Méditation de Pâques

31 mars 2024 Pâques Temple d'Annonay Prédication sur Luc 24, 1-12 et Ac 10, 34-43

Introduction

Le philosophe François Jullien a développé ces dernières années un nouveau concept, la « décoïncidence ». « Dieu est dé-coïncidence » est le titre de son dernier ouvrage (janvier 2024, chez
Labor et Fides).
La résurrection du Christ d’entre les morts, nous oblige à dé-coïncider ! Il n’y a pas de parole plus
« dé-coïncidente » que la « Parole de la croix » telle que Paul la comprend, à la lumière de la foi en
la résurrection du Christ.
Si le christianisme est en recul sur les terres de vieille chrétienté (l’Occident au sens large), c’est
peut-être qu’une fois devenu religion établie il a cessé de « dé-coïncider ». Une part de ceux qui se
réclament du christianisme aujourd’hui (ou des racines chrétiennes), sont des ultra-conservateurs,
crispés sur l’identité nationale qu’ils décrivent comme « chrétienne ». Mais on ne peut assimiler le
christianisme à la chrétienté !
Dans la société d’aujourd’hui, ceux qui dé-coïncident le plus : les poètes, les artistes, les romanciers
(fiction), les scientifiques (dans le meilleur des cas, pas toujours). Ceux qui dé-coïncident le moins :
les gens attachés à l’ordre public et à la Loi, la classe politique (majoritairement dans le déni de
l’urgence climatique), certains religieux (attachés à l’ordre religieux hérité des siècles passés, en
voie de dissolution..)

I- Foi et doute

Je reviens au texte d’évangile lu ce matin.

Le contraste entre les femmes et les Onze (dont Pierre) est énorme. Il y a voir et voir !… Quelle est l’expérience des femmes dans le tombeau ouvert ? Elles voient deux hommes (anges)… sans voir, puisqu’elles inclinent le visage vers la terre. Manifestement, c’est un « autrement que voir » (Marc Faessler) !
Pierre se rend sur place à son tour. Il « voit » les bandelettes, il est seulement « étonné », mais cela  s’arrête là. Pierre aura besoin de temps pour que la foi fasse son chemin ! Il est représentatif de nous  autres les hommes (masculin), qui avons plus du mal à dépasser les évidences de ce qui est visible.
Noter aussi dans ce texte le contraste entre le temps court de l’agir divin (Dieu qui se révèle) (cf. « le troisième jour ») et le temps long de la foi (qui doit en quelque sorte chasser le doute). Pierre au final croit, mais moins vite que les femmes. Dans Actes 10, il est déjà le grand prédicateur de l’Eglise naissante à Jérusalem. Cela peut aller assez vite tout de même, mais c’est plus que 3 jours !
La confiance en Dieu, tel est l’enjeu fondamental. La foi n’est pas l’ennemi du doute. Sans doute, pas de foi ! Mais la foi a besoin de temps pour chasser le doute. Peu à peu, le doute le cède à la foi…
Selon Jean 20, passer du doute à la foi est possible, et même cela se fait instantanément pour Thomas. Mais cela présuppose une expérience de rencontre (comme pour les femmes en Luc 24).

II- Le récit sacré : sa naissance, ses caractéristiques

Je reviens encore et toujours à l’évangile du matin de Pâques (Lc 24). Ce qu’offre le récit évangélique, si on le prend comme une œuvre littéraire, c’est une sorte de parcours initiatique de la foi comme confiance en Dieu, où le lecteur que nous sommes est invité à s’identifier aux disciples
appelés par Jésus à le suivre.
Le parcours initiatique atteint son point culminant dans l’expérience de la passion, de la crucifixion et de la résurrection de Jésus. A la croix, toute la confiance que les disciples ont mises en Jésus s’écroule ! Si la foi veut dire confiance en Dieu, il n’en reste rien. La proclamation de la résurrection n’annule en aucun cas la crucifixion… mais elle crée un nouveau départ pour la confiance en Dieu.
La résurrection du Christ arrive à la fin du récit évangélique. Mais en vérité, c’est elle qui donne l’impulsion d’une relecture croyante de la passion et de la crucifixion, et partant de tout le ministère de Jésus. C’est donc elle qui est à l’origine du récit sacré qui s’appelle « Evangile ». L’auteur sacré fait en quelque sorte tout le chemin à l’envers de la crucifixion à la naissance de Jésus (ou à son baptême), pour bien faire comprendre à son lecteur que DIEU n’a pas abandonné JESUS, et qu’au contraire, il a toujours été de son côté, voire à son côté.
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Paul avait déjà perçu et thématisé dans ses lettres « le scandale » que représente la croix « pour les Juifs comme pour les Grecs ». C’est-à-dire pour les humains quelle que soit leur appartenance religieuse ou culturelle ! Paul meurt peu après l’an 65. La narration évangélique – que j’appelle le « récit sacré » fait son apparition vers 70. En gros, c’est la troisième génération chrétienne. L’évangéliste Marc (MC) reprend l’analyse de Paul et l’applique au lecteur de son évangile : JESUS devient « pierre de scandale » pour ses propres disciples… il le devient du même coup pour nous, les
lecteurs de l’Evangile ! De fait, aucun des disciples n’est capable d’entendre ni d’accepter la passion,
la mort et la résurrection de Jésus, pourtant annoncées clairement par trois fois !
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Marc a fait rapidement école. Matthieu et Luc reprennent à leur propre compte dans les années 70- 80 l’idée de récit sacré qui vient de Marc.
Luc l’indique clairement dans notre seconde lecture (Actes 10, 40-41) : l’annonce de la résurrection de Jésus est destinée dans un premier temps exclusivement à celles et ceux qui ont accompagné Jésus dans son ministère (à qui il veut se montrer ressuscité, vivant). Historiquement, c’est bien ainsi que les choses ont dû se passer.

