Rêver de paix et de justice, vivre de l’Esprit

Prédication du dimanche 4 décembre 2022 à l'Espace Marie Durand.

Culte du dimanche 4 décembre 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Textes bibliques : Ésaïe 11,1-16 ; Matthieu 3,1-12




Chers amis,

Pendant la première partie de ce culte, je vous ai proposé de rendre un peu plus concrètes les paroles de Jean Baptiste telles que l’évangéliste Matthieu nous les rapporte. En ce temps de l’Avent, c’est parfois bien à un vrai demi-tour auquel nous sommes appelés. Dégager les obstacles pour faciliter la venue de celui que nous espérons, qui nous est promis, observer comment la lumière fait déjà reculer les ténèbres, sont deux autres gestes que nous avons effectué. Alors oui, il vient. Qui ça ? Et qu’est-ce que cela va changer ? La semaine dernière, pour celles et ceux qui étaient là, nous avions réfléchi sur des paroles que Jésus prononçait à la fin de son ministère, au sujet des choses qui doivent arriver, dans un à-venir difficile à situer dans nos temps et nos histoires humaines. Nous avions fait le constat qu’en fait, ce qui viendrait constituerait une surprise, même pour celles et ceux qui parvenaient à veiller, comme le Christ le recommandait. Cette surprise, ce quelque chose qui déjouerait nos attentes, mais témoignant de l’amour de Dieu, ne correspond donc pas aux futurs désirables que nous pouvons concevoir. En ce vingt-et-unième siècle, il est d’ailleurs de plus en plus difficile d’oser débattre ensemble et d’espérer décrire le monde meilleur qui pourrait nous fédérer.

C’est avec ces éléments que nous abordons ce texte célèbre – en tous cas certains des versets de ce texte – du prophète Ésaïe. Car oui, en voilà, un futur désirable, et les images employées par le prophète sont à la fois poétiques et enthousiasmantes. L’envoyé de Dieu jugera non selon les apparences, mais selon des critères qui appartiennent à Dieu seul. Ce jour s’accompagnera d’une libération de toutes celles et de tous ceux qui sont soumis à différents empires – il y a même une connotation de vengeance dans certains versets, comme une idée de revenir à un ordre plus « juste » selon nos vues humaines, donc avec violence. Il y a aussi cette image de ces exilés qui pourront se rassembler ; les oppresseurs d’hier se placeront au service des élus du Seigneur ; et Ésaïe de conclure que cela sera comparable à la libération de l’esclavage, à la sortie d’Égypte, à l’Alliance fondatrice de l’Exode. Mais ces excellentes nouvelles semblent un peu ternes face au magnifique panorama qui nous est présenté, celui d’une paix universelle, qui dépasse même les relations humaines et les relations entre nations. C’est bien toute la Création qui entrerait alors dans une ère merveilleuse : le loup habiterait avec l’agneau, le léopard se coucherait près du cabri, le veau et le jeune lion mangeraient ensemble, conduits par un petit garçon ; la vache et l’ourse partageraient les mêmes pâturages, et leurs enfants le même abri, le bœuf et le lion mangeraient aussi ensemble de l’herbe ; enfin, il n’y aurait aucun danger pour les nourrissons et les enfants à jouer avec les serpents… Une telle vision ne nous rappelle-t-elle pas la description de la Création dans les deux premiers chapitres de la Genèse, dans le jardin d’Eden ? Les espèces animales et humaines ne se feraient aucun mal, et suivraient d’ailleurs toutes un régime végétarien…

Les paroles d’Ésaïe nous font rêver. C’est certainement l’un des objectifs, alors que le peuple de Dieu, qui entend le prophète, sait aussi sa faiblesse. Le royaume du Nord, Israël, avec Samarie pour capitale, va être envahi par l’empire assyrien (nous avons entendu la longue liste d’empires qui entouraient les royaumes). Face à ces différentes puissances, aucun des deux royaumes, que ce soit celui du Nord ou celui du Sud, ne peut faire le poids. Ésaïe s’adresse au royaume du Sud, Juda, avec Jérusalem pour capitale. Encore une fois, le message qu’il transmet de la part de Dieu vise à entretenir, à vivifier l’espérance, la confiance et le courage de celles et ceux qui ont conscience de leur fragilité.

