Gaspar et Johanna vous avez tenu à mettre au centre de ce culte ce passage de l’Evangile
Qui est mon prochain ?
Jésus répond au travers de cette histoire : Celui qui t’a donné un coup de main quand tu en avais besoin, sans même que tu lui demandes. Parce que si Jésus définit bien le prochain comme étant celui qui nous a donné un coup de main quand on en avait besoin, ce n’est pas l’enseignement qui conclut la parabole. Relisons la fin : Jésus demande au spécialiste de la loi :
« Lequel des trois penses-tu avoir été le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ? »
Et le spécialiste de la loi répond : « Celui qui a eu pitié de lui »
À quoi Jésus conclut : « Va et, toi aussi, fais de même. » Fais de même que celui qui a eu pitié.
En demandant à qui réserver son amour, le spécialiste de la loi comprend l’amour qu’il peut donner comme une ressource précieuse, à ne pas dilapider ; à la question : Qui est mon prochain ? Jésus lui répond non pas comment identifier son prochain, mais comment se comporter en prochain. Jésus le décentre de lui-même pour qu’il devienne le prochain des autres.
Voilà du grain à moudre pour nos actions en Église, au travail, et ailleurs.
On nous rebat souvent les oreilles avec la question de la reconnaissance. Le malaise au travail ou dans les bénévolats de nos Églises proviendrait d’un manque de reconnaissance. On ne remercierait pas assez les personnes de ce qu’elles font, on ne mettrait pas suffisamment en avant tout ce qu’elles accomplissent. Et dès lors s’accumulerait une aigreur légitime du fait de ce défaut de reconnaissance.
C’est justement l’état dans lequel se trouve ce spécialiste de la loi. Il fait tout bien – la preuve : Jésus lui dit : Tu as répondu juste. Fais cela et tu vivras. Il sait parfaitement qu’il doit aimer son Dieu de tout son coeur et de toute sa pensée, et son prochain comme lui-même, mais il ne se sent pas bien :
Que dois-je faire pour recevoir ma part de vie éternelle ? Que dois-je faire pour me sentir heureux de vivre, à ma place sous le regard de Dieu.
Jésus lui répond au travers de cette histoire : arrête de t’angoisser pour savoir à qui et comment distribuer l’amour de Dieu, distribue-le simplement à ceux que tu rencontres. C’est dans la circulation de cet amour, dans la joie du don, que tu trouveras la source de vie éternelle à laquelle tu aspires. Cet homme à demi-mort, en fait c’est toi, avec toute ta science qui en tant que telle ne te sert à rien pour vivre heureux. Alors va, va comme le Samaritain, et face aux accidentés de la vie que tu vas rencontrer, accueille ton émotion pour qu’elle te guide vers ce que tu dois faire. C’est ça, aimer ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée. Ça te mènera forcément à aimer celui que tu rencontres comme toi-même, à faire ce que vont te dicter ton coeur et l’Esprit qui anime ton âme, en te donnant la logique et la force nécessaires; c’est, Gaspar, une piste qui s’ouvre à toi à l’écoute de ce texte. Et nulle part il n’est question de reconnaissance. Il n’est question nulle part d’un quelconque échange entre l’homme blessé laissé à demi-mort et le Samaritain. Le gars est inconscient : il ne sait même pas qui l’a sauvé. C’est l’aubergiste qui va accompagner sa guérison, et lui non plus ne sait pas qui est le Samaritain. C’est juste celui qui l’a payé pour remettre le voyageur blessé sur pied, et lui a fait confiance pour faire ce qu’il faut. Le Samaritain en partant ne lui dit pas de garder ses justificatifs de dépense. Quand il repassera, il paiera ce qui est dû sans discuter : c’est parole contre parole. Toute la fin de la parabole ne peut fonctionner qu’au risque de la confiance comme moteur des relations humaines. Il n’est nulle part question
d’une quelconque reconnaissance de l’homme blessé envers celui qui l’a sauvé : l’aubergiste joue le rôle de tiers de confiance pour que l’homme blessé ne puisse se sentir redevable vis-à-vis de personne.
