Médiation dimanche 19 janvier

Culte présidé par Hervé Missemer. Texte : 1 Corinthiens 12 v 4 à 31

Amis, frères et sœurs, Nos engagements dans la vie personnelle ou associative constituent, si peu que ce soit, un maillon dans la vie de la société dans laquelle nous évoluons.
Au début de chaque année civile, ce sera jeudi 23 au théâtre pour Annonay, tous sont invités, selon l’expression consacrée, pour y recevoir les vœux de la municipalité.
Nous y retrouvons pêle-mêle, les patrons d’entreprise, les directeurs d’hôpitaux, les représentants de partis politiques, et les présidents des associations culturelles comme ceux des associations cultuelles. Par leur présence à tous, sont représentées en fait toute personne qui vit dans une ville, quelle que soit son échelle. Quel que soit ce corps constitué, nous y avons la chance, et peut-être même le privilège d’y avoir notre place, à cause de ce que nous sommes et de ce que nous savons faire, à cause de nos dons, qui sont divers et multiples. Si nous sommes à la place qui est la nôtre, si nous sommes investis à un endroit particulier de notre travail ou de notre vie, c’est à cause ou plutôt grâce à notre personnalité, nos aptitudes, nos dons, nos dispositions, mais aussi notre vocation, autrement dit, l’appel que nous avons reçu. Chacun a l’air de vaquer individuellement à ses occupations tant professionnelles que familiales, tant religieuses qu’associatives, tant politiques qu’artistiques, mais si on pouvait faire un « arrêt sur images », si nous pouvions avoir en un instant, une vue d’ensemble, ne serait-ce que sur notre quartier, on s’apercevrait vite que chacune est complémentaire de l’autre, à tous les niveaux et qu’ainsi un certain équilibre est maintenu.  On verrait aussi encore mieux, toutes les personnes qui n’ont pas leur place et dont on ne s’occupe pas ou très mal. Nous savons très bien que, lorsqu’il y a un grain de sable dans la chaîne, la répercussion est générale et le déséquilibre sensible.  Blocage et carambolages sont inévitables. Et c’est la crise. Ce qui vrai de notre travail et de notre vie personnelle ou familiale, est vrai aussi, plus particulièrement pour nos vies d’églises chrétiennes.  Je parle ici de l’église visible, et j’emploie volontiers et avec reconnaissance, le pluriel, car la pluralité des dénominations représente autant d’organisations ecclésiales et d’orientations théologiques. Elle signifie surtout la multitude des chemins de foi et la magnifique liberté avec laquelle Dieu vient rencontrer l’être humain au cœur de sa propre histoire. Et c’est bien cet ensemble pluriel et complémentaire qui forme l’Église universelle.
A l’intérieur de nos églises locales, nous rencontrons des personnes aux fonctions multiples. Il y a celui ou celle qui a le don de Dieu spontanément, librement. Il y a celui ou celle qui le don de parler et communiquer des réalités spirituelles. Il y a celui ou celle qui a le sens de la musique et de la liturgie, celui ou celle qui a le don de la prédication ou de l’enseignement, celui ou celle qui sait aider efficacement les autres.  Il y a celui ou celle qui a le don de la visite, ou le don de la prière, Il y a celui ou celle dont les paroles de sagesse renforcent la foi, éclairent une situation, rassurent la personne hésitante. Il y a encore celui ou celle qui sait organiser et gouverner, celui ou celle qui sait réparer ce qui est cassé ou abîmé, réagir dans l’urgence ou former des projets à long terme. Il y a celui ou celle qui planifie comme celui ou celle qui improvise, celui ou celle qui a le don d’écouter, de comprendre, de consoler. Il y a donc cette société originale avec la variété de tous ces dons, que l’apôtre Paul appelle dans sa lettre aux Corinthiens, les charismes. En revanche, ce que nous ne saisissons pas toujours, c’est dans quel esprit tous ces dons sont vécus. L’apôtre Paul nous donne une réponse, en affirmant que chacun est animé par l’unique esprit, l’unique souffle de Dieu, ce qui l’amène à dire que tous les membres de cette église forment en réalité un seul corps.
Paul lui aussi s’est trouvé confronté de façon particulière à des communautés chrétiennes très vivantes, suscitées d’ailleurs par son témoignage. L’une d’entre elles était la jeune communauté de Corinthe à qui l’Esprit Saint avait largement distribué son souffle, ce qui la rendait particulièrement échevelée !
Cependant, en raison de l’expérience exaltante des différents dons de l’Esprit saint, des rivalités et des désordres avaient surgi dans cette communauté, précisément entre ceux qui en avaient été les bénéficiaires. Il fallut alors recourir à Paul qui se trouvait loin de cette communauté, pour obtenir des éclaircissements.
