Méditation du dimanche 2 février

David Charier texte : Luc 10, v. 38 à 42

Un texte spécial pour les personnes engagées dans notre genre ! Vous savez ceux qui sont sur tous les fronts : CP, prédicateurs laïcs, catéchète, commissions travaux et autres équipes d’animation. Sans compter les Conseils d’Administration de toutes ces œuvres protestantes qu’il faut continuer à faire vivre…

L’histoire de Marthe, c’est la nôtre. Parce que oui, nous sommes de ceux qui s’inquiètent et qui s’agitent pour beaucoup de choses.
Et comment en serait-il autrement ? Le travail ne va pas se faire tout seul, et si l’on veut que les dossiers avancent, il faut bien que certains aillent au charbon. La part de Marie est peut-être la meilleure, mais pas la plus efficace. Hein, qui va faire le bulletin de la paroisse, organiser l’apéritif et le repas de tout-à-l ’heure, préparer la prochaine réunion, si ce n’est pas nous ?
D’ailleurs, s’il n’y avait pas Marthe, il n’y aurait pas non plus de récit. C’est grâce à Marthe que l’Évangile est partagé ce jour-là. Grâce à Marthe que Jésus s’arrête ce jour-là pour prêcher. C’est d’ailleurs elle qui le reçoit. Grâce à Marthe il y a prédication : c’est elle qui questionne, conteste, interpelle, alors que Marie est un personnage bien muet.

Et ce jour-là justement, Marthe en a ras-le-bol. Ras-le-bol d’avoir un agenda surchargé et de passer son temps à courir. De toujours devoir jongler entre l’extrêmement urgent et le super urgent sans qu’il y ait de place pour le quotidien normal. Marthe aussi aimerait bien s’asseoir et prendre le temps de boire le café avec son invité ! Ben oui, tout le monde a le droit d’en avoir ras-le-bol et de le montrer. Qui sait, on attend même souvent que cela suscite des vocations dans l’entourage…
Et si je me mettais en grève, tiens ? Ah, ah, ils seraient bien obligés les autres (que je soupçonne toujours d’être des Ma¬rie) de le faire ce bulletin paroissial ou ce repas !!!
En tout cas, c’est dans ce sens-là que Marthe aimerait bien être reconnue et soutenue par Jésus. Qu’il reconnaisse sa fatigue et qu’il suscite de l’aide. Oui, ce jour-là, c’est ce ras-le-bol qui a besoin d’être rencontré par une bonne nouvelle.

Le seul problème, c’est que Marthe, fidèle à elle-même, a déjà décidé quelle serait cette bonne nouvelle : que Marie l’aide. Et c’est là que Jésus l’attend au tournant : non seulement il ne répond pas à son attente, mais en plus il retourne le couteau dans la plaie : c’est Marie qui a choisi la meilleure part.
Alors celle-là, c’est la meilleure ! (C’est le cas de le dire !!!). C’est quoi cette « meilleure part » qui ne produit aucune action, aucun engagement ? C’est quoi, cette foi béate (Marie était peut-être mystique…) montrée en exemple alors qu’elle ne passe pas la rampe de ses effets pratiques ? Nous, on est pragmatiques, hein, on reconnaît l’arbre à ses fruits et le croyant à ses engagements. S’il vous plaît, à d’autres le coup de la meilleure part. Et si nous sommes si soucieux de témoigner de cet Évangile qui nous fait vivre, c’est bien pour montrer son importance dans nos existences, non ? D’ailleurs, on a bien vu ce que cela a donné, toutes ces générations de parpaillots qui se complaisaient dans le témoignage implicite… Pas grand-chose sur les générations suivantes ! Il n’y a qu’à voir, les protestants on les cherche aujourd’hui… Surtout ceux qui pourraient s’engager…

Alors quelle est cette « meilleure part » qui est la bonne nouvelle attendue ? Eh bien la meilleure part, c’est qu’au lieu de passer son temps à travailler, Jésus permet à Marthe de commencer à se laisser travailler par sa Parole. Non plus faire, mais se laisser faire. Non plus avoir le souci des autres, mais accepter qu’un autre ait le souci d’elle. Parce que ce jour-là, c’est bien avec Marthe que Jésus prend le temps de discuter.
« Marthe, tu t’agites et tu t’inquiètes, je l’ai bien compris. Il n’y a qu’une seule chose qui puisse apaiser ton inquiétude et ton agitation : laisse le Seigneur se faire ton prochain, s’occuper de toi, et justifier une vie que ni ton souci, ni ton agitation ne sauveront du dérisoire ou de l’absurde. Cesse de croire que le salut de ton monde est au bout de ton balai. Cesse de croire que le salut de ta paroisse se trouvera dans les activités que tu portes à bout de bras. Marthe… Tu ne pourras partager que ce que tu auras reçu. Et la seule chose inépuisable qui t’est donnée est l’amour et l’attention de ton Seigneur pour toi. »

Témoigner de la « meilleure part », de l’Évangile, c’est peut-être parfois pas tant agir pour « boucher les trous » que de baisser les bras pour reconnaître notre faiblesse et notre lassitude. Laisser le trou remonter à la surface, y compris de nos vies d’Église, pour que le Christ lui-même puisse nous y rejoindre.

Aujourd’hui le pasteur ne prêche pas. Il n’est pas en grève, il n’est pas non plus terrassé par une quelconque maladie qui aurait tiré le signal d’alarme de son épuisement. Mais il avait besoin de temps pour préparer sa prochaine prédication.
Aujourd’hui, le Conseil ne traitera pas tous les points à l’ordre du jour, et Mme Michu qui attend depuis des mois la décision pour sa nouvelle clé du Temple attendra un mois de plus. Mais on a pris le temps de parler ensemble de nos lassitudes et de nos attentes. Parce que c’est là que Jésus nous attend.