Ce qui nous mine, c’est le même problème que celui auquel est confronté le spécialiste de la loi : aimer son prochain comme soi-même, ça pose un double problème.
• D’abord ça n’est jamais fini : venir en aide à toute la souffrance du monde, on ne peut jamais
prétendre y être parvenu.
• Et ensuite, ça nous met chacun dans la situation de nous sentir redevable à l’infini envers tous ceux
qui nous ont donné un coup de main un jour. Plus on vieillit, plus il y en a, et moins on a la force de
le faire.
C’est là qu’intervient le Samaritain. Lui ne fait pas partie du dessus du panier des Juifs de Jérusalem qui se considèrent comme les seuls vrais Juifs, et il n’est pas non plus spécialiste de la loi.
Il n’érige pas l’amour du prochain en absolu : il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a ; j’aimerai le Seigneur mon Dieu de tout mon coeur, de toute mon âme, de toute ma force et de toute ma pensée, c’est-à-dire pour tout ce qu’Il m’a donné – et mon prochain comme moi-même : c’est-à-dire avec les moyens que j’ai reçus. Qui sont limités, parce je ne suis pas Dieu. Il reconnaît ses limites. Il se sent lié par une obligation de moyens : ce que Dieu lui donne à l’instant pour accomplir sa Parole – mais pas par une obligation de résultat, qui n’appartient qu’à Dieu. Ce n’est pas la reconnaissance des autres qui est son moteur dans ce qu’il fait de bien. Le gars est inconscient et continuera sa vie sans lui. L’aubergiste est payé un juste prix pour le service rendu : pas de quoi susciter une reconnaissance éternelle.
La question de la reconnaissance est une fausse piste contre laquelle Jésus nous met en garde. La limite de nos dons est celle des moyens dont nous disposons, qu’il connaît parfaitement puisque c’est de Dieu que nous les avons reçus. Nous n’avons pas à dépasser ces limites. Et il me semble que le besoin de reconnaissance est justement un indice pour nous alerter quand nous dépassons les limites des moyens que nous avons reçus. Un indice qui vient nous rappeler à la nécessaire humilité. Nous ne sommes pas tout-puissants. Prétendre le contraire, nous emberlificoter dans un toujours plus dont nous n’avons pas les moyens, va tôt ou tard nous faire basculer dans la tristesse et l’aigreur de ne pas pouvoir y arriver. La vie éternelle, c’est ce chemin de crête, cet équilibre à trouver entre la résignation qui nous ferait tomber dans l’abîme du néant et de la passivité, cet abîme où tombent le prêtre et le lévite de l’histoire, et la tentation du toujours plus qui nous ferait tôt ou tard basculer dans la tristesse et l’aigreur de ne pas y arriver, cette angoisse existentielle qu’exprime le spécialiste de la loi avec sa question. La joie de la vie éternelle, c’est celle que nous trouvons dans l’action sous le regard de Dieu.
Dieu nous veut debout, pas couchés, et pour être sûrs que nous allons toujours pouvoir nous relever, il nous leste de sa grâce, la grâce avec laquelle Jésus accueille sérieusement la question du spécialiste de la loi qui s’angoisse. La grâce avec laquelle le Samaritain est pris aux tripes. La grâce qu’il accorde aussi au prêtre et au lévite qui sont passés sans rien faire parce que ce jour-là, aider le gars blessé, c’était au-dessus de leur obéissance aux règlements ; Jésus nous appelle à travers cette parabole (en particulier Gaspar avec tes engagements de baptisé, et toi Johanna dans le cadre de ta vie professionnelle d’infirmière) à nous rendre disponible aux personnes qui se trouvent au bord du chemin, victimes de la violence humaine, pour qu’ensemble avec l’aide du ressuscité nous soyons des témoins de guérisons et de liberté . Bonne route sur ce chemin de vie.
Amen