Dans sa lettre, Paul répond sans hésitation aux Corinthiens et leur explique comment faire fructifier ces grâces particulières. Il rappelle qu’il y a diversité de charismes et de ministères, comme celui des apôtres, des prophètes, mais que tous proviennent d’un seul et même Seigneur. Il affirme que dans la communauté, on trouve des personnes capables de faire des miracles, d’obtenir des guérisons, que d’autres sont portées de façon exceptionnelle à aider, d’autres encore à gouverner. L’un parle en langues, un autre les interprète. Cependant, ajoute Paul, tous ces dons tirent leur origine d’un seul Dieu. Puisque ces différents dons viennent du même Esprit Saint qui les accorde librement, ils ne devraient être que complémentaires et en harmonie entre eux. Ils ne sont pas donnés pour la satisfaction personnelle, ils ne peuvent pas être motif d’orgueil ni d’affirmation de soi. Au contraire, ils sont accordés en vue d’une finalité commune : édifier la communauté. Ayant pour but de servir, ils ne peuvent engendrer ni rivalité ni confusion. Paul, tout en se référant à des dons particuliers qui concernent précisément la vie de la communauté ecclésiale, est de l’avis que chaque membre a une capacité propre, un talent à faire fructifier pour le bien de tous et que chacun doit prendre conscience du sien, avec reconnaissance. Il présente la communauté comme un corps. Cette image, cette métaphore a rejoint l’ordinaire de notre quotidien.  Et il pose cette question : “Si le corps entier était œil, où serait l’ouïe ? Si tout était oreille, où serait l’odorat ? Mais Dieu a disposé dans le corps chacun des membres, selon sa volonté. Si l’ensemble était un seul membre, où serait le corps ?” Puisque chacun est différent, chacun peut être un don pour les autres. De cette façon il réalisera sa propre vocation en vue du bien de tous.
Dans la communauté ecclésiale où les différents dons fonctionnent harmonieusement, Paul discerne une réalité qu’il nomme : le Christ. En effet ce corps original que composent les membres de la communauté est vraiment le Corps du Christ. Le Christ continue à vivre dans l’Église et l’Église est son corps. Il ne s’agit ici ni d’un lieu ni d’un édifice, mais des personnes ensemble, reliées entre elles.  Par quoi sont-elles reliées entre elles ? Les uns diront que c’est par le baptême, d’autres diront que c’est par le pain partagé, signes visibles de la grâce invisible. D’autres encore se sentiront membres de ce corps, indépendamment de ces signes visibles, mais se sentiront unis par une recherche, un chemin à suivre, des textes à travailler, une parole à approfondir, une entraide à concrétiser. Mais au fond, ce qui va unir ces membres aux aspirations si différentes, c’est l’amour avec lequel chacun accueille l’autre, d’ailleurs, c’est ce que Paul développera dans le chapitre 13 de sa lettre, l’amour qu’il appelle le charisme par excellence. C’est bien évidemment plus facile à dire qu’à vivre. Nous connaissons tous nos propres limites à ce sujet. Mais nos limites sont liées au seul fait que nous ne comptons trop souvent que sur nous-mêmes. Mais si nous sommes honnêtes et que nous les reconnaissons, ces limites, alors, il y a une chance pour nous, de les dépasser.
Puisque le corps est un, les membres de la communauté chrétienne réalisent leur nouvelle façon de vivre en établissant entre eux l’unité, cette unité qui fait la part belle à la diversité et au pluralisme. La communauté ne ressemble pas à un corps de matière inerte, mais à un organisme vivant, composé des membres les plus divers. Et chacun est invité à résister à la tentation de se sentir le meilleur et le plus indispensable, en oubliant de prendre soin du plus petit, du plus vulnérable. Et résister aussi à l’envie de provoquer la division. Sinon, c’est la brèche rêvée pour que le mal s’installe sans vergogne. Alors comment vivre cette parole que la Bible nous propose aujourd’hui ? Plusieurs membres mais un seul corps ?
Il nous faut avoir, me semble-t-il, un grand respect pour les différentes fonctions, les dons et les talents des membres de la communauté chrétienne. Mais nous sommes invités à décliner ce grand respect en dehors de la communauté chrétienne, dans notre société tout entière. Alors, que nous sommes réunis, aujourd’hui, dans ce lieu, nous sommes invités à ressentir cette rencontre, cet échange, ce culte comme le nôtre, parce que nous faisons partie du même corps, et que par nos engagements tant sur le plan de la société qu’en église, nous sommes reliés les uns aux autres, et membres d’un corps unique.
Paul utilise l’image du corps humain pour exprimer sa compréhension de l’humanité. Il porte un regard positif sur le corps, qui rappelle d’ailleurs, l’attention que porte Jésus aux hommes et aux femmes qu’il rencontre pendant son ministère. Le message du Christ n’est pas seulement un discours intellectuel ou spirituel, mais il s’accompagne de guérisons des infirmités, diverses et variées, qui rétablissent le bien être dans le corps, et rétablissent par conséquent la relation.  Nous n’avons pas seulement un corps, dont nous avons à prendre soin, mais nous sommes aussi un corps, dont nous avons à prendre soin.
