Méditation dimanche 18 mai 2025

Culte présidé par le pasteur Christian Bonnet Texte : Jacques 2.14-17 ; Luc 10.26-37

La parabole que nous venons de lire fait partie des paraboles les plus connues des évangiles, au point que l’expression « être un bon Samaritain pour quelqu’un » est passée dans le langage courant. Cette histoire, on la connaît tous presque par cœur et je suis sûr que vous avez déjà entendu plusieurs prédications sur ce texte.

Pour l’aborder sous un angle un peu nouveau, je voudrais souligner le caractère polémique de cette histoire. Déjà, les circonstances dans lesquelles Jésus a été amené à la dire publiquement sont assez spéciales. Un spécialiste de la loi s’approche de Jésus pour lui poser une question-piège, Luc dit même « pour le tenter », comme l’avait fait le diable après le baptême de Jésus. « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » Tout le monde, en effet, a pu observer que Jésus prenait des libertés par rapport à la stricte observance de la loi de Moïse et des traditions. Le piège ici consiste à amener Jésus à dire publiquement que certains commandements sont inutiles pour obtenir le salut et donc, à le décrédibiliser, voire à le faire condamner par les autorités religieuses.

Sauf que Jésus n’est pas tombé de la dernière pluie : il a parfaitement flairé le danger. Il retourne la question au maître de la loi, en le renvoyant à sa propre interprétation des Écritures. Mot à mot dans le texte grec, il lui dit : « Comment lis-tu ? » Et l’arroseur se retrouve arrosé, contraint de dévoiler sa propre manière de comprendre les textes sacrés. C’est lui-même qui associe les deux commandements : aimer Dieu et aimer son prochain. Ce n’est donc pas une invention de Jésus ou de la communauté chrétienne, mais probablement un raccourci de la foi qui existait déjà au sein du judaïsme.

Sauf que dans la tradition juive, le prochain est forcément celui qui me ressemble, de la même tribu, du même courant de pensée, du même milieu social. Alors, pour poursuivre dans le piège tendu à Jésus, le maître de la loi demande qui est le prochain qu’il doit aimer. C’est une question difficile, car elle demande d’opérer un discernement parmi les êtres humains, pour savoir qui est le prochain et qui ne l’est pas. Cela permet de placer d’un côté ceux qu’il faut aimer et de l’autre côté les ennemis qu’il faut haïr. Or, au chapitre 6 de ce même évangile de Luc, Jésus avait clairement indiqué que l’amour de l’autre commence par l’amour pour mon ennemi.

La parabole que Jésus raconte comporte aussi en elle-même des éléments polémiques.
Jésus décrit un prêtre et un Lévite qui ne lèvent pas le petit doigt pour venir au secours d’un homme blessé. Voilà des gens qui se disent investis d’une fonction sacrée, mais pour qui la vie d’un homme n’est pas sacrée. Ils préfèrent préserver leur pureté rituelle. En langage contemporain, on dirait : ils ne veulent pas se salir les mains.

Enfin, vous vous en doutez, le choix d’un Samaritain est très polémique. Les juifs considéraient les gens de ce peuple comme des ennemis. En effet, les Samaritains avaient été installés dans la région pour occuper les maisons et les terres des Juifs déportés. Ils étaient schismatiques par rapport au courant religieux traditionnel, ils avaient fait le choix d’une autre Écriture sacrée, d’un autre lieu de culte que le temple de Jérusalem, d’un autre calendrier et d’autres rituels religieux. Le propos tenu par Jésus est donc paradoxal : il met en scène un schismatique détesté de tous, et il le décrit comme le seul qui a eu les gestes d’humanité nécessaires par rapport à cet homme blessé.

Si on s’amusait à transposer la parabole dans notre contexte actuel, on dirait : un homme descendait de Paris à Saint-Denis. Arrivé à la porte de la Chapelle, il se fait détrousser par des consommateurs de crack qui le laissent à moitié mort. Un prêtre catholique passe par là et se détourne. Un pasteur protestant fait semblant de ne pas le voir. Un brave musulman sur sa mobylette s’arrête et porte secours à cet inconnu… Je n’exagère pas dans la symbolique des lieux et des personnages

