Jeux de miroirs autour d’une naissance

Prédication du culte de Noël au temple d'Annonay.

Culte du dimanche 25 décembre 2022 (Noël)
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Textes bibliques : Genèse 18,1-18 ; Matthieu 2,1-12

Chers amis,

 

Trois hommes et un couffin. Je ne sais pas si vous avez été de ceux qui avez vu ce film, qui est sorti il y a 37 ans dans les salles de cinéma, et qui a rencontré un certain succès. Ce matin, nous avons entendu deux textes bien plus anciens. Dans la Genèse, trois hommes mystérieux, de passage, apparaissent devant Abraham ; et ils vont lui annoncer que sa femme Sara sera enceinte et aura un fils dans les mois qui suivent. Dans l’évangile de Matthieu, ce sont des mages, que traditionnellement nous pensons être trois, qui se sont mis en route depuis l’Orient lointain à la recherche d’un nouveau-né identifié comme le roi des Juifs. Dans les deux cas, trois hommes et la question d’un enfant, d’un nourrisson… Les correspondances entre ces deux récits très connus ne manquent pas, et je vous propose ce matin de mettre en valeur les jeux de miroirs entre eux. L’exercice, je l’espère, nous permettra de renouveler notre compréhension de ces textes et aussi, bien sûr, de Noël.

Pour cela, acceptez que je commence par la fin. Je vais vous expliquer pourquoi nous avons lu le texte de Genèse jusqu’aux versets 16 à 18, avec cette mention de Sodome ; et je vous rappellerais en quelques mots les suites de l’intérêt d’Hérode pour les recherches des mages. Ces deux suites disent à leur façon, et sans aucun angélisme, la présence du mal dans le monde dans lequel Dieu se révèle. En effet, les trois messagers accueillis par Abraham partent pour Sodome, ville de résidence de Loth, le neveu d’Abraham ; surtout, les trois hommes vont être la dernière chance pour les habitants de Sodome de se repentir de leur violence. Or vous le savez, ces envoyés vont être agressés et malgré l’intercession d’Abraham, la ville sera détruite. Dans la Genèse donc, le mal fait aux envoyés de Dieu fait l’objet d’une sanction à la hauteur des crimes commis. Dans l’évangile de Matthieu, le mal est bien présent, cette fois-ci il est surtout, en tout cas dans ce chapitre 2, il est incarné par le roi Hérode, inquiet et jaloux de son trône. Dans les versets qui suivent, c’est le sanglant massacre des innocents. Au temps de Jésus donc, le mal est peut-être même pire que dans le Premier Testament. Jésus lui-même, trente années plus tard, sera exécuté bien qu’innocent. Avec son Fils, à la différence de la Genèse, Dieu renonce à la violence ; il se place résolument du côté des victimes et des impuissants.

Aujourd’hui, après des années affectées par la pandémie, notre Noël est aussi celui d’une prise de conscience croissante des défis majeurs de notre temps. Changement climatique, exacerbation des inégalités sociales, fragilité de la démocratie, de la liberté, de la paix… Quelle que soit l’époque finalement, et les formes sous lesquelles il se manifeste, le mal continue de nous affecter profondément. Il serait illusoire de fêter Noël comme une parenthèse durant laquelle nous prenons nos distances avec les réalités de notre monde. La naissance de Jésus est Bonne Nouvelle, justement, dans ces ténèbres.

Reprenons notre exercice de mise en miroir des deux récits. Abraham et Sarah étaient âgés, cela faisait longtemps qu’ils attendaient d’être parents. L’auteur, bien indiscret, nous précise d’ailleurs que Sara ne pouvait plus, biologiquement parlant, être mère. Pourtant, depuis des années, Dieu avait promis à Abraham une descendance nombreuse et bénie.

