Méditation dimanche 01 juin

Culte présidé par le pasteur Olivier Rieusset. Texte : Luc 10, 25-37

Quand on voit quelqu’un qui fait preuve d’une remarquable bienveillance, et surtout quand on soupçonne qu’il en fait peut-être un peu trop, on dit parfois qu’il « joue au bon samaritain ». Ce genre de sarcasme, ou de moquerie, suggère peut-être que la figure du Bon Samaritain serait un modèle de perfection hors de portée pour le commun des mortels que nous sommes. Et je dois vous avouer que pour ma part, pendant longtemps, la perfection du Bon Samaritain m’a quelque peu intimidé. Cette perfection dans l’engagement au service de l’autre peut à juste titre susciter une frustration, un questionnement : « Suis-je vraiment à la hauteur de ce bonhomme ? »

Quand le légiste demande à Jésus : « qui est mon prochain » ? Quel est ce prochain que tu m’ordonnes d’aimer comme moi-même ? », Jésus se montre très pédagogue. Il lui raconte cette parabole, dans laquelle le héros (le bon Samaritain) semble incarner l’exemple parfait de celui qui aime son prochain comme lui-même, l’exemple de celui qui se fait proche, l’exemple donc qu’il faudrait imiter. Du moins, c’est la lecture traditionnelle que l’on fait de cette parabole, celle que l’on apprend aux catéchumènes. C’est cette lecture qui fait du bon samaritain l’archétype de l’homme de bien, du chrétien bien sous tous rapports, le gendre idéal, pourrait-on dire !! Celui qui fait, toujours et quoi qu’il arrive, « tout bien comme il faut » !!

Je voudrais oser un parallèle : en fait, le Bon Samaritain, il me fait penser au personnage du « blond » dans les sketchs de l’humoriste Gad Elmaleh. Vous savez, le blond, c’est justement le gars qui fait toujours tout bien comme il faut, c’est le gendre idéal. Il agace le commun des mortels, car il paraît toujours maîtriser son sujet : que ce soit avec ses enfants, au ski, à l’aéroport ou pour monter un meuble Ikéa. Le blond il épate toujours la galerie en faisant « tout bien comme il faut » !

Eh bien le Bon Samaritain, il est un peu comme ce fameux blond : observez-le quand il porte secours au blessé. Il sait exactement ce qu’il faut faire, il n’y a aucune hésitation, aucun tâtonnement dans ses gestes. Et puis, je ne sais si vous avez remarqué, mais il a la chance d’avoir sous la main exactement tous les moyens, toutes les ressources nécessaires pour faire ce qu’il a à faire : des pansements, de l’huile et du vin, il a aussi une monture pour transporter le blessé, de l’argent liquide pour financer la suite. Il a quand même de la chance ce Samaritain ! Bref, le Bon Samaritain il est comme le blond : il est tellement parfait qu’il pourrait finir par nous agacer ou susciter en nous des complexes d’infériorité.

Mais pourquoi s’agacer ainsi de cette perfection, de cette maîtrise du Bon Samaritain ?

Eh bien, en fait, vous le savez bien, dans la vraie vie, pour nous, commun des mortels, ce n’est jamais comme ça que ça se passe ; quoi qu’on fasse, on n’a jamais à sa disposition exactement tout ce qu’il faudrait pour bien faire. On est toujours en train de chercher un outil qui nous manque, un ustensile ou un ingrédient, alors on imagine des moyens de substitution, des astuces… Dans la vraie vie, on tâtonne souvent, on hésite, on bricole des solutions de secours ; on fait avec ce qu’on a ; on fait surtout ce qu’on peut, avant de s’imaginer faire ce qu’on veut. On peut vouloir faire le bien, mais pour ce qui est de parvenir à le faire, au bon moment, au bon endroit : eh bien dans la réalité, ce n’est jamais aussi simple.

Sans compter que nous sommes entravés par toutes sortes d’obstacles et de freins dans notre désir de faire le bien. Et le premier d’entre eux, c’est la peur : la peur de mal faire, mais aussi la peur de l’autre, la méfiance, le soupçon.

Oui, mais alors, qu’est-ce que chercherait à nous dire Jésus avec cette parabole ?

Revenons au texte.

