Accueillir le royaume de Dieu comme un enfant

Prédication du dimanche 23 octobre 2022 au temple d'Annonay, avec baptême.

Culte du dimanche 23 octobre 2022

Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : Luc 18,9-17



 

Chers amis,

 

Abigaël nous a dit aimer ce que Jésus a fait, et notamment rendre la vue aux aveugles. De tels gestes merveilleux permettent à celles et ceux qui connaissent ce qu’ont annoncé certaines prophètes de reconnaître en Jésus le Messie, le Christ. Mais il l’a dit lui-même, ceux qui ne voient pas bien ne sont pas tous des aveugles au sens propre. Dans l’évangile selon Jean, l’image de la lumière est souvent évoquée. En effet, à travers les yeux du Christ, ce que nous connaissons – ou croyons connaître – prend un autre aspect. Oui, notre monde, nos proches, et Dieu lui-même peuvent être vus autrement à l’écoute de l’enseignement du Christ.

 

C’est d’ailleurs ce qui se joue dans le texte que nous venons d’entendre, qui est composé de deux séquences que nous étudions souvent de façon distincte, mais qu’il peut être pertinent d’examiner ensemble. Pour la première partie, Luc, l’auteur de l’Évangile, nous indique que Jésus parle en pensant à des personnes qui se considèrent comme meilleures que les autres, au moins sur le plan religieux. Ces personnes, il y en a certainement dans la foule confuse et très cosmopolite qui l’entoure. Il y avait probablement des spécialistes de la Loi juive, des experts dans l’observance des rituels prescrits au peuple de Dieu, des règles pensées pour favoriser une vie bonne devant les autres et devant Dieu, mais qui, vous le savez, peuvent aussi devenir un carcan. Il y avait donc dans ces foules des hommes et des femmes différents, plus ou moins croyants, plus ou moins pratiquants, plus ou moins admirés ou méprisés. Il y avait aussi les disciples, et il est bien possible que parmi eux, certains se croient en effet supérieurs aux autres. Dans la deuxième partie de notre texte, des parents de jeunes enfants, et des enfants vont être mis en avant, avec là aussi un rôle non négligeable des disciples. Que va dire Jésus à tout ce monde ?

 

Il va leur parler d’un champion de la pratique religieuse, d’un homme peut-être malhonnête qui collabore avec l’ennemi, et aussi, des enfants… Jésus va proposer à ses auditeurs, dans leur diversité, de réfléchir sur la relation à Dieu et sur la relation aux autres.

 

Il nous semble facile de rejeter le Pharisien. Mais à ses yeux et aux yeux de beaucoup de ses contemporains, il est loin d’avoir tout faux. Il prie au temple, en lui-même ; il jeûne plus que ce qui est demandé ; il verse son offrande fidèlement. C’est donc un bon pratiquant, qui pourrait être complimenté pour cela. Néanmoins, en y regardant de plus près, on constate que cet homme est sans cesse dans le calcul, la comptabilité : il sait exactement où il en est, ce qui démontre certainement de la volonté et une attention scrupuleuse à ce qui peut être mesuré. Cela nous conduit à croire que le Dieu qu’il adore est aussi un Dieu comptable, qui ne donne rien sans rien. L’idée d’alliance peut encourager une telle compréhension. Néanmoins, l’histoire du peuple juif et l’histoire plus globale des rapports que Dieu entretient avec l’humanité nous invitent à sortir d’une telle logique ; Dieu aime, Dieu pardonne, Dieu fait vivre bien plus que ce que nous pourrions le mériter.

 

Un autre problème de ce Pharisien, qui est davantage mis en valeur ici, c’est qu’il rend grâce à Dieu non pas de ce qu’il lui est possible de faire ou même de recevoir, mais de ce qui lui est possible de surpasser les autres. En cela, sa prière n’est peut-être pas des plus originales, car on a retrouvé dans les littératures juives et grecques classiques des formules dans lesquels le croyant masculin loue son Dieu de ne pas être né païen, de ne pas être né esclave, de ne pas être né femme… Notre champion religieux se révèle être détestable envers ceux qui ne lui ressemblent pas. Nous sommes alors face à un piège qu’il convient de bien identifier, faisant penser à l’arroseur arrosé, mais sans la dimension de farce. Car si nous regardons le Pharisien avec dégoût ou mépris, nous devenons nous-mêmes celles et ceux qui condamnent l’autre au nom de notre compréhension de ce que devrait être la bonne attitude tant envers Dieu qu’envers les autres. Notre tentation de condamner cet homme nous revient bien plus rapidement qu’un boomerang propulsé avec force !

