« Je ne connais pas cet homme ». Prédication de P. Deguilhaume

Dimanche 15 octobre, prédication de P.Deguilhaume , texte dans Evangile de Matthieu Chapitre 26 versets 57 à 58 et versets 69 à 75

Répétition avant le culte

A nous aussi, il arrive parfois dans nos vies, des évènements dont on n’est pas très fiers : des colères, des doutes, des trahisons, … vous savez, toutes ces histoires que l’on voudrait bien garder cachées sous le tapis, bien protégées dans le silence…
« Le coq » en voilà un qui se fout bien de rompre le silence …. Lui qui très tôt le matin chante et réveille ceux qui dorment pour les inviter au travail … Le coq emblème national de nos sportifs, en ce moment et plus particulièrement nos rugbymans, vous savez, ces fiers combattants qui luttent durement, même lourdement blessés pour gagner et soulever la coupe de champion du monde le 27 octobre en finale dans le stade de rugby … « le chant du coq c’est-à-dire notre Marseillaise» pourra alors résonner.
Et là dans notre texte d’aujourd’hui, aussi un chant du coq, celui qui fera pleurer Pierre (selon 3 des 4 évangélistes qui vont relatent cet épisode).

« Le reniement de Pierre » C’est le petit titre que l’on trouve en interligne dans les bibles récentes, le rajout des traducteurs. Je pense sans grand risque de me tromper que si je vous avais demandé un petit travail de restitution de texte, à partir de ce dont vous vous souvenez, les éléments les plus importants seraient ressortis, c’est un texte que l’on connait bien. Comme Jésus l’en avait averti, Pierre malgré ce qu’il a proclamé va renier 3 fois Jésus, Le coq chante et Pierre va s’effondrer en pleurs.

L’homme a qui Jésus a dit « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église » Matt 16/18-19, et bien ce même Pierre ne va pas tenir sa parole prononcée seulement quelques heures plus tôt. Les textes nous en cite même les mots : « Quand il me faudrait mourir pour toi, je ne te renierai pas » Matt 26/35 ou « Pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? Je donnerai ma vie pour toi » dans Jean 13/37. Et tous dirent la même chose, nous précisent Matt et Marc dans leur texte avant de s’enfuir en courant. Mais cela, on ne s’en rappelle pas.

Seul Pierre ne s’enfuira pas ce soir-là à Gethsémané au pied du mont des oliviers. Il suivra Jésus de loin surement (avec un autre disciple selon Jean), il traversera lui aussi le Cédron et il entrera même dans le palais de Anne ou du Caïphe. Prêt à mourir pour Jésus… il semblait bien l’être pourtant pour avoir osé cela.
L’ONG Portes Ouvertes estime a plus de 360 millions (soit 1 sur 7) le nombre de chrétiens persécutés dans le monde. Ils touchent malheureusement au quotidien le risque de s’afficher disciple de Jésus. Dieu n’attend pas des héros, il aime fondamentalement les hommes pour ce qu’ils sont. On le fantasme parfois dans nos têtes de Chrétien occidental, vous savez, le petit côté Héros de la foi, admiration et culte des ancêtres et de nos martyrs pour leur foi. Mais, on mesure rapidement la dose de courage, de foi, de folie, de désespoir que cela implique si on veut leur ressembler. Alors on se garde bien de la naïveté de Pierre de le crier comme il l’a fait devant tout le monde.
« Chacun, tôt ou tard, trahit et abandonne » nous dit Jésus. C’est en quelque sorte « écrit » en tout homme, quelle que soit la force de ses dénégations. Pierre et Judas seraient donc finalement, tous les deux, figures d’une même humanité.