Mais nous arrivons maintenant à une difficulté qu’il ne faut pas minorer dans ce texte, dans notre perspective chrétienne. Car comme nous lisons la prédication de Jean le Baptiste, le dernier prophète avant le Messie, nous lisons ces phrases d’Ésaïe pendant cette période de l’Avent, et beaucoup d’éléments nous conduisent à identifier le descendant de Jessé, et donc de David, l’homme qui inaugurera ce futur merveilleux, comme l’homme Jésus, né il y a un peu plus de deux mille ans. Je ne dis pas que nous avons tort de faire cette identification, mais demandons-nous alors… comment se fait-il qu’après la venue du Christ dans notre humanité, nous vivions dans un monde radicalement marqué par le mal ? Les atrocités de la guerre n’ont jamais cessé, la torture non plus, les informations qui nous parviennent de tant d’endroits du monde peuvent d’ailleurs nous accabler à ce sujet – ce qui vaut peut-être quand même mieux que de nous rendre indifférents. En tant qu’espèce humaine, nous provoquons une sixième extinction de masse d’une multitude d’espèces animales. Et quel parent ou grand-parent laisserait un bébé ou un jeune enfant sans surveillance, alors même que la présence d’un animal dangereux est assez improbable dans nos maisons ou jardins ? Oui, nous sommes tellement loin du monde tel qu’Ésaïe le décrit suite à la venue du Sauveur…

Il nous faut alors nous souvenir que le Christ, tout en annonçant que la plénitude était encore à venir, avec son retour, le Christ est bien venu accomplir les promesses qui avaient été faites, mais en bouleversant nos attentes et nos logiques. Mort sur la croix, puis hors du tombeau, Jésus a montré que la violence ne pouvait pas être au service de Dieu, ce qui déjoue déjà une partie de ce qu’Ésaïe annonçait. En donnant l’Esprit Saint, il fait connaître son Père et nous lie, nous unit à lui par amour et non par la contrainte. Enfin, à ceux qui sont portés par l’Esprit, il est possible de tenir le mal à distance de leurs choix, il est possible de goûter déjà au Royaume qu’ils continuent d’attendre… En d’autres termes, le Christ a accompli le service de l’autre, le pardon de Dieu, mais l’accomplissement complet, qui est celui de la justice de Dieu, est peut-être encore en chemin, qui est à venir…

La justice, meilleure que celle dont nous rêvons, et la paix universelle de toute la Création sont donc l’horizon. Comme les contemporains d’Ésaïe et de Jésus, nous avons besoin de ré-entendre que cette justice et cette paix, nous ne pourrons jamais les imposer nous-mêmes. Mais le prophète, dans le verset 2 de ce chapitre 11, nous propose une clé pour avancer. « L’esprit du Seigneur reposera sur lui. Il lui donnera la sagesse et le pouvoir de bien juger. Il l’aidera à prendre des décisions et le rendra courageux. Il lui fera connaître le Seigneur et lui apprendra à le respecter. » L’Esprit de Dieu semble ici à nouveau décisif. Qu’est donc cet Esprit ? Il se caractérise par six qualités données à celui qui le reçoit : la sagesse, le discernement de ce qui est juste, la capacité à prendre des décisions – la stratégie, le courage de les appliquer, la connaissance et enfin le respect du Seigneur. Ces aptitudes font écho à d’autres passages bibliques, et sont parfois rassemblées sous la notion générale de sagesse. Comprenons-nous bien, la sagesse dont il est question ici n’est pas seulement une sagesse humaine, philosophique, ou seulement une sagesse spirituelle, mais bien les deux combinées, comme d’ailleurs dans le double commandement d’amour, envers Dieu et envers son prochain.

Si donc nous attendons la venue et nous vivons déjà de cet Esprit, cela signifie qu’il nous faut cultiver notre recherche de Dieu, mais aussi notre intelligence humaine, relationnelle, et sociale. Un écrivain et philosophe suisse contemporain, Étienne Barilier, a écrit : « Le contraire de la violence, ce n’est pas la douceur, mais la pensée. » Nous pouvons comprendre que vivre portés par l’Esprit donné par le Christ, c’est donner toute sa place à la raison, apprendre à regarder notre monde avec lucidité, apprendre à composer avec la complexité de notre humanité, ses nuances et ses contradictions. Nous percevons alors d’autant mieux l’importance du demi-tour pour nous orienter pleinement, en pensées, en paroles et en actes, vers celui qui vient ; nous nous empressons alors de commencer à dégager le chemin sur lequel nous marchons, à la rencontre du Christ. Dans quelques instants, c’est lui qui nous invitera à reprendre des forces en nous invitant à son repas. Que son Esprit nous mette en marche sur la route qu’il trace devant nous ! Amen.

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