C’est ce que la société essaie de dire aujourd’hui, par son expression « le Vivre Ensemble ». Cette expression peut nous surprendre, nous agacer, parce qu’elle nous est dite en mode répétitif, et pourtant, c’est l’expression maîtresse de notre engagement humain.  Le « Vivre Ensemble » nous demande de faire attention à ne pas survaloriser notre propre corps, tant physique que social, tant associatif que religieux, au risque d’un narcissisme destructeur. Mais, le « Vivre Ensemble », symbolisé par le corps unique et des membres différents, divers et variés, présenté par Paul nous invite à faire attention à plusieurs choses : Avoir un corps physique dont nous prenons soin, équivaut à être un corps social, ecclésiastique, politique, associatif, autrement dit, c’est faire corps les uns avec les autres, et non pas les uns contre les autres. Faire corps, c’est avoir au fond de soi ce sentiment de solidarité les uns envers les autres. Personne ne peut vivre dans l’indifférence de ce qui se passe autour de lui.  Faire corps, c’est exercer sa vigilance envers les plus petits, c’est être attentifs ensemble, comme on le voit écrit partout dans nos lieux publics ! Faire corps, c’est aussi faire de la place à la personne que nous pourrions hâtivement considérer comme un maillon faible, ou comme le membre indécent de notre corps. Paul demande que ce soit ce membre-là dont nous prenions encore plus soin. Être un seul corps, cela veut dire qu’il y a de la place pour la diversité. Par le mouvement des populations à travers notre pays et à travers tous les pays, le monde n’en finit d’être créé. Cette création est sans cesse renouvelée, et nous invite à l’invention. Le paysage de notre pays, pour ne prendre que cet exemple, est une foule bigarrée. Si certains voient dans cette diversité, une menace politique et existentielle, d’autres, dont nous sommes les premiers en tant que chrétiens, sont invités à y voir, une richesse dont chacun est porteur. Si tout le monde était pareil, conforme les uns aux autres, ce serait l’appauvrissement de l’univers. Chaque fois qu’un régime politique ou ecclésial a voulu mettre en place la dictature d’un corps unique, par l’élimination des membres qui le gênent, ou par l’uniformité de ceux qui restent, ce régime a été voué à l’échec, par ce qu’il va à l’encontre de l’humanité. En revanche, le « Vivre Ensemble » nécessite d’abandonner ses rêves autoritaires et ses démons hégémoniques, pour travailler à la réconciliation des diversités, et accueillir la différence comme une richesse et non comme un obstacle ou un handicap. La pluralité des membres permet la fécondité de la vie, et permet pour chacun de nous, d’avoir accès à toutes les dimensions de la vie, à toutes les facettes de l’existence, à ne se priver de rien, ni priver les autres, de ce que la vie peut offrir. De même que nous prenons en considération et protégeons chaque membre de notre corps de chair, ainsi pouvons-nous faire de même pour chaque membre de ce corps en humanité, social ou ecclésial. Et si nous ne le faisons pas encore, il n’est jamais trop tard pour en prendre conscience.  Se souvenir en tout temps et en tous lieux que tous les membres du corps, quel qu’il soit, sont dignes de notre estime, de notre respect, de notre attention, et notre devoir est de faire notre possible pour qu’ils puissent se rendre utiles à la société dans son entier, sans rivalité, sans exclusion. Si ce discours nous interpelle, nous chagrine, nous titille, demandons à Dieu d’accueillir et surtout d’assumer cette pluralité qu’il veut pour nous, depuis la destruction de la tour de Babel.
Et demandons-lui d’augmenter en nous et entre nous cette force d’aimer, un autre charisme que l’apôtre Paul annonce, à la fin de son discours,   un charisme qui dépasse tous les autres et qui est essentiel à reconnaître et à cultiver : c’est l’amour, cette charité, un amour sans condition, cette force d’aimer chaque homme que nous rencontrons, et chaque parcelle de la création, selon l’expression de Martin Luther King, qui nous pousse à nous engager dans la lutte contre l’injustice.
Si la recherche de la justice est notre but et notre engagement, l’amour réciproque est le liant et la garantie de notre vie ensemble ; alors que la guerre est aux portes de l’Europe, que nous sommes appelés sans cesse à la vigilance climatique, et que tant de nos contemporains manquent du nécessaire, nous sommes plus que jamais membres différents, certes, mais toujours, un seul corps, et lorsqu’un membre souffre, tout le corps souffre avec lui. Mais quand il se réjouit, alors c’est la joie pour le corps entier.

Amen

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