 

Le collecteur d’impôts auquel Jésus fait référence constitue-t-il un modèle pour nous ? Ses marques d’humilité et son repentir nous semblent en effet plus appropriés. Mais nous ne savons pas ce pour quoi il demande à être pris en pitié, c’est-à-dire regardé avec compassion par Dieu. Si son péché ne nous regarde pas, j’aimerais insister sur ce que signifie son attitude. Il y a d’abord la reconnaissance de mauvais agissements, il y a donc reconnaissance de culpabilité ; et il y a probablement aussi des regrets, un désir de faire d’autres choix si l’occasion s’en présente. Peut-être avons-nous moins à nous reprocher, moins à nous faire pardonner que cet homme. Mais même alors, faisons-nous preuve d’une repentance sincère, qui dépasse la demande de pardon, une repentance qui est engagement à faire tout ce qui est de notre possible pour ne pas reproduire les mêmes erreurs ?

 

Quand le collecteur d’impôts rentre chez lui, nous apprenons de Jésus qu’il a été rendu juste par Dieu. Comment cet homme l’a-t-il su, et qu’en a-t-il fait ? Le Nazaréen ne le précise pas. L’évangéliste Luc place ici dans la bouche de Jésus cette phrase que l’on trouve à la conclusion d’autres de ses enseignements, parfois dans d’autres évangiles : « Quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé. » Peut-être est-ce pour éviter que nous entrions dans une fausse humilité que l’histoire se poursuit avec ces parents qui veulent que Jésus bénisse leurs nouveaux-nés. Ces bébés et ces enfants sont, physiquement et socialement, en bas. Les disciples, ceux qui écoutent et accompagnent Jésus, ceux qui sont donc tout proches de celui qu’ils ont auparavant confessé comme le Christ, le Messie, oui, ceux-ci, ces disciples, sont très haut, proches du sommet… Et voilà qu’ils défendent l’accès au Christ, c’est-à-dire que, pensant le protéger, ils érigent des murs entre Jésus et celles et ceux qui voudraient l’approcher – les enfants ne sont pas les seuls qu’ils voudraient tenir à distance.

 

Jésus refuse de telles barrières, et surtout, il va avoir deux affirmations radicales : « Le royaume de Dieu est pour ceux qui sont comme eux » et « quiconque n’accueillera pas le royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera jamais. » Rien que ça ! Si beaucoup parmi nous connaissons très bien ces phrases, il nous est parfois plus difficile de savoir qu’en faire.

 

S’agit-il de recevoir le Royaume, l’enseignement de Jésus et son exemple, en nous dépouillant de toutes les facultés et les connaissances que nous avons accumulé depuis notre enfance ? Recevoir le Christ sans nous servir de notre intelligence ? Nous passerions sûrement à côté de quelque chose, car ces capacités nous sont aussi données par Dieu. Il serait fort étonnant qu’en cherchant à mieux le connaître ainsi qu’à mieux comprendre le monde qu’il nous a confié, qu’ainsi, nous nous éloignions du Royaume… Donc je doute qu’il nous faille renoncer à ce qui nous a fait mûrir pour recevoir le Royaume !

 

En plus, une telle compréhension suppose que les enfants ne savent rien ou pas grand-chose, ce que nous croyons parfois, et nous avons tort. En effet, les scientifiques qui s’intéressent à la spiritualité des enfants l’ont constaté : c’est pendant l’enfance et notamment autour de l’âge d’Abigaël que nous sommes les plus sensibles à la transcendance. Non pas parce que nous ne comprenons que très peu de choses à ce qui nous entoure, et que la foi en Dieu permettrait de vivre malgré tout dans un monde mystérieux et qui échappe à notre maîtrise, mais peut-être parce qu’au contraire, nous percevons un certain nombre de vérités existentielles. Peut-être est-ce parce que nous expérimentons notre positionnement par rapport à certaines frontières, comme celles de la vie et de la mort, celles de la liberté et de la responsabilité, celles de la solitude et des relations, et celles de l’absurde et du sens de notre existence. Pour peu que le langage chrétien ait été rendu accessible à l’enfant, sa capacité à mettre des mots sur ce qu’il ressent et vit, ses joies, ses peines et même ses révoltes, en lien avec Dieu et avec les autres, oui, sa capacité à s’exprimer peut conduire le jeune être humain à confesser sa foi, et, comme ce matin, à demander à recevoir le baptême. Nous n’avons pas à remplir de connaissance nos enfants, mais peut-être sommes-nous appelés à leur donner les moyens de trouver leur place dans cet environnement que nous partageons, et que, ni les uns ni les autres, nous ne maîtrisons vraiment.

 

Quant à la deuxième phrase de Jésus, « quiconque n’accueillera pas le royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera jamais », veut-il dire qu’il s’agit de recevoir le royaume comme on reçoit la naissance d’un nouveau-né, c’est-à-dire avec une reconnaissance infinie, un sentiment d’être témoin de quelque chose qui nous dépasse absolument ? Si vous avez eu la chance d’être parent, ou si vous l’aurez, je vous souhaite vivement de partager cette expérience, ce ressenti fantastique… C’est, à n’en pas douter, un moment très intense sur le plan spirituel ! D’autres instants de nos vies peuvent ressembler à cela, au-delà de la parentalité, bien sûr, mais c’est ici une situation que Jésus donne comme exemple.

 

Pour faire