Culte du dimanche 20 février 2022
Prédication par Gérard et Nadine Perrier
Textes bibliques : 1 Samuel 26 et Luc 6,27-38
Dans l’évangile de Luc, il était impossible de faire l’impasse sur ce « Sermon dans la Plaine », qui fait écho au Sermon sur la Montagne de l’évangile de Matthieu. Oui, c’est impossible tant le message que Jésus délivre là est important. Effectivement la logique des justices humaines est de punir celui qui fait une faute, c’est de faire du mal à celui qui a fait du mal. C’est la normalité de notre monde. Ici Jésus développe un autre esprit, celui des béatitudes avec une suite de verbes à l’impératif. Comment ne pas voir en filigrane dans ces commandements le chemin qui s’amorce vers Jérusalem et vers la Croix. On assiste à une surenchère dans le sens de l’apaisement, de la justice sociale, de l’abaissement, de l’humilité. Jésus se place en pédagogue face à ceux qui sont là et qui l’écoutent car il sait bien qu’il exige quelque chose d’extrêmement difficile, « aimer ses ennemis ».
Et si ce Sermon fait l’effet d’une bombe, avec cette injonction d’«aimez vos ennemis » ? C’est qu’il fait éclater les repères de son époque, Qu’il fait éclater les repères religieux, éthiques, sociétaux, humanistes. Tout comme nous aujourd’hui, l’auditoire de l’époque à travers ces versets, se « fait bousculer ». On a souvent exploité ces versets pour donner de Jésus l’image caricaturale d’un idéaliste de l’amour et de la non-violence, un « peace and love ». Et on l’apparente volontiers aux démarches d’hommes pacifistes comme Gandhi ou Martin Luther King.
Certes, ce message peut être compris comme cela, mais ce qu’il dit ici percute, aussi dans d’autres sens du terme. C’est à mon avis un brin provoquant et je trouve Jésus un peu joueur car, il sait que ce message c’est quelque chose d’extrêmement difficile à faire, voire impossible à tenir.
Et je trouve qu’il s’amuse sur plusieurs versets, il nous « charrie » comme au verset 32 : Si vous aimez ceux qui vous aiment, il n’y a pas de quoi vous dire merci ! Si vous faites du bien à ceux qui vous font du bien, il n’y a pas de quoi vous dire merci ! Ben oui évidemment !
Aimez vos ennemis ! En trois mots, Jésus désamorce « la violence qui répond à la violence ». Il redistribue les cartes d’une humanité qu’il veut respectueuse, de l’autre, il veut là, également déconstruire l’image violente de Dieu qu’on connaît dans l’Ancien Testament, qu’il nous révèle ici comme un père bon, sensible à la douleur des humains, plein d’humanité et qu’il nous invite à imiter.
Aimer ses ennemis ! Ces trois mots sont la clef qui ouvre ensuite la compréhension de tout ce passage.
Au verset 29 : Quand quelqu’un te frappe sur une joue, tends lui aussi l’autre joue.
Alors, vous vous souvenez de la Loi du Talion, Œil pour œil, dent pour dent, c’était la solution que l’on avait trouvé dans l’Ancien Testament pour enrayer le cercle vicieux de la violence. Mais Jésus pense que, cette loi a fait son temps. Il pense qu’il est temps de repenser les choses différemment.
Ce travers humain qui incite à se venger en faisant encore plus mal, a donné sa légitimité à la justice et aux tribunaux, qui, à minima, maintenaient ainsi l’équilibre des plateaux de sa balance. La sentence prononcée était proportionnée au mal subit, c’est encore le cas aujourd’hui, la victime n’a plus aucune raison de riposter.