Il y a d’abord un premier indice qui peut éveiller notre étonnement. Après avoir raconté la parabole, quand Jésus demande au légiste : « lequel des trois à ton avis est devenu proche … », ce légiste répond que c’est « celui qui a montré de la compassion envers lui » (v. 37), mais sans désigner explicitement le Samaritain. Or concrètement, ils sont deux à avoir pris soin du blessé : le Samaritain et l’aubergiste. Il n’y en a qu’un qui prend l’initiative, il n’y a en a qu’un qui ordonne et fournit les moyens (à savoir le Samaritain), mais dans la pratique, dans les faits, ils sont deux à avoir pratiqué des soins au blessé. Ce n’est donc peut-être pas un hasard si le légiste ne répond pas simplement en disant : « le Samaritain ». Sa manière de répondre laisse ouverte la possibilité qu’il désigne aussi bien le Samaritain que l’aubergiste.

Regardons maintenant de plus près la question que Jésus pose au légiste (v. 36) :

« Lequel de ces trois à ton avis est devenu proche de celui qui était tombé sur les brigands ? »

Cette question peut surprendre, car à ce stade du récit, si vous avez bien compté, « celui qui est tombé sur les brigands » a rencontré quatre personnes : le prêtre, le lévite, le Samaritain, …. et l’aubergiste. Il y a ici une vraie question : Pourquoi écarte-t-il un des personnages en donnant ce chiffre de trois ? Cette question, je ne suis pas le premier à la poser : il se trouve que le chiffre « trois » est absent de certains manuscrits de l’Évangile parmi les plus anciens (ce qui permet d’inclure, au moins potentiellement, l’aubergiste)

Alors comme le suggèrent certains commentateurs, il faut peut-être regarder du côté de cet aubergiste. C’est peut-être aussi de lui, et surtout de lui, dont il faut s’inspirer : prendre soin de ceux qui nous sont confiés, non pas pour faire le héros, ou pour jouer au blond de service, mais simplement, je dirais, parce que Dieu compte sur nous pour le faire. Prendre soin de ceux qui nous sont confiés, finalement dans notre propre auberge, sous notre toit, dans le périmètre de notre existence quotidienne (dans notre famille, dans notre travail, dans notre église).

Et puis, il y a ce geste du Samaritain qui, en partant, donne deux deniers à l’aubergiste pour financer la suite des soins : à travers ce geste, on peut comprendre que Dieu compte sur nous et nous donne les moyens pour prendre soin de notre prochain. C’est dire qu’il n’attend pas de nous d’être des héros, de faire des choses au-dessus de nos moyens : il compte sur nous pour faire simplement à la mesure des moyens qu’il nous donne, et à la mesure des moyens qu’il nous promet.

Aussi, plutôt que d’être lue comme la parabole du Bon Samaritain (un titre qui n’est pas dans la Bible), cette histoire nous invite donc à regarder aussi vers cet aubergiste : voilà un homme ordinaire qui pratique, qui exerce concrètement l’amour du prochain, mais pas pour jouer au héros. Lui, il ne joue pas au « bon Samaritain », il fait ce qu’on lui demande, il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a, il fait le bien « en bricolant », en tâtonnant comme le ferait la plupart d’entre nous.

Mais surtout, le Samaritain est et reste le donneur d’ordre, c’est lui qui décide, c’est lui qui prend l’initiative. Avant de partir, il dit à l’aubergiste :

« quoi que tu dépenses en plus, quand je reviendrai, je te le rembourserai moi-même »

Autrement dit, quoi que fasse l’aubergiste, et même s’il en fait plus, le donneur d’ordre et le responsable à qui sera imputable cette bonne action, ce sera toujours le bon Samaritain. « Même si tu en fais plus, sache que c’est toujours en mon nom que tu le fais. Autrement dit : ne t’imagine pas de t’accaparer le mérite de cette bonne action ! ».

À travers cette histoire, Jésus nous enseigne enfin que l’on ne peut pas connaître à l’avance celui que l’on doit aimer, celui que l’on doit considérer comme notre prochain. D’une certaine manière, c’est Dieu lui-même qui le décide, ou qui nous impose la présence d’un prochain dans notre « auberge ». L’amour du prochain n’est pas guidé par des préférences, par des critères qui nous permettraient de savoir, et encore moins de décider à l’avance qui en sera bénéficiaire.

Amen

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