Comme parole d’espérance ou bonne nouvelle ça se pose là… Certains doivent même se dire, il aurait pu rester à Lyon ce matin … Il va falloir alors aller plus loin ensemble, vers le voyage intérieur qu’à pu mener Pierre cette nuit-là, voyage intérieur que l’on est invité à faire à notre tour aujourd’hui.
Rentrer dans un texte qui a près de 2000 ans, c’est un peu comme entrer aujourd’hui dans Jérusalem, même au cœur de la vieille ville, et essayer de s’imaginer le décor des scènes bibliques de l’époque, les lieux évoqués, les déplacements effectués. Ce n’est pas simple.
Les églises et bâtiments cultuels ont poussés depuis 20 siècles au-dessus de vestiges, vestiges couvrant eux même de plus anciens vestiges et enfin parfois les pierres de l’époque de Jésus. Ne cherchez pas « Le mont Golgotha », et découvrez qu’il ne devait être finalement qu’un monticule. Il est recouvert par l’église du « St Sépulcre » et n’apparait plus que très partiellement sous une plaque vitrée dans ce bâtiment. Cette église ne s’élève pas plus haut que les autres bâtiments de la ville. Le temple de Jérusalem quand à lui qui était si central est réduit au Mur Ouest où se retrouvent inlassablement les juifs pour prier, au pied de l’Esplanade des mosquées où domine le Dôme du Rocher.

Nous avons pu vivre et rencontrer cela l’année dernière lors d’un voyage œcuménique en Israël organisé entre autre par notre pasteur Pierre Blanzat. Parmi tous ces édifices religieux croisés un d’entre eux s’appelle « St Pierre de Gallicante ». Gallicante vient du latin in Gallicantu, c’est-à-dire « au chant du coq ». En 1888, en procédant à des fouilles, des assomptionnistes français ont découvert les ruines d’un ancien monastère byzantin et une grotte au sous-sol, avec une citerne qui aurait selon la tradition servi de cellule à Jésus dans l’attente de son jugement. Personne ne sait en fait ce qu’a vécu Jésus durant cette nuit. D’autres cellules ont été mises à jour aussi dans ce secteur. Le monastère aurait donc pu recouvrir la résidence de Caïphe (Grand Prêtre et sacrificateur) ou de Anne (son beau-père et ancien Grand Prêtre). Peut-être le lieu où Jésus a été conduit cette nuit-là, devant les autorités juives, plus probablement des prêtres de l’aristocratie saduccéenne qui entouraient Anne et Caïphe. Peut-être le lieu où Jésus allait vivre les premières étapes de son parcours et procès qui en deux jours le conduiront du jardin de Gethsémané à la croix.

Assis dans un espace qui aurait pu être la cour de ce palais, nous avons alors relu ces textes, ensemble en essayant de se projeter avec Pierre. Tout s’est effondré. Pas d’ intervention de légions d’anges envoyées par le Père comme il aurait pu lui demander. Il avait dû en falloir de l’inconscience ou du courage à Pierre ce soir-là au jardin lorsqu’il osa brandir et se servir de son épée face à la milice armée (si on en croit Jean qui seul le nomme). Rester dans les pas de Jésus, le servir jusqu’au bout, en héros, en martyr. C’était peut-être la manière dont Pierre envisageait de mettre en œuvre son engagement : « Je suis prêt à donner ma vie pour toi » Jean 13/37. Jésus a été emmené sans résistance par la troupe venue le chercher, il l’a voulu.
Jésus vient de partir, sans résister. Jésus un homme est abandonné de tous, les disciples se sont enfuis, dispersés. Il doit en être ainsi leur avait dit Jésus. Mais Pierre est encore là, pure folie. Il réussit à passer la porte gardée, entrer dans la cour extérieure du Palais de Caïphe. S’accrocher encore à sa promesse celle de suivre Jésus où il ira.
Les 4 évangiles rapportent cette scène. Personne n’était avec Pierre pour témoigner de cela. Les paroles de Pierre sont parfois simplement évoquées, parfois rapportées dans les évangiles. Elles sont évoquées « Et Pierre nia de nouveau » « Pierre répondit que ce n’était pas vrai », parfois les paroles sont rapportées avec plus ou moins d’emphase selon l’évangéliste « Je jure que je ne connais pas cet homme » « que Dieu me punisse si je mens, je jure que je ne connais pas l’homme dont vous parlez » ou plus sobrement « Je n’en suis pas » « Je ne le connais pas ».