De leur côté, Joseph et Marie sont de tous jeunes adultes. Fiancés, ils ont peut-être avancé leur mariage car Marie, qui n’avait pas connu d’homme, est enceinte. Eux n’avaient pas eu le temps d’être « socialement » prêts à avoir un enfant. Et si, comme tous ceux de leur peuple, ils savaient que Dieu allait leur envoyer un Sauveur, que certains prophètes avaient annoncé issu de la descendance du roi David, comme Joseph donc, s’ils étaient dans cette attente, ils étaient aussi conscients que l’accomplissement de ces promesses tardait. Bref, on peut supposer qu’ils ne se faisaient pas d’illusions : les probabilités que le Messie vienne de leur vivant étaient faibles.

Nous avons donc un couple qui n’en pouvait plus d’attendre, et un couple qui avait eu à peine le temps de se former. Aux deux, une vie naissante est offerte. Bonne Nouvelle donc, dans des réalités très différentes, presque opposées. Naissance miraculeuse qui n’était plus espérée, jaillissement de vie dans une histoire qui commençait juste.

Trois hommes qui surgissent dans le désert, accueillis par Abraham qui leur offre de l’eau pour se laver les pieds, qui fait préparer à leur intention des galettes de pain, du veau frais, du fromage et du lait. Des mages venus de loin qui arrivent non pas dans le désert mais dans la ville, et qui offrent or, encens et myrrhe à un nourrisson… Dans la Genèse, c’est un nomade qui reçoit des messagers de Dieu, dans une étape de leur itinéraire. Oui, c’est l’humain qui reçoit Dieu. Pour la Nativité de Jésus, c’est aussi un couple en déplacement qui est visité par d’autres voyageurs ayant franchi de grandes distances ; c’est à leur bébé, l’enfant donné par Dieu, que sont destinés leurs présents. Qu’il s’agisse des anciennes traditions orientales ou d’un geste d’hommage, nous constatons que dans chacune de ces rencontres, c’est à Dieu ou à ses envoyés que les offrandes sont faites. Voilà une bonne raison, si nous en avions besoin d’une, pour faire le choix de la rencontre, de l’hospitalité généreuse : car c’est dans de tels moments que Dieu s’approche de nous. Oui, à nouveau, Bonne Nouvelle, car le Seigneur aime nous rendre visite ou se montrer à nous, que nous soyons ceux qu’il a choisi par une bénédiction spéciale, ou que nous soyons davantage des étrangers à son peuple.

Ces deux textes soulignent aussi à quel point la Bonne Nouvelle a besoin de messagers en chair et en os, de témoins que nous rencontrons, et surtout que nous sommes. Un petit aparté à ce propos. Depuis quelques semaines, un site Internet propose un système d’intelligence artificielle à qui des instructions peuvent être données, qu’il s’agisse d’une recette, d’une compilation de citations de différents penseurs sur un sujet donné comme s’ils avaient discuté ensemble, ou toute autre question que vous pourriez lui poser. Plusieurs théologiens et pasteurs se sont amusés avec cet outil. Figurez-vous que cette intelligence artificielle est tout à fait capable de composer une prédication chrétienne sur Noël, et qu’il n’est pas évident de distinguer la dimension artificielle du résultat. C’est dans la continuité de ces initiatives de ces robots programmés pour assurer une présence humaine et parfois d’ordre spirituel dans les hôpitaux ou pour les personnes seules. D’un point de vue technique, c’est impressionnant. Pour des gestionnaires non croyants, ce serait la solution idéale pour se passer de tous ces salariés du religieux et autres fonctionnaires du sacré, comme les aumôniers ou les pasteurs. Mais l’intelligence artificielle prédicatrice a un défaut. Son texte, bien qu’il soit très juste, certainement meilleur que certains de mes sermons – pas tous j’espère -, oui, le texte de cette intelligence artificielle est passe-partout. Il n’est pas pensé par une personne à destination d’une communauté donnée, aussi imprévisible soit-elle (un prédicateur ne sait jamais exactement qui il va avoir en face de lui). C’est normal, peut-être plus pour très longtemps. Mais cela me permet de revenir au besoin que nous avons de relations incarnées, de vraies rencontres, ensemble dans un même espace, et non par l’intermédiaire d’écrans. Vous le savez, ces outils, comme la diffusion de certaines de nos activités par Internet, ces outils sont bien utiles pour rester en lien, et, plutôt pour d’autres communautés parfois, pour faire naître un lien inexistant auparavant. Ceux qui sont derrière leur écran ce matin auraient certainement préféré pouvoir faire le déplacement ! Nous le savons, nous ne sommes pas de purs esprits, et ressentir la présence d’autres personnes, dans un climat de confiance, chanter, prier ensemble, cela nous fait du bien, et cela nous permet également de percevoir autrement l’amour et la communion offertes par le Christ.

