Des rencontres, de la foi, des œuvres…

Prédication du dimanche 30 octobre 2022 à l'Espace Marie Durand.

Culte du dimanche 30 octobre 2022

Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : Luc 18,35-19,10




 

Chers amis,

 

De nombreuses églises protestantes choisissent de marquer et de commémorer une période particulière fin octobre ou début novembre. Il ne s’agit ni de la Toussaint, ni de Halloween, mais du dimanche de la Réformation, ce bouleversement de la compréhension de la foi chrétienne et de la façon de faire Église, en Europe, au seizième siècle. Parmi les dynamiques majeures de la Réformation, vous le savez, il y a une volonté de permettre un accès direct, sans intermédiaire, à l’Évangile. Oui, pour Luther, Calvin, et leurs collègues, il était fondamental que chaque personne croyante – et à cette époque, tout le monde est croyant – il est fondamental que chacun puisse lire la Bible, et y trouver des paroles venant de Dieu, en laissant de côté de nombreux filtres que les siècles et les institutions humaines avaient accumulé. Pour les Réformateurs, il fallait donc alphabétiser la population, traduire la Bible dans la langue populaire, et le rôle de la communauté des croyants, ainsi que des ministres qui sont à son service était de donner des clés de compréhension de ces textes anciens, sans imposer une interprétation unique.

 

Dans notre France du vingt-et-unième siècle, les enjeux peuvent nous sembler bien différents. Même si tous ne sont pas à l’aise avec la lecture, il existe d’autres médias non-écrits, comme l’audio ou la vidéo, qui rendent le texte biblique accessible à tous. Il existe des dizaines de traductions en français des Écritures, certaines très précises et techniques, d’autres plus simples et fluides. Je lisais hier que l’écrivain Frédéric Boyer venait de publier une nouvelle traduction des Évangiles (Gallimard, 2022). Surtout, la place des religions et l’autorité des spécialistes – y compris hors du champ religieux – oui, la place et l’autorité des croyants et savants sont considérées comme porteuses d’une opinion de valeur strictement égale à celle de n’importe qui. Certains déplorent ce relativisme radical. Nous qui accordons de l’importance non seulement à nos questions existentielles, mais aussi à une pratique communautaire faite d’écoute et de partage, nous qui considérons que Dieu veut adresser un message d’amour à toutes et tous, nous pouvons nous sentir désemparés et attristés devant l’apparente absence de soif spirituelle de celles et ceux que nous côtoyons. Pourquoi si peu semblent intéressés par ce qui nous fait du bien, ces paroles de pardon, de libération, de réconciliation, de bénédiction ? Oui, pourquoi avons-nous l’impression d’être comme des phénomènes noyés dans des foules indifférentes ? Si parmi nos proches, plusieurs affirment ressentir de la pertinence à notre façon de croire, pourquoi n’arrivons-nous pas à les voir dans nos activités ? Nous le pressentons, leur présence et leur participation seraient profitables à tous…

 

Ce jour-là, Jésus monte vers Jérusalem. Et justement, une foule est autour de lui, alors qu’il approche de Jéricho, puis une fois qu’il est entré dans la ville. Cette foule est ici comme un personnage et nous prenons quelques instants maintenant pour comprendre son rôle, ou plutôt ses rôles, selon le récit que l’évangéliste Luc fait des événements. Tout d’abord, la foule est en mouvement, et cette agitation va conduire un aveugle assis sur le bord du chemin à se renseigner. Que se passe-t-il donc ? La foule lui répond qu’un certain Jésus, de Nazareth, est en train de passer. Premier rôle donc pour la foule : informer celui qui est au bord du chemin, celui qui ne peut pas voir, de cette présence. Mais très rapidement, au moins une partie de cet ensemble d’hommes et de femmes va se dresser comme un obstacle entre l’aveugle et Jésus. Non seulement l’aveugle doit rester à distance, mais en plus il serait bon qu’il arrête de crier, qu’il se taise. Ici, la foule cherche à rendre impossible une rencontre, elle est une frontière, un mur. Une foule en mouvement, une foule qui tient à distance et veut éloigner… mais vous l’avez entendu, Jésus va s’arrêter – et on le suppose, ceux qui sont autour de lui aussi, puis il va faire acte d’autorité en ordonnant que la rencontre ait lieu. La foule qui voulait faire taire l’aveugle se trouve elle-même réduite au silence pendant quelques instants, ces quelques minutes durant lesquelles Jésus et son interlocuteur dialoguent. La foule, informatrice puis obstacle, devient témoin d’un échange de paroles à la fois très simple, et d’une grande intensité, d’une grande vérité. Enfin, une fois que l’aveugle retrouve la vue et glorifie Dieu, la foule, devenue le peuple sous la plume de l’évangéliste, se met à louer Dieu ; elle devient une communauté reconnaissante envers le Seigneur.

 

Continuons à nous intéresser à cette foule anonyme alors que Jésus est entré dans la ville. Nous ne savons pas comment Zachée a su que le prédicateur et guérisseur itinérant circulait alors dans Jéricho. On peut supposer néanmoins que là encore, l’agitation qui entourait Jésus a attiré l’attention de cet homme seul. Lui n’est pas aveugle, il ne mendie pas. C’est un chef des collecteurs d’impôts, et Luc nous précise qu’il est riche. Nous y reviendrons. En attendant, il semble à minima curieux de qui est ce Jésus. Comme l’aveugle, il en a certainement entendu parler. Et voilà qu’il est à quelques pas ! Mais à nouveau, la foule, qui avait pu avertir Zachée, se transforme en obstacle, parce que l’homme est de petite taille bien sûr, et peut-être, mais ce n’est qu’une hypothèse, parce que, comme l’aveugle mendiant, il n’est pas jugé digne de passer devant les autres. Zachée ne va pas crier, il va faire preuve d’un certain pragmatisme, puisque, et c’est souvent ce qu’on retient le plus de son histoire, il va monter dans un arbre pour voir Jésus. Il ne semble pas vouloir lui adresser la parole, lui demander quelque chose. Là aussi, Jésus va s’arrêter, il va lever les yeux vers lui, et les deux hommes vont se voir puis Jésus va s’inviter chez lui. A nouveau, nous avons la réaction de celles et ceux qui assistent à la séquence : « Tous maugréaient : Il est allé loger chez un pécheur. » Nous n’en apprendrons pas davantage sur la foule même si nous pouvons supposer que Jésus ne s’adresse pas uniquement à Zachée quand il déclare : « Aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d’Abraham. Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Ces paroles sont certainement aussi pour la foule.