Jésus pense qu’il faut déminer la violence et en disant « tend l’autre joue » c’est envoyer un message d’apaisement et de dialogue à l’adversaire. Cette réponse, cette façon de faire, brise ce cercle vicieux de la vengeance avant qu’il soit question de justice et de tribunal. C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui une tentative de conciliation. Il faut oser le faire mais qu’est ce qu’on risque ? En théorie, cette réponse est pensée pour désarmer l’adversaire mais aussi lui montrer que la porte est ouverte à la discussion. Aujourd’hui quand il y a désaccord entre deux partis, cette formule est prévue par les textes juridiques et peut être utilisée. Elle peut surprendre l’adversaire, elle l’oblige à changer son regard, sur la personne mais aussi sur son acte.
Facile à dire mais plus dur à faire ! D’ailleurs aujourd’hui, beaucoup de tentatives de conciliation ne permettent pas de trouver un terrain d’entente et n’aboutissent pas favorablement. Et comme Jésus n’est pas à court d’idée, il nous dit aussi au verset 31 : Faites pour les autres tout ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous. C’est la règle de la réciprocité. Nous sommes plutôt d’accord avec cette attitude bienveillante et empreinte de respect envers l’autre. Et cette règle nous paraît d’autant plus accessible qu’elle semble être de la sagesse populaire.
Pour ma part, je connais mieux la phrase « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent », Jésus ici n’utilise pas la forme négative mais la forme affirmative et impérative :
« FAIS aux autres ce que tu voudrais qu’on te FASSE ». Ces quelques versets nous ordonnent d’avoir un regard d’humanité envers l’autre, de lui faire le bien ! « Faire le bien », Nous allons retrouver cette formule dans notre passage pas moins de trois fois :
Faites du bien à ceux qui vous haïssent, Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance vous en a-t-on ?
Mais aimez vos ennemis et faites du bien. Et s’en suivent une série d’exhortation à agir :
• Bénis ceux qui te maudissent,
• Donne et ne réclame pas,
• Prête sans rien espérer en retour, et enfin
• Soyez plein de bonté, et généreux comme votre Père est bon et généreux.
Comme vous le voyez, il ne nous est pas dit de rester passifs et d’attendre que l’autre se calme s’il veut bien se calmer ! Il nous dit de prendre l’initiative pour ne pas alimenter la spirale et l’escalade de la vengeance, mais de se montrer bienveillant là où la haine cherche à avoir le dessus, il nous demande d’avoir des attitudes ou des mots qui vont permettre à l’adversaire de s’apaiser. Il nous explique que cette solution c’est pour témoigner de la dimension active d’un amour du prochain et d’une vie conforme aux exigences de Dieu.
Nous devons être actifs, et même anticiper cette attitude bienveillante et généreuse envers celui ou ceux qui nous veulent du mal, sans oublier ce qu’il y a de bon, ce qu’il y a d’humain chez son adversaire.
Martin Luther King, affirmait « Jésus ne nous demande pas de trouver nos ennemis sympathiques ». Effectivement, aimer ses ennemis, ça ne veut pas dire être d’accord avec eux, avec ce qu’ils font, ce n’est pas se rallier à leur cause. D’ailleurs si nous avions poursuivi la lecture dans Samuel au chapitre 27, David continue de se cacher et de fuir Saul et son armée et il se dit même « un jour ou l’autre, Saül finira par me tuer ». Nous aussi nous devons rester lucides sur les intentions de nos ennemis. Nous devons les combattre, mais sans les juger, en respectant en eux ce qu’il y a d’humain.
Chaque être humain est constitué de la même façon, de la même biologie, la même humanité, les mêmes espérances. Nous aspirons tous où que nous soyons sur cette terre à vivre dignement et avoir un avenir dans un monde en paix.
En tant que disciples, en tant que chrétiens, notre place n’est pas du côté de ceux qui jugent, qui condamne, qui exigent réparation. Notre place est du côté de ceux qui, changent leur regard sur l’autre et sur ses actes, l’invite à remettre en question son regard sur nous, et sur la légitimité de sa violence.
Je le disais au début de cette prédication, comment ne pas lire dans ce passage le récit de la passion du Christ qui ne s’est ni défendu, ni débattu et qui s’est laissé détruire jusqu’à la mort sur la croix ? Comment ne pas entendre ce « Père, pardonne-leur » lancé par Jésus du haut de la croix.