Et si parfois, quelques heures après l’élection de notre nouveau CP, l’action la plus appropriée était justement de s’arrêter d’agir pour redécouvrir la grâce ; redécouvrir la légèreté et la joie qu’avait fait fuir la certitude de nos obligations.

Mais reprenons notre texte :

Jésus était en chemin avec ses disciples,
il entra dans un village
et Marthe le reçut dans sa maison.

C’est bien elle, Marthe, qui reçoit Jésus et ses disciples. Marthe est vraiment présentée ici comme le type même du chrétien. Elle nous invite à accueillir le Christ chez nous, et même, nous dit le texte, à l’accueillir dans son chemin, dans son cheminement, à accueillir sa dynamique. Ce n’est donc pas seulement le regarder et l’adorer mais c’est entrer dans une démarche christique. Mais évidemment, recevoir Dieu dans sa vie demande d’y consacrer un certain temps, une certaine énergie, très concrètement, comme Marthe qui se décarcasse. Chacun a son rythme ou sa façon de pratiquer sa recherche de Dieu, ici au Temple ou chez soi, mais cela demande toujours un certain investissement de notre part pour accueillir concrètement Dieu dans notre vie. L’existence même de l’Église est due à des Marthe pour construire, éclairer, donner de l’argent et du temps, disposer la table de la Cène, jouer de l’orgue, accueillir, préparer un repas… Heureusement qu’il y a des personnes comme Marthe ! C’est ainsi que nous avons pu, comme Marie, laisser Dieu nous parler ce matin. Ce qui est formidable, c’est qu’elle est vraiment au service des autres, elle n’a pas honte de se retrousser les manches et de servir au lieu de faire la princesse dans sa maison. Marthe est donc, elle, passée de l’écoute de la Parole de Dieu au service des autres. C’est ce que Jésus nous invite à faire par ses propres actes mais aussi avec cette célèbre parabole du bon samaritain qui se trouve dans l’évangile juste avant notre texte.

Bravo donc à Marthe, mais Jésus lui fait remarquer qu’elle « se préoccupe et s’agite pour beaucoup de choses ». À force d’être dans l’action, sa vie se disperse, s’éparpille, devient un chaos. Non seulement nos actes s’éparpillent, mais même nos pensées, nous dit Jésus, on croit que l’action peut tenir lieu de prière, on considère comme vitales des choses qui pourraient être infiniment simplifiées…

Une seule chose est nécessaire, dit Jésus, c’est d’unifier son être et sa vie. Que le service de l’autre nous vienne comme un prolongement de notre prière ; et que la rencontre de l’autre nous élève le cœur vers Dieu. À force d’être dans l’agitation, nous nous dispersons… Jésus lui-même n’y échappe pas, apparemment, puisque bien souvent, après un temps d’intense rencontres et débats avec des foules de personnes, Jésus renvoie tout le monde, assez brusquement parfois d’ailleurs, pour se retirer seul et prier. Pour se recentrer autour de l’unique, cet unique absolu qu’est Dieu, pour que dans cette rencontre, Dieu rassemble les brins dispersés de notre être et en élague les branches mortes.

Toute la question est donc de savoir où nous en sommes à un moment donné. Est-ce le moment de s’arrêter pour écouter Dieu, ou est-ce le moment de sortir vers les autres pour les aider ?

Il y a place dans notre vie pour l’écoute de Dieu avec Marie, une place pour le service avec Marthe, une place pour le silence et une place pour le débat. Ces deux axes sont faits pour aller ensemble dans chacune de nos vies individuelles, dans nos journées, nos semaines, nos années.

Mais il y a dans cette histoire une troisième figure importante qu’il ne faut pas oublier : ce sont les disciples de Jésus. Si le texte prend la peine de nous les présenter au début ce n’est certainement pas pour rien. Ils sont, eux aussi, une figure de ce qu’il est bon d’être puisqu’ils sont en chemin avec le Christ, nous dit le texte, et ce chemin c’est la vérité et la vie. Ils entrent avec le Christ chez Marthe, mais ensuite on ne les voit ni au pieds de Jésus pour l’écouter, ni au service de leur prochain à la cuisine avec Marthe. Quelle autre troisième activité est essentielle à l’homme qui ne soit ni dans le service de Dieu, ni dans le service de l’autre ? C’est le repos. C’est « sanctifier le temps du repos ». Les disciples de Jésus font peut-être la sieste, ils bavardent entre eux de tout et de rien, ils prennent l’apéro en attendant que le repas se fasse tout seul… qu’importe. Il y a dans ce temps de jachère un temps pour nous rappeler que la grâce de Dieu suffit à justifier nos vies, et qu’une existence humaine, même improductive, a une valeur infinie. Un temps pour nous rappeler que nous ne sommes pas à l’usine, que la religion est un moyen et non pas une fin en soi, que le service est lui aussi une grâce avant d’être un devoir.

 

Il y a trois amours essentielles nous dit Jésus : aimer Dieu, son prochain et soi-même.

Marie, dans la contemplation, laisse Dieu travailler dans l’amour qu’il a pour elle-même.
Marthe, dans le service, travaille avec Dieu pour son prochain.
Les disciples, s’ils vivent ce temps de repos comme une bénédiction, aiment Dieu et font place à sa grâce.
Tout est une question de dosage entre ces éléments, à chaque instant, une question de choix avec un peu d’intelligence et beaucoup d’amour, une question d’équilibre.

Amen.

Contact