Utiles ?

Prédication du dimanche 2 octobre 2022 au temple d'Annonay, avec la délégation des paroisses protestantes de Backnang.

Culte du dimanche 2 octobre 2022 / Réception de la paroisse allemande de Backnang

Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique: Luc 17,5-10

Vidéo de l'intégralité du culte

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Frères et sœurs ,

 

Peut-être vous arrive-t-il parfois de marquer un temps d’arrêt, et de penser à ce que vous venez de faire, ou êtes en train de faire. Soudain, vous vous interrogez. Est-ce utile ? Est-ce que cela sert à quelque chose, à quelqu’un, est-ce que cela a du sens ? Ces questions peuvent aussi être les nôtres même quand nous ne sommes pas directement impliqués.

 

Par exemple, début septembre, des milliers de délégués de plus de 350 Églises chrétiennes du monde entier se sont retrouvés pour l’Assemblée du Conseil œcuménique des Églises, Assemblée qui se réunit tous les 8 ans. Parmi les membres de cette organisation, qui y ont envoyé des délégués, on trouve l’Église protestante unie de France, ainsi que l’Église évangélique luthérienne du Wurtenberg, par son rattachement à l’Église évangélique en Allemagne. Pour nous, à Annonay, l’événement de cette Assemblée de septembre nous semble loin de nos réalités. Il n’en est pas de même pour nos amis de Backnang, et ce, déjà, parce que Backnang est à moins de 100 kilomètres de la ville de Karlsruhe, où se tenait ce rassemblement. Il y a même eu un culte partagé entre les paroissiens de Backnang et des délégués à l’Assemblée.

 

8 September 2022, Karlsruhe, Germany: Participants in the closing prayer service of the 11th Assembly of the World Council of Churches, held in Karlsruhe, Germany. The August 31-September 8 Assembly’s theme is « Christ’s Love Moves the World to Reconciliation and Unity. »

 

Certains parmi nous se sont probablement émerveillés de ces instants durant lesquels l’universalité de l’Église leur a été perceptible. Pour d’autres parmi nous, qui n’ont pas pu partager cette expérience, il est tentant de se demander à quoi servent de telles rencontres, à quoi servent, peut-être, de telles organisations… La question peut correspondre à une marque d’intérêt, une façon de dire qu’on aimerait en savoir plus. Mais souvent, si nous ne comprenons pas rapidement l’utilité de ces rassemblements et structures, nous doutons que cela nous concerne, et même davantage, que leur existence soit nécessaire. Sur le plan international encore, ne nous arrive-t-il pas de déplorer les limites de l’Organisation des Nations Unies, de regretter leur impuissance à prévenir les conflits et à organiser la solidarité entre les peuples ? Ne nous y trompons pas, le monde serait bien pire sans ces lieux de dialogue et de négociation…

 

Mais revenons à ce qui nous est proche. Tout ce que nous faisons est-il utile ? Tous les efforts que nos communautés engagent sont-ils nécessaires ? Oui, dans notre contexte de déclin lié à la diminution de la pratique religieuse et même d’un processus de déchristianisation, nous sommes préoccupés, soucieux, et il faut bien le reconnaître, nous éprouvons de la fatigue, parfois même du découragement. A quoi bon… Parfois, nous pensons : « Ah, si Dieu pouvait nous donner un peu plus de ceci, un peu plus de cela… » Ou même, s’il pouvait nous donner beaucoup d’hommes et de femmes en recherche et désireux de partager un bout de chemin avec nous, beaucoup de familles avec enfants pour égayer notre présent et nous rassurer pour l’avenir, beaucoup de personnes compétentes, disponibles et prêtes à s’investir…

 

Dans notre situation de dénuement, nous pourrions en effet vivre notre foi comme une espérance un peu folle que Dieu pourvoit à tout. C’est vrai, la confiance est fondamentale, et quand nous regardons tant notre passé qu’aujourd’hui, nous constatons qu’en effet, Dieu nous a déjà donné beaucoup. Alors oui, s’il pouvait aussi donner demain… Nous aimerions pouvoir nous laisser porter, et bien vivre ce lâcher prise avec… « plus de foi » ! Même les Douze ont demandé à Jésus qu’il leur accorde davantage de foi, qu’il augmente leur foi ! Que leur a-t-il répondu ? Que s’ils en avaient une quantité infime, à peine visible, eh bien ils pourraient obtenir d’un arbre qu’il se déracine puis qu’il se plante dans la mer. Impressionnant, ce qu’un peu de foi permettrait… Mais… à quoi cela servirait-il ? Quelle utilité y a-t-il à ce qu’un arbre, un mûrier selon certaines traductions, quelle utilité à ce qu’un arbre prenne racine dans la mer ? Aucune, ce scénario de Jésus est absurde, et il nous interpelle. Que ferions-nous de « plus de ceci », de « plus de cela », même s’il est question de foi ?