Car en changeant ainsi notre regard sur nous et sur les autres, nous sommes amenés à changer aussi le regard que nous portons sur Dieu. Et c’est là un nouvel enjeu de ce message que Jésus nous donne. Au verset 36 : « Soyez plein de bonté comme votre Père est plein de bonté. »
Ne jugez pas les autres et Dieu ne vous jugera pas, ne condamnez pas et Dieu ne vous condamnera pas… Refuser l’engrenage de la vengeance, c’est stopper la logique de haine de notre société. Et c’est faire le deuil de l’image d’un Dieu violent, un Dieu qui juge ou qui punit à la mesure de ce que nous avons fait de bien et de mal.
« Alors votre récompense sera grande », dit Jésus « et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants. »
Nous sommes faits à l’image de Dieu et nous devons essayer de l’imiter. Au verset 38 il nous est dit : « On versera beaucoup de grains dans la poche de votre vêtement, les grains seront bien serrés et ils déborderont ! »
En effet Dieu vous donnera comme vous donnez aux autres. Si nous comprenons que cette bonne mesure bien tassée qui nous est donnée est le symbole de sa grâce qui déborde de toute part, si nous croyons que ce cadeau est offert à tous sans restriction, alors nous pouvons nous défaire de cette image d’un Dieu qui serait juge en dernière instance de tous nos actes. Il faut se défaire de nos modèles d’Église autoritaire et moralisatrice. Une Église qui a souvent adopté une attitude de restriction et de refus face aux évolutions de notre société. (Par exemple le droit à l’avortement, la bénédiction de mariage de couples homosexuels…)
Ce commandement d’aimer nos ennemis n’est pas un ordre auquel il faut obéir sous peine de représailles. Ce n’est pas non plus tendre vers un mode de vie héroïque qui vise la perfection. Nous en sommes bien incapables et Dieu ne nous demande pas l’impossible !
Ce commandement d’aimer nos ennemis est le cœur de la Bonne Nouvelle de l’Évangile. Nous avons là, l’assurance que Dieu, dans son amour, ne répondra pas par la punition si nous sommes défaillants. Voilà donc une nouvelle extraordinaire qui nous libère, qui nous ouvre un chemin de vie où nous nous découvrons nous aussi aimés, compris, respecté dans notre humanité, et pardonnés.
Le verset 37 nous le redit « pardonnez-leur et Dieu vous pardonnera ». Donner le pardon ne veut pas dire oublier mais avec ce pardon nous allons dépasser la rancune, la haine et même peut-être un désir de vengeance.
Dans le 1er livre de Samuel chapitre 26 que nous avons lu, nous voyons que David ne se laisse pas griser par la haine et la vengeance envers Saul. Il lui laisse la vie sauve et lui aussi, bon joueur, va lui faire remarquer qu’il a respecté sa vie et lui dit d’envoyer un de ses serviteurs pour chercher sa lance ! D’ailleurs David lui dit « Je n’ai pas voulu te faire de mal parce que tu es le roi consacré par le Seigneur, aujourd’hui ta vie a été précieuse pour moi ».
Ça fonctionne, du moins pour un temps car Saul reconnaît qu’il a eu tort, qu’il a agi comme un fou, qu’il s’est trompé et s’engage devant David à ne plus lui faire de mal. Et là aussi comment ne pas voir en filigrane le début de la conversion de celui qui deviendra plus tard – Paul – puisqu’au verset 25 Saul prononce ces paroles de foi et dit à David « Que le Seigneur te bénisse, tu feras de grandes choses et tu réussiras sûrement… ».
Cette grâce, ce cadeau est aussi un virulent appel à la vie, à la puissance de la vie et de l’amour pour qu’ils l’emportent sur la mort et sur la haine de nos ennemis. Cette grâce, ce cadeau est aussi pour nous aujourd’hui, pour que la fraternité et la bienveillance triomphe de nos vies. Amen