Alors, quel est l’enjeu de cet entretien tendu entre Jésus et le maître de la loi ? Pour le maître de la loi, nous l’avons dit, il s’agit de prouver que Jésus n’est pas un bon observateur de la loi, et de ce fait, avoir matière à le condamner. Pour Jésus, il s’agit de démontrer que la religion établie, avec ses préceptes traditionnels et son code de la pureté, n’a abouti qu’à cliver la population entre purs et impurs, entre ceux qui respectent les commandements et les autres. Car, dans la mentalité du judaïsme ancien, le prochain ne peut être que le compatriote, et pour les plus radicaux, seulement celui qui appartient à la même confrérie religieuse que moi. Vous constatez que le judaïsme ancien pratiquait déjà ce que certains appellent aujourd’hui « la préférence nationale » : je viens en aide seulement à ceux qui me ressemblent. Et tout l’enjeu de cette parabole est de faire écrouler ce système de pensée pervers.

En accostant Jésus comme il le fait, le maître de la Loi agissait peut-être en service commandé, car au fond, il n’a pas l’air d’un mauvais bougre. Lorsque Jésus lui demande comment il interprète les Écritures, il fait preuve d’une relative modernité dans sa manière de répondre. Lui-même ne pense pas qu’il faut absolument respecter tous les commandements pour parvenir à la vie éternelle. Il a compris que les deux commandements les plus importants « tu aimeras le seigneur ton Dieu » que l’on trouve dans le livre du Deutéronome et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » que l’on trouve dans le Lévitique représentent une sorte de concentré de la loi de Moïse. Une expression de sa finalité ultime.

Or, dans la parabole, le prêtre et le lévite descendent de Jérusalem vers Jéricho, ils ont donc terminé leur service au temple. Ce qui veut dire qu’ils ont l’un et l’autre le souci d’obéir au premier commandement sur l’amour de Dieu, mais que leur mauvaise compréhension de la notion de prochain les empêche de porter secours à l’homme blessé, et donc d’obéir au second commandement sur l’amour du prochain.

Celui qui a été ému jusqu’aux tripes par le sort de ce malheureux blessé au bord de la route, c’est le Samaritain. Son action est décrite en six verbes : il s’approche du blessé, il bande les plaies, il verse de l’huile, il le fait monter sur son âne, il amène à l’hôtellerie et là, il prend soin de lui. Le Samaritain incarne un amour du prochain qui ne se contente pas de belles paroles ou de grands principes, mais qui le met concrètement en pratique. L’apôtre Jean en fait une exhortation pour tous les chrétiens : « Mes enfants, n’aimons pas seulement en parole, avec de beaux discours : faisons preuve d’un véritable amour qui se manifeste par des actes. » (1 Jean 3.18)

Toute la parabole est construite pour que l’auditeur s’identifie au blessé qui a besoin d’aide. Et dans ce cas, peu importe d’où vient le secours : même l’aide d’un Samaritain est bon à prendre. Cette parabole ouvre la perspective d’une fraternité universelle qui va au-delà des clivages sociaux, religieux ou culturels. C’est une sorte de manifeste antiraciste que Jésus nous donne là.

Jésus révolutionne la définition du prochain, il la déplace au cœur du besoin humain de compassion. Et c’est pourquoi, après avoir raconté cette histoire, il questionne habilement le maître de la loi. La question n’est plus « Qui est mon prochain ? », mais « Qui a été le prochain de l’homme blessé ? » Le maître de la loi ne peut pas faire autrement que de répondre : « Celui qui a fait preuve de compassion. » Le Samaritain est peut-être un mauvais croyant aux yeux des juifs, mais il s’est comporté avec justice, car il a laissé parler sa compassion. Dès lors, la perspective n’est plus : « Qui parmi ceux que je côtoie mérite d’être mon prochain ? » Mais « comment puis-je devenir le prochain de celui qui est blessé au bord de la route ? »

Les Pères de l’Église ont vu dans le Samaritain une figure du Christ qui s’est penché sur l’humanité blessée. Alors que les faux dieux après l’avoir pillée, la laissent croupir et mourir dans ses péchés, Jésus ému de compassion comme le Samaritain est venu en prendre soin et la conduit à l’auberge de l’Eglise où se poursuivent les soins sous la forme des sacrements  : l’huile évoque le baptême et le vin l’eucharistie. On trouve dans la parabole plusieurs détails qui soutiennent cette interprétation : le Samaritain est monté sur un âne comme Jésus lorsqu’il entre à Jérusalem, il soigne le blessé comme Jésus l’a fait de nombreuses fois avec des gens malades ou infirmes, il annonce à l’aubergiste qu’il va revenir pour payer la dette, comme Jésus a annoncé qu’il reviendrait. Si cette interprétation est légitime, il est assez touchant de constater que Jésus a choisi pour décrire sa mission et pour se décrire lui-même, l’image d’un Samaritain, c’est-à-dire un croyant atypique, marginal, méprisé par la religion officielle.