 

D’ailleurs, dans la suite de sa prise de parole, Jésus nous invite à aller plus loin dans cette réflexion du nécessaire et de l’utile, et ce, en faisant référence à la situation d’un maître et d’un esclave ou serviteur. Par une série de questions à ses interlocuteurs, Jésus les conduit d’abord à se demander où s’arrête le service. Dans nos relations humaines, quelles limites mettons-nous pour distinguer ce qui relève normalement de la mission de l’un ou de l’autre ? Il est intéressant de remarquer que nous ne donnons pas la même réponse selon notre situation : sommes-nous celui ou celle qui est servi ? Ou celui ou celle qui sert ? Dans la situation que Jésus met en scène, il semble normal que les besoins du serviteur ne soient pris en charge uniquement quand ceux de son maître auront été pleinement satisfaits, et il semble aussi normal que le maître n’ait pas à témoigner de reconnaissance particulière pour le travail accompli. Et Jésus, soudain, rend cette position bien plus troublante, quand il renverse les rôles qu’il avait suggéré au début. Au début, il avait suggéré que l’on se place du côté du maître ; mais, à la suite du Christ, sommes-nous des maîtres, sommes-nous des serviteurs ? A la suite du Christ, qu’est-ce qui est « utile », qu’est-ce qui est « normal » ?

 

Avons-nous besoin de davantage de foi ? Si oui, pourquoi faire ? Avons-nous besoin d’être remerciés, gratifiés ? Qu’est-ce que cela change ?

 

En effet, l’expression que Jésus emploie à la fin de ce texte, l’expression de « serviteurs inutiles » nous trouble. Suivre le Christ, est-ce accomplir notre devoir et ne rien attendre en retour ? Cette interrogation ouvre deux champs d’introspection. D’abord, à quoi ai-je été appelé, et suis-je fidèle à cet appel ? Ne l’oublions pas, dans l’histoire racontée par Jésus, le serviteur a travaillé au champ, puis a cuisiné, habillé son maître et il lui a servi le repas. Plus tard dans l’évangile, au chapitre 22, arrivé à Jérusalem avant la Passion, Jésus recommande à ses amis de se faire les serviteurs les uns des autres. Cette recommandation sera suivie d’un repas où il n’est, en effet, plus leur maître, où tous, maîtres et serviteurs, partagent un repas à la même table. Aujourd’hui encore, nous sommes dans les lendemains de Pâques, c’est-à-dire que nous sommes dans le temps inauguré par ce repas de la Cène, ce temps où le Christ nous invite à sa table. Jusqu’à où répondons-nous donc à cet appel à nous faire les serviteurs les uns des autres, comme le Christ s’est mis à notre service ?

 

Deuxième réflexion, autour de la reconnaissance, de la gratification. Dans notre monde humain, nous aimerions que toute peine mérite salaire. Cela nous semble juste. Mais dans sa petite histoire, Jésus place la question du « dû » du côté du serviteur, et non du maître. Et nous revenons donc à la première interpellation : accomplissons-nous vraiment tout ce qui est à notre portée ? Bien sûr, nous n’y parvenons pas, et parfois même nous n’essayons même pas !

 

Frères et sœurs, en constatant que nous sommes loin du compte dans notre service des autres et de Dieu, il ne s’agit pas de nous accabler, mais bien, au contraire, de percevoir que nous pouvons être libérés de cette logique dangereuse de faire pour obtenir, de s’engager en attendant de recevoir, d’être au service pour espérer être reconnus. Si nous ne sommes pas dignes d’être remerciés, Jésus nous invite pourtant à sa table, autour d’un repas comme celui que nous partagerons dans quelques instants. Jésus nous encourage à nous reconnaître mutuellement comme des serviteurs. Des serviteurs certes imparfaits, certes loin d’être héroïques, mais des serviteurs parce que jugés dignes, malgré tout, d’approcher le maître et de manger à sa table, avec lui. Nos efforts nous donnent-ils droit à la reconnaissance et à l’amour de Dieu ? Non, car Dieu nous aime gratuitement. Nous n’y sommes pour rien. Réjouissons-nous donc de cette table de fête qui nous rassemble et à laquelle nous sommes accueillis à bras ouverts par le Christ lui-même.

 

Pour finir, revenons à nos questions de départ. Qu’est-ce qui est utile, qu’est-ce qu’il est normal d’attendre pour ce que nous accomplissons ? Devant Dieu, un commencement de foi suffit pour que beaucoup de choses deviennent possibles. Devant Dieu, nous n’avons qu’à recevoir cette belle identité de serviteurs. Entre nous, nous avons besoin de reconnaissance mutuelle, et nous sommes appelés à en témoigner les uns envers les autres. En ce week-end significatif pour nos deux églises, réjouissons-nous de cette dignité qui nous est donnée en partage, cette dignité de serviteurs imparfaits du Christ. Même imparfaits, nous sommes appelés à partager ce qui nous fait vivre, à être ensemble utiles pour la Bonne Nouvelle. Que ce soit notre joie et notre horizon ! Amen.

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