Méditation sur le texte de la Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens

Texte : Luc 10, 25-37 Pasteur Thierry Ziegler Chargé de mission consistorial

Partie I

Un légiste, spécialiste de la Loi, des Ecritures, interroge Jésus sur le terrain de la Loi. Indication importante donnée par le rédacteur : « pour l’éprouver »… Je traduis : en espérant le prendre en défaut, ou l’obliger mine de rien à se compromettre.

Voici la question-test : « Que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ? » C’est la question caractéristique pour montrer qu’on veut recueillir la parole d’un maître.

Jésus évite tout d’abord de se laisser assigner à ce rôle de « sachant » face à celui qui ne sait pas. Ou plutôt, dans le cas présent, qui feint de ne pas savoir ! On a bien enregistré tout à l’heure que nous avions à faire à un spécialiste de la Loi (grec « nomikos », dérivé de « nomos », qui signifie Loi).

Jésus commence par renvoyer son interlocuteur à la Loi, en lui demandant d’être lui-même acteur de sa propre quête spirituelle ! « Qu’est-ce que dit la Loi ?… comment l’interprètes-tu ? » Et ça marche : l’homme cite Deutéronome 6, 5 et Lévitique 19, 18. Il s’agit ni plus ni moins du « double commandement d’amour », qui représente paradoxalement un terrain d’entente entre les deux protagonistes.

Jésus valide la réponse.

Partie II

L’homme comprend qu’il a échoué à pousser Jésus dans ses retranchements. « Voulant se justifier », c’est-à-dire pour corser l’affaire et montrer ainsi qu’il est quelqu’un de perspicace, il relance sa demande d’ « expertise pointue » de la part de Jésus.

« ET QUI EST MON PROCHAIN ? » Cette fois, Jésus n’esquive pas. Il répond en racontant une parabole… pour aboutir finalement à un déplacement spectaculaire de la question ! Au final, en effet, la question n’est plus : « ET QUI EST MON PROCHAIN ? » Mais elle est devenue : « Qui s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? »

Autrement dit, au lieu de me demander « qui est mon prochain ? » (pour l’aimer ensuite, on peut supposer), j’ai d’abord à l’aimer – et c’est en l’aimant que j’aurai répondu à la question, et aurai rendu cette question caduque !

« ET QUI EST MON PROCHAIN ? » n’est donc pas une vraie question ! C’est un leurre, une casuistique stérile, on peut en débattre à l’infini… Alors que ce qu’il y a à faire, quand on veut prendre le commandement au sérieux, est d’une simplicité enfantine…

Le prêtre et le lévite ont trouvé de bonnes raisons, sans doute, pour ne pas secourir l’homme tombé aux des brigands. Comme le légiste, ils se situent du côté de ceux qui scrutent la Loi sous toutes les coutures, mais en même temps se tiennent à distance de ce qu’elle demande ! Attitude jugée stérile, improductive, par Jésus.

Le Samaritain passe par hasard à côté du malheureux, et en le voyant, il est ému aux entrailles (verset 33). Il fait naturellement ce que demande la Loi, sans se référer au commandement de l’amour du prochain. De fait il considère cet homme comme son prochain. Alors qu’il s’agit de toute évidence d’un Juif, et que lui-même est Samaritain.

Qu’à cela ne tienne, le Samaritain est passé par-dessus cette différence d’appartenance religieuse et ethnique. Il a noué une relation avec cet homme, chacun devenant le prochain de l’autre.

Cette attitude-là est validée par Jésus – celle que le légiste désigne lui-même par le terme grec « eleos » (bonté, miséricorde, pitié). Voici en effet ce qu’il répond à Jésus : « C’est celui qui a pratiqué la miséricorde envers lui ». (NB. On retrouve le verbe dérivé de « eleos » dans la formule liturgique : « Kyrie eleison »).

Voyant qu’il a tout compris, Jésus n’a plus qu’à ajouter : « Va et, toi aussi, fais de même ».

Conclusion

Que pouvons-nous en conclure ? Qu’est ce qui oppose finalement Jésus et le légiste (« nomikos ») ? Précisément, le rapport à la Loi. La manière de penser la Loi…

Peut-être, chez Jésus, la manière de ne pas la penser, mais de la pratiquer, de la vivre… dans une certaine radicalité, ou peut-être, dans une certaine simplicité, ou immédiateté.