Ce qui n’empêche pas que dans un deuxième temps, grâce au récit évangélique (qui peut être mis dans toutes les mains) n’importe quel lecteur puisse bénéficier de cette heureuse annonce, au même titre que les premiers disciples ! Le récit des Actes des Apôtres, rédigé par Luc, s’inscrit tout à fait dans cette perspective d’évangélisation sans frontières.
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Conclusion provisoire. Le récit sacré, c’est celui dans lequel peut s’insérer la foi. Car le temps du récit, c’est le temps de la foi.
J’ai déjà parlé du décalage entre le temps court de la révélation et le temps long de la foi. Ce n’est pas un hasard s’il  a fallu attendre la 3° génération chrétienne pour rédiger le premier « évangile », à savoir un récit sacré de la foi en Jésus-Christ, le crucifié ressuscité.
La raison d’être du récit sacré, c’est qu’il appelle à croire ! Si je parle de « récit sacré », c’est pour insister sur cette caractéristique. C’est le contraire d’un récit réaliste, qui s’en tient aux faits « tels qu’en eux mêmes ». L’auteur sacré a besoin de la fiction pour « dé-coïncider » avec la réalité. Le récit sacré est un contre-récit, un récit à rebours des évidences. Les bandelettes seules ne disent rien à Pierre venu enquêter après les confidences des femmes ! Et a fortiori, à rebours du discours des historiens. Vérité et réalité « dé-coïncident » nécessairement. Le récit sacré est celui qui montre l’irruption du sens. « La lettre et l’esprit » sont indissociables, mais si on décide que « l’esprit et la lettre doivent coïncider », on tue l’esprit !

III- Devenir témoins à notre tour

En Luc 24, Luc est resté fidèle au récit de Marc : le point de vue adopté par l’auteur sacré est celui
des femmes, et cela n’est pas anodin.
Non seulement elles ont été les premières à se rendre au tombeau le matin de Pâques, mais elles ont
été plus rapides à croire que les hommes. Cela n’est que justice que le récit sacré leur reconnaisse la
préséance : elles sont de fait le premier maillon de la chaîne des croyants devenus des témoins.
Cette chaîne a pour vocation de se poursuivre avec les lecteurs de l’Evangile que nous sommes.
Croyants en puissance, nous sommes aussi des témoins en puissance…
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Récapitulons ce que nous avons dit du récit sacré. Le récit sacré fait rupture avec le récit des
incroyants ou avec celui des historiens. Dans la brèche ouverte (grâce à la fiction du récit), le sens
fait irruption. Le sens… tombe sous nos sens !
La confiance en Dieu reste toujours l’enjeu fondamental. Le récit sacré appelle la foi du lecteur.
Celui-ci montre son efficacité quand il fait du lecteur à son tour un témoin.
Les idolâtres (les religieux dévoyés) et ceux qui préfèrent dire qu’il n’y a pas de Dieu (je pense au
cynisme dont fait preuve Pilate)… tous ceux-là sont confortés dans leur attitude par la mort de Jésus.
Mais, voici que par la relecture croyante de la Passion qu’il offre, le récit sacré opère un
retournement du « message de la croix » en son contraire ! Là peut se faire la bascule d’un monde
sans Dieu, d’un homme sans Dieu (l’athéisme peut être revendiqué ou pratique) vers la « foi » : un
monde sauvé (par la confiance en Dieu) de son propre anéantissement programmé.
Conclusion
Il nous faut retrouver la confiance dans nos textes sacrés, et ne pas avoir hont

Conclusion

Il nous faut retrouver la confiance dans nos textes sacrés, et ne pas avoir honte d’eux parce qu’ils
n’ont pas été écrits par des journalistes ou par des historiens d’aujourd’hui ! Il faut les réhabiliter à
nos propres yeux. Les étudier sans modération, et redorer le blason de l’interprétation comme acte
créatif qui laisse jaillir le sens !
Et dans l’interprétation que nous en faisons, n’ayons pas peur de dé-coïncider, car là est notre
planche de salut ! C’est ce que nous pouvons souhaiter de mieux à nos dirigeants, à notre classe
politique… si un jour nous voulons prendre à bras le corps collectivement l’urgence de la transition
énergétique.
Et pour « dé-coïncider », ne nous interdisons pas d’entendre de temps en temps nos textes de
référence dans une traduction littérale : c’est ce que j’ai voulu faire particulièrement ce matin !

Pasteur Thierry Ziegler, chargé de mission consistorial

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