 

Vous l’avez remarqué, cette masse d’hommes et de femmes qui entoure Jésus va jouer des rôles assez proches dans l’histoire de la guérison de l’aveugle, et dans celle de la rencontre entre Jésus et Zachée, une histoire de salut également. La foule peut nous informer de la possibilité d’une rencontre que nous n’attendions pas forcément mais dont nous percevons la capacité à changer notre vie. Mais la foule se révèle aussi un élément qui pourrait s’opposer à cette même rencontre, volontairement ou non. Il est impressionnant de se rendre compte de cette ambivalence, de ces deux facettes qui sont très proches dans le temps tout en pouvant entraîner des conséquences radicalement différentes. Quand il nous arrive de parler du Christ à des personnes qui ne le confessent pas encore, quand nous nous faisons donc des entremetteurs, nous sommes dans notre rôle ; mais sachons-le, cette opportunité serait très fragile et nous risquerions de la gâcher si le Christ lui-même n’intervenait pas. Qu’il nous soit donné de témoigner de la disponibilité du Christ, en confiance, confiant qu’il saura réparer nos maladresses et nos erreurs. Qu’il nous soit donné de louer Dieu pour ce qu’il fait dans la vie des autres, et non de maugréer quand il s’invite chez celles et ceux que nous rejetons.

 

Après avoir étudié de façon assez approfondie la foule dans ce texte, après avoir souligné les gestes de Jésus qui viennent abattre les murs que nous édifions, accordons encore un peu d’attention aux deux personnes rencontrées par le Seigneur. Beaucoup d’éléments les distinguent. L’aveugle était en situation de dépendance importante, tant pour les gestes de la vie quotidienne que d’un point de vue financier. Il va appeler Jésus « Fils de David » et lui demander qu’il ait compassion de lui. Jésus voudra qu’il précise sa demande, ce qu’il fait en disant « Seigneur, que je retrouve la vue ! » Nous apprenons de l’évangile qu’il obtient satisfaction, on peut même dire sur les deux aspects de sa demande : il voit à nouveau, et Jésus lui affirme qu’il a été sauvé par sa foi. Cet homme qui était aveugle avait en effet des paroles assez remarquables, alors qu’on voulait le faire taire !

 

Zachée, lui, était chef des collecteurs d’impôts et riche. Nous ne savons pas dans quelle mesure ces deux informations sont liées, mais nous savons que sa profession était très mal considérée et il est bien possible qu’il ait été perçu comme particulièrement détestable, car certainement malhonnête et voleur. Lui ne demande rien, mais quand Jésus est chez lui, probablement autour de la table du repas, Zachée éprouve le besoin de dire ce qu’il fait. J’insiste un instant sur cet aspect, car nous avons pendant longtemps entendu les paroles de Zachée comme une décision de changer de comportement, or les verbes employés correspondent à un présent habituel. La charité, la réparation des éventuels torts qu’il aurait pu causer ne sont pas des nouvelles résolutions, des décisions pour demain, mais bien sa façon d’agir, bien différente des préjugés de ses contemporains, mais aussi des nôtres. Jésus, en disant qu’il est « lui aussi un fils d’Abraham » et que « le salut est venu pour cette maison », veut faire comprendre qu’il vient rétablir une injustice. Zachée était exclu de facto du peuple élu, de la famille des enfants de Dieu. Il était jugé indigne de l’amour et du pardon de Dieu. Eh bien, parce que le Messie a partagé un repas avec lui, cette tache dont les êtres humains l’avaient sali, cette tache est lavée. Peut-être pouvons-nous même considérer que Zachée était davantage perdu dans le regard des autres que par sa façon d’être. Même s’il avait été meilleur que la majorité des gens, ce que nous ne savons pas et n’avons pas à savoir, Zachée a besoin de l’action décisive de Jésus. Zachée n’aurait pas pu se sauver lui-même par ses « œuvres », seul le Christ pouvait le restaurer dans sa dignité.

 

Jésus a donc rencontré et sauvé un aveugle aux paroles remarquables de foi et un riche collaborateur de l’ennemi attentif aux plus faibles méprisé par l’opinion publique, tout cela en présence de la foule, parfois facilitatrice et associée à la louange, parfois désapprobatrice et hostile…

 

Selon les occasions, nous serons plutôt tel ou tel personnage, entre le mendiant, Zachée, et la foule. Et peut-être est-ce là un « tout » qu’il nous faut accepter : parfois définis par nos dépendances, parfois par notre statut social, parfois capables de confesser clairement et justement notre foi, parfois plus efficaces dans la justice de nos actes, parfois témoins de l’Évangile et malheureusement parfois des obstacles qu’heureusement le Christ surmontera… Héritiers de la Réformation dans une société sécularisée et bientôt déchristianisée, persévérons dans notre foi et notre recherche de la justice. L’Esprit souffle, il sublime notre témoignage. Amen.

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