I- Foi et doute
Je reviens au texte d’évangile lu ce matin.
Le contraste entre les femmes et les Onze (dont Pierre) est énorme. Il y a voir et voir !… Quelle est l’expérience des femmes dans le tombeau ouvert ? Elles voient deux hommes (anges)… sans voir, puisqu’elles inclinent le visage vers la terre. Manifestement, c’est un « autrement que voir » (Marc Faessler) !
Pierre se rend sur place à son tour. Il « voit » les bandelettes, il est seulement « étonné », mais cela s’arrête là. Pierre aura besoin de temps pour que la foi fasse son chemin ! Il est représentatif de nous autres les hommes (masculin), qui avons plus du mal à dépasser les évidences de ce qui est visible.
Noter aussi dans ce texte le contraste entre le temps court de l’agir divin (Dieu qui se révèle) (cf. « le troisième jour ») et le temps long de la foi (qui doit en quelque sorte chasser le doute). Pierre au final croit, mais moins vite que les femmes. Dans Actes 10, il est déjà le grand prédicateur de l’Eglise naissante à Jérusalem. Cela peut aller assez vite tout de même, mais c’est plus que 3 jours !
La confiance en Dieu, tel est l’enjeu fondamental. La foi n’est pas l’ennemi du doute. Sans doute, pas de foi ! Mais la foi a besoin de temps pour chasser le doute. Peu à peu, le doute le cède à la foi…
Selon Jean 20, passer du doute à la foi est possible, et même cela se fait instantanément pour Thomas. Mais cela présuppose une expérience de rencontre (comme pour les femmes en Luc 24).
II- Le récit sacré : sa naissance, ses caractéristiques
Je reviens encore et toujours à l’évangile du matin de Pâques (Lc 24). Ce qu’offre le récit évangélique, si on le prend comme une œuvre littéraire, c’est une sorte de parcours initiatique de la foi comme confiance en Dieu, où le lecteur que nous sommes est invité à s’identifier aux disciples
appelés par Jésus à le suivre.
Le parcours initiatique atteint son point culminant dans l’expérience de la passion, de la crucifixion et de la résurrection de Jésus. A la croix, toute la confiance que les disciples ont mises en Jésus s’écroule ! Si la foi veut dire confiance en Dieu, il n’en reste rien. La proclamation de la résurrection n’annule en aucun cas la crucifixion… mais elle crée un nouveau départ pour la confiance en Dieu.
La résurrection du Christ arrive à la fin du récit évangélique. Mais en vérité, c’est elle qui donne l’impulsion d’une relecture croyante de la passion et de la crucifixion, et partant de tout le ministère de Jésus. C’est donc elle qui est à l’origine du récit sacré qui s’appelle « Evangile ». L’auteur sacré fait en quelque sorte tout le chemin à l’envers de la crucifixion à la naissance de Jésus (ou à son baptême), pour bien faire comprendre à son lecteur que DIEU n’a pas abandonné JESUS, et qu’au contraire, il a toujours été de son côté, voire à son côté.
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Paul avait déjà perçu et thématisé dans ses lettres « le scandale » que représente la croix « pour les Juifs comme pour les Grecs ». C’est-à-dire pour les humains quelle que soit leur appartenance religieuse ou culturelle ! Paul meurt peu après l’an 65. La narration évangélique – que j’appelle le « récit sacré » fait son apparition vers 70. En gros, c’est la troisième génération chrétienne. L’évangéliste Marc (MC) reprend l’analyse de Paul et l’applique au lecteur de son évangile : JESUS devient « pierre de scandale » pour ses propres disciples… il le devient du même coup pour nous, les
lecteurs de l’Evangile ! De fait, aucun des disciples n’est capable d’entendre ni d’accepter la passion,
la mort et la résurrection de Jésus, pourtant annoncées clairement par trois fois !
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Marc a fait rapidement école. Matthieu et Luc reprennent à leur propre compte dans les années 70- 80 l’idée de récit sacré qui vient de Marc.
Luc l’indique clairement dans notre seconde lecture (Actes 10, 40-41) : l’annonce de la résurrection de Jésus est destinée dans un premier temps exclusivement à celles et ceux qui ont accompagné Jésus dans son ministère (à qui il veut se montrer ressuscité, vivant). Historiquement, c’est bien ainsi que les choses ont dû se passer.
Ce qui n’empêche pas que dans un deuxième temps, grâce au récit évangélique (qui peut être mis dans toutes les mains) n’importe quel lecteur puisse bénéficier de cette heureuse annonce, au même titre que les premiers disciples ! Le récit des Actes des Apôtres, rédigé par Luc, s’inscrit tout à fait dans cette perspective d’évangélisation sans frontières.
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Conclusion provisoire. Le récit sacré, c’est celui dans lequel peut s’insérer la foi. Car le temps du récit, c’est le temps de la foi.
J’ai déjà parlé du décalage entre le temps court de la révélation et le temps long de la foi. Ce n’est pas un hasard s’il a fallu attendre la 3° génération chrétienne pour rédiger le premier « évangile », à savoir un récit sacré de la foi en Jésus-Christ, le crucifié ressuscité.
La raison d’être du récit sacré, c’est qu’il appelle à croire ! Si je parle de « récit sacré », c’est pour insister sur cette caractéristique. C’est le contraire d’un récit réaliste, qui s’en tient aux faits « tels qu’en eux mêmes ». L’auteur sacré a besoin de la fiction pour « dé-coïncider » avec la réalité. Le récit sacré est un contre-récit, un récit à rebours des évidences. Les bandelettes seules ne disent rien à Pierre venu enquêter après les confidences des femmes ! Et a fortiori, à rebours du discours des historiens. Vérité et réalité « dé-coïncident » nécessairement. Le récit sacré est celui qui montre l’irruption du sens. « La lettre et l’esprit » sont indissociables, mais si on décide que « l’esprit et la lettre doivent coïncider », on tue l’esprit !