Dans la même ligne christologique, on pourrait proposer une autre lecture de cette parabole et voir dans le quidam qui descend de Jérusalem à Jéricho l’image du fils lui-même, venu sur terre où il est tombé entre les mains des brigands, les hommes qui l’ont maltraité jusqu’à le faire mourir, nu sur une croix. La parabole nous interroge alors sur notre relation avec le Christ : agissons nous envers lui comme le prêtre et le lévite ou comme le Samaritain et l’aubergiste ? Et si nous lui demandons « quand t’avons-nous vu dans cette situation désespérée ? », Il nous répond : «  Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Matthieu 25.40)

À chaque fois que nous nous approchons d’un malade, d’un blessé, d’un prisonnier, d’un réfugié, d’un expulsé ou de toute autre personne malheureuse, nous nous approchons véritablement du Christ lui-même. Nous voyons le Fils qui a besoin de notre amour pour pouvoir nous manifester son amour sans limite. Dans ce cas aussi, la parabole répond à la question de l’amour du prochain. Elle nous explique que dans le malade ou le malheureux dont nous nous approchons, nous rencontrons le Christ, celui qui est venu manifester l’amour du Père pour nous.

Alors, pourquoi ai-je voulu souligner le contexte et le caractère polémique de cette parabole du bon Samaritain ?

D’abord pour vous suggérer que faire le choix de la solidarité c’est risquer de se mettre à dos les plus conservateurs dans notre société. La solidarité en actes est un combat contre l’ordre établi qui s’accommode facilement de l’injustice, de l’exclusion, de la fermeture des frontières, de l’enfermement des délinquants dans des prisons, des vieux dans les Ehpad…

Songeons à ce berger des Alpes maritimes qui était poursuivi par la justice pour avoir aidé des migrants à entrer dans notre pays… La solidarité est une attitude courageuse mais qui peut aussi devenir dangereuse. Jésus le sait bien, lui qui l’a payé de sa propre vie.

Le contexte législatif propre à la France interdit aux associations cultuelles de s’occuper d’autre chose que le culte. Les œuvres diaconales sont donc indispensables pour que les chrétiens, membres des Églises protestantes, puissent exercer ce devoir de solidarité qui leur tient à cœur. Les bons Samaritains aujourd’hui, ce sont tous les croyants qui soutiennent l’action de ces œuvres au quotidien. Ils les soutiennent soit en s’engageant comme bénévoles, s’ils en ont la possibilité, soit par leur contribution financière. Quelle que soit la forme de notre engagement, les œuvres diaconales nous permettent de nous approcher des handicapés, des personnes âgées, des sans-domicile-fixe, des migrants, des sans-papiers, des femmes battues, des malvoyants, des orphelins… et de les aider dans leur détresse. D’une certaine manière, ces œuvres agissent par délégation des croyants qui la soutiennent.

S’il me fallait trouver dans cette parabole un parallèle pour décrire le travail de ces œuvres diaconales, on pourrait dire qu’elles sont un peu comme l’hôtelier à qui le Samaritain délègue une mission de protection et d’assistance. Il lui donne déjà deux pièces d’argent et dit à l’hôtelier : « Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus je te le paierai moi-même. »

Si nous voulons avoir une foi équilibrée, il nous faut tenir ensemble et vivre ensemble ces deux commandements rappelés par le maître de la loi : « Tu aimeras le seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme de toute ta force et de toute ta pensée », et aussi : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Pour terminer, on pourrait relire cet admirable passage du livre d’Ésaïe que Jésus avait probablement en tête lorsqu’il a imaginé cette parabole :

« Voici la forme de culte à laquelle je prends plaisir [dit Dieu] : c’est libérer ceux qui sont injustement enchaînés, c’est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux, c’est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, c’est supprimer tout ce qui les rend esclaves. C’est partager ton pain avec celui qui a faim, c’est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés, c’est fournir un vêtement à celui qui n’en a pas, c’est ne pas te détourner de celui qui est ton frère. Alors ce sera pour toi l’aube d’un jour nouveau. » (Ésaïe 58.5-8)

Que ce soit pour chacun de nous l’ambition d’une vie réussie. Amen

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