Le légiste apparaît comme un coupeur de cheveux en quatre, alors que la figure du Samaritain est un homme qui est dans l’action, tout en étant proche de ses émotions.

Ce Samaritain… ne l’appelons pas « bon » ! Car, « Dieu seul est bon » (Lc 18, 19). Quelques chapitres plus loin, en effet, Jésus reprend en ces termes le chef religieux qui s’est adressé à lui en l’appelant « bon maître ». On fausse la lecture de l’épisode quand on le replace ainsi, par ce petit mot, sur le plan de la morale. Alors que l’Evangile fait tout pour nous en détourner !

Le Samaritain ne s’est pas posé de question sur ce qui était son devoir. Il n’a pas interrogé la Loi pour savoir ce qu’il pouvait ou ne pouvait pas faire. Il a écouté ses tripes, c’est tout !

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Et si c’était pas plus compliqué que ça, la solidarité, l’entraide, le soin ! L’écoute d’une émotion, qu’on appelle traditionnellement la compassion, et de plus en plus à l’heure actuelle, l’empathie.

Empathie : le fait de ressentir quelque chose pour l’autre, de pouvoir se mettre à sa place s’il est triste ou s’il souffre, par exemple.

La guerre de Gaza, entre Israël et le Hamas nous fournit un bon exemple du fait que l’empathie n’est pas un phénomène univoque, mais peut se laisser modeler par les représentations qu’on se fait de l’autre que l’on a en face de soi.

Ainsi l’affirmation qu’une vie vaut une vie, que la vie d’un Palestinien vaut la vie d’un Israélien – même si l’on précise la vie d’un bébé palestinien et la vie d’un bébé israélien, cette affirmation est inaudible en temps de guerre. Car en temps de guerre, c’est peine perdue de vouloir mesurer la souffrance de l’autre à l’aune de sa propre souffrance. On est d’emblée plongé dans le « deux poids deux mesures » !

Le sentiment de haine de l’ennemi emporte tout. La souffrance que je ressens, et mon ressentiment en tant que victime de la violence de l’autre, me font oublier que l’autre est quelqu’un qui souffre comme moi.

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Ce n’est pas un hasard si l’Evangile préconise l’amour des ennemis : une manière radicale de désarmer – ou du moins de combattre – le ressentiment à l’égard de l’autre, qui m’interdit d’avoir de l’empathie à son égard.

Ce qui est en cause dans notre passage de Luc 10, c’est finalement l’élaboration d’un système de pensée religieuse et d’un code de conduite à partir de la LOI, qui finit par faire écran à la volonté de Dieu et à s’y substituer.

L’EVANGILE remet en cause le système et rend à la Parole de la Loi sa fluidité première. Elle se suffit à elle-même, et il s’agit de ne pas lui rajouter des couches et des couches de casuistique ou de prescriptions.

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Si la LOI est utilisée pour empêcher quelqu’un de faire du bien à son prochain, il faut s’interroger sur l’utilisation qu’on en fait ! C’est ce que montrent la parabole de Luc 10, mais aussi la polémique sur le respect du sabbat dans les évangiles.

Toutes les restrictions qu’ont pu apporter tour à tour à la définition du prochain le légalisme juif et le légalisme chrétien… ne tiennent pas face à la Parole de JESUS dans l’Evangile !

Ne mettons donc aucune restriction à l’encontre de l’empathie, lorsqu’elle se manifeste dans nos tripes !

Et surtout, ne tentons pas de justifier par des arguments théologiques ou spirituels, les restrictions que nous lui apportons, du seul fait de notre inertie naturelle à faire le bien que nous pourrions faire.

Car l’Evangile a démystifié une fois pour toutes nos efforts de nous auto-justifier. Le mal qui se comment sur la terre a les meilleurs alliés en la personne des hommes et des femmes qui se cachent derrière un système religieux complexe pour se soustraire à leur simple devoir d’humanité.

Amen.

Pasteur Thierry Ziegler (Saint-Péray)
Chargé de mission consistorial

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