des questions d’organisation à régler, elles sont abordées dans ces lettres. C’est visiblement le cas en Crête, où différentes difficultés, différents troubles sont évoqués. Mais surtout, le cœur de l’Évangile doit être proclamé sans relâche. C’est ce qui est fait dans le passage que nous avons lu. L’auteur de l’épître cherche à rappeler à Tite l’essentiel de sa mission et de son message.

Les quatre versets entendus forment trois phrases dans la traduction que j’ai utilisé, mais en grec, il s’agit d’une seule et unique phrase. Les spécialistes considèrent que cette phrase pourrait être reprise, peut-être adaptée d’un ancien cantique, ou d’une confession de foi, ou encore d’une liturgie de baptême. Ce n’est évidemment pas le seul passage dans la Bible où nous trouvons probablement des extraits de ce qui faisait partie des célébrations des premières communautés croyantes.

En tous cas, dans ces versets, nous retrouvons bien un condensé de la foi chrétienne telle que Paul l’exprime : trois fois, il est affirmé que Dieu nous sauve. Et cette délivrance se comprend d’autant mieux qu’au verset précédent notre passage, l’auteur rappelle que les croyants étaient « esclaves de toutes sortes de désirs et de plaisirs ». Il ajoute : « nous vivions dans la méchanceté et l’envie, nous nous rendions détestables et nous nous haïssions les uns les autres. » Autrement dit, Dieu libère celles et ceux qui sont prisonniers de situations que l’on pourrait qualifier d’addictions, en tous cas prisonniers de nos travers humains (comme l’orgueil, la cupidité…), prisonniers de notre amour fraternel bien faible et infiniment sélectif. La Bonne Nouvelle provoque bien ici une distinction forte entre l’avant et l’après, avec comme élément charnière le don de la grâce, le baptême comme « bain de la nouvelle naissance » et « renouvellement par l’Esprit Saint. » Mais s’il y a une distinction forte, le texte ne suggère pas qu’il s’agisse uniquement d’une conversion soudaine ; l’action transformatrice de Dieu dans la communauté, mais aussi en chacun de nous, peut s’inscrire dans la durée. Surtout, cette charnière, le don de la grâce, le baptême, constitue en fait un véritable seuil vers une existence profondément renouvelée, une autre existence.

L’Évangile permet donc de tourner la page du passé, comme nous aimerions tous tourner aussi tôt que possible celle de la pandémie. Surtout, l’Évangile, cette nouvelle naissance et ce renouvellement spirituel, nous rend justes devant Dieu. Nous ne sommes plus condamnés, mais nous avons été graciés. Nous n’avons plus aucune peine à subir, nous sommes dès à présent ré-insérés dans la Création de Dieu, celle qui lui avait fait dire : « cela est très bon ». Nous sommes dès à présent reconnus comme dignes d’être pleinement des enfants de notre Seigneur. L’auteur de l’épître à Tite dit que « nous devenons héritiers », ce qui, déjà dans l’Antiquité, est une bénédiction. Être héritier, c’est avoir une identité, des racines, mais aussi savoir que nous aurons des ressources à notre disposition pour donner de nouveaux déploiements à quelque chose qui nous dépasse, quelque chose que nous avons reçu, et quelque chose que nous espérons transmettre, partager, à d’autres personnes qui nous sont chères.