Dans le Premier Testament comme dans le Nouveau, la grande majorité des textes ont été composés par des auteurs qui connaissaient au moins une partie de leurs auditeurs ou lecteurs. On peut d’ailleurs observer les efforts que doit faire l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains pour montrer qu’il n’est pas un étranger, qu’il fait partie d’un réseau de témoins du Christ que ses interlocuteurs connaissent. Vous le savez aussi, la foi ne se transmet pas comme un héritage ; c’est à chacune, chacun, de chercher et de choisir, et ce à plusieurs reprises dans son existence, la relation qu’il veut avoir avec Dieu. La foi n’est pas un héritage, mais un cadeau, un cadeau nous vient de Dieu, de l’Esprit Saint ; et, pour que nous sachions qu’un cadeau nous est destiné, nous avons besoin, encore une fois, de frères et sœurs bien réels pour nous les montrer, pour les vivre avec nous. Nous sommes aussi appelés à être ces témoins de la Bonne Nouvelle dans notre monde, auprès de celles et ceux qui sont autour de nous, qu’il nous est donné de rencontrer.

Nous sommes appelés, en fait, à renouveler ce miracle de Noël, ce Dieu qui s’est fait homme. Le pasteur et théologien allemand de la première moitié du vingtième siècle Dietrich Bonhoeffer a écrit : « L’Église n’est réellement Église que lorsqu’elle existe pour ceux qui n’en font pas partie. » Le partage de la Bonne Nouvelle est en effet quelque chose à vivre en communauté, et j’ajouterais que je ne pense pas déformer la pensée de Bonhoeffer en disant que le croyant n’est réellement croyant que lorsque sa foi est perceptible pour ceux qui ne croient pas.

Dans le jeu de miroirs entre Genèse 18 et Matthieu 2, il y a certains points que je n’ai pas évoqué, comme le fait qu’Abraham se prosterne devant les messagers, alors que ce sont les mages qui se prosternent devant Jésus. Il y a aussi un décalage, important : le fils qu’Abraham et Sara attendaient, Isaac, survient après la visite des envoyés de Dieu ; alors que la naissance de Jésus est l’événement déterminant, le début d’une présence divine incomparable dans l’histoire de l’humanité. Les reflets et les échos entre les deux récits, vous en conviendrez, ne manquent pas. Le monde dans lequel Dieu se révèle est bien le nôtre : marqué par la violence et le mal, mais l’envoyé de Dieu n’entre pas dans cette logique et se place du côté des victimes, des innocents. La Bonne Nouvelle est donnée tant à ceux qui avaient perdu l’espoir à force d’attendre, qu’à ceux qui ne pensaient pas attendre quelque chose. Elle est surprise mais elle s’inscrit pourtant dans les promesses de bénédiction et les prophéties de libération que nous avons reçu à travers les siècles. La Bonne Nouvelle peut survenir dans chaque rencontre, nous encourageant à l’hospitalité, à être généreux envers le visiteur mais aussi envers l’hôte, car ce que nous donnons à notre prochain se révèle offrande à celui que Dieu nous envoie. Enfin, la Bonne Nouvelle de la présence de Dieu dans notre monde, dans notre humanité, a besoin de témoins en chair et en os, présents, à l’écoute, au service et partageant les messages de bénédiction offerts par le Seigneur : Dieu avec nous, Dieu sauve. Jésus est né, le fils de Dieu nous est donné : Alléluia !

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