Le chant du coq a retenti. Pierre s’est assurément ressenti comme le dernier des derniers cette nuit là, celui qui s’en voudra longtemps ou peut-être toujours de ne jamais avoir pu aller au bout … Alors comme le décrivent 3 des 4 évangiles et ce n’est pas surprenant, « Pierre sortit et pleura amèrement ». On ne le retrouvera pas le lendemain au pied de la croix, avec les femmes ainsi que le disciple bien aimé.
Pierre a du toucher le fond, celui de son estime, de son amour propre. Un mourir à soi-même qui devait être nécessaire par un terrible aveu : «Je ne le connais pas ».
Quelle différence alors allez-vous me demander entre Judas et Pierre si on s’en arrête là ? Surement celle qui existe entre le remords et le repentir. Le remords est un mal qui ronge, qui conduit à la mort, car aucune issue n’existe qui permette l’apaisement et le pardon. Judas qui jusqu’au dernier moment au jardin appellera Jésus Rabbi, (titre donné aux docteurs de la Loi) ne verra jamais face à lui en Jésus le Seigneur, fils de Dieu. La trahison ne pourra le conduire qu’à la mort, à la corde.

Le repentir c’est au contraire la reconnaissance de son échec Matt 26/75, ce rayon de lumière qui ouvre sur le pardon et un relèvement possible. La possibilité du repentir était inscrite dans la parole même de Jésus annonçant à ses disciples l’espérance d’un recommencement : vous m’abandonnez tous aujourd’hui « Mais après que je serai ressuscité, je vous précèderai en Galilée». Matt 26/32.
Alors on pourrait tout aussi bien imaginer que pour Pierre, ces paroles, au-delà du simple reniement retenu systématiquement, que ces paroles puissent résonner comme aussi comme une révélation sortant de sa bouche : malgré tout ce que je j’ai pu vivre, tout ce que j’ai pu recevoir, que j’ai pu entendre et avoir cru comprendre, finalement « je ne le connais pas ». Si je veux vraiment le suivre, je dois le suivre maintenant dans une confiance totale, non comme je l’ai imaginé, non comme je l’ai attendu, non comme je l’ai voulu, mais comme il est vraiment « Seigneur et Dieu » mort et ressucité pour nous et qui nous précède en Gallilée. Alors oui, maintenant je donnerai ma vie pour lui, et non pas au fond pour moi. Il fallait que j’en passe par là. Lui me connaissait vraiment, il m’avait averti, instruit et je ne pouvais l’entendre. « Quand viendra l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité » Jean 16/12. « Vous serez tous dispersés et vous me laisserez seul. Non, je ne suis pas vraiment seul, parce que le Père est avec moi. Je vous ai dit tout cela pour que vous ayez la Paix dans l’union avec moi ». Jean 16/32-33
Aujourd’hui, nous sommes surement comme Pierre a pu l’être, pétrifié dans nos attentes de ce que devrait être Jésus, prisonniers de nos jugements de valeur sociaux bien loin des valeurs de son royaume, esclaves de nos peurs et nos craintes. Pour n’évoquer qu’un exemple, dernièrement le Pape François à Marseille, a exhorté les chrétiens à accueillir inconditionnellement les enfants, les femmes et les hommes migrants débarquant sur nos côtes, perdus, souffrants. Cela au nom de l’inconditionnel amour de Dieu pour tout homme et au nom de la fraternité que l’on a en Christ … Les réactions de certains Chrétiens, voir même de représentants d’église n’ont pas tardé à se faire entendre, à évoquer le « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » même au nom du Christ. Vouloir suivre Jésus, c’est témoigner de sa bonne nouvelle, celle qui dérange plus qu’elle n’arrange, celle qui nous révèle à nous-même et relève tout homme, celle qui par Jésus conduit à la vie et non à la mort.

Alors avec ce chant du coq, confiant dans cet amour inébranlable de Dieu nous sommes invité avec Pierre à nous relever, nous révéler, nous réveiller. Réveiller est le mot utilisé dans les textes originaux pour dire ressusciter, mot qui n’a été créé que bien après. Suivre Jésus Christ c’est devenir « Pierres Vivantes », témoins à notre tour d’un amour infini de Dieu pour les hommes, Amour que Jésus a su incarner ces deux jours-là jusqu’à la croix.

AMEN

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