« Nous devenons héritiers de la vie éternelle que nous espérons. » La notion de vie éternelle demeure mystérieuse à travers les siècles. Ce que j’ai mis en avant jusqu’à présent, c’est que cette vie renouvelée, cette vie en plénitude, cette vie ouverte sur de très nombreux possibles, cette vie est celle dans laquelle nous sommes : c’est un présent, devenu différent par la grâce de Dieu. Cette vie éternelle commence à se déployer pendant notre existence terrestre. Mais ne réduisons pas la vie éternelle, la vie nouvelle avec le Christ, à ce qui nous est perceptible de notre vivant. N’oublions pas ce qui constitue une espérance forte de la foi chrétienne : il y a bien quelque chose au-delà de notre passage sur Terre, et ce quelque chose relève bien d’un héritage attendu. Et cette espérance est d’autant plus importante et nécessaire que les peurs sont nombreuses, car cette espérance peut être motrice dans nos efforts pour rendre le monde meilleur, plus humain. Pour le dire autrement, même si nous sommes déjà sur le seuil du Royaume, c’est bien parce que nous avons l’espérance que nous y séjournerons vraiment heureux que nous essayons de le faire advenir. C’est bien parce que nous rêvons de cette vie en plénitude avec Dieu, de ce règne de l’amour fraternel, que nous trouvons en nous, par le Saint Esprit, l’énergie et l’audace pour œuvrer, à notre place et selon nos moyens, pour davantage de justice, et moins de souffrance.

Ce passage de Tite constitue donc une synthèse de l’Évangile. Comme je le disais tout à l’heure, certains considèrent que ces quelques versets sont peut-être des extraits de textes liturgiques prononcés dans certaines des premières communautés chrétiennes à l’occasion d’un baptême. Dans d’autres parties de cette lettre à Tite, nous apprenons que les hommes et les femmes qui confessaient Jésus comme le Christ sur cette île de Crête où Tite exerçait son ministère, ces hommes et ces femmes étaient partagés, divisés en plusieurs clans. Autrement dit, même baptisés, même au bénéfice de cette nouvelle naissance, les Crétois restent des humains qui ne parviennent pas à maintenir une communion durable et plurielle. Ce sont les Crétois dans l’épître à Tite, mais c’est l’histoire, en fait, de multiples communautés chrétiennes, c’est l’histoire de très nombreux groupes humains. Comme dans notre société, il est certain qu’il existe des clivages dans notre paroisse. Il suffirait de parler politique, d’autant que d’importantes élections sont prévues cette année. Mais le simple sujet des mesures sanitaires adoptées dans le cadre de la pandémie qui nous affecte est déjà tellement explosif que nous espérons vivement ne pas avoir à en parler entre nous, de peur d’être déçus par l’avis de celles et ceux que nous apprécions, de nous fâcher, voire de ne plus arriver à nous percevoir comme des frères et des sœurs !

En lisant ces quelques phrases adressées à Tite, nous sommes invités à nous rappeler que notre identité en Christ, notamment rendue visible par notre baptême, cette identité est bien plus importante que nos étiquettes pour ou contre tel ou tel passe, pour ou contre tel ou tel vaccin, pour ou contre la croissance, pour ou contre la sobriété, etc. Être libéré de notre passé, de nos tendances égoïstes, de nos addictions, c’est aussi être libéré de ces identités sociales qui nous retiennent prisonniers. Et cette libération n’est pas un événement unique survenu le jour de notre baptême, mais bien une dynamique qui se renouvelle, qui se produit à chaque fois que nous voyons dans notre prochain un frère ou une sœur, baptisé ou non, mais un frère ou une sœur également gracié par le Christ, également héritier de la vie éternelle.

En quelques mots, voici la Bonne Nouvelle condensée : nous sommes sauvés, car Dieu a eu compassion de nous ; nous avons été renouvelés par l’Esprit Saint ; notre identité en Christ nous ouvre dès aujourd’hui à une vie en plénitude, qui n’est que le prélude de la vie éternelle qui nous est promise et que nous contribuons à faire advenir. Enfin, cette même identité en Christ nous appelle à une adelphité qui doit dominer sur nos clivages sociétaux du moment. Alors oui, dans ce début d’année si troublé, ressourçons-nous à cet Évangile, et partageons-le à notre monde : nous en avons tous besoin ! Amen.

Adaptation d’une trame d’Edgar ‘ »Trey » Clark III dans Interpretation, 2021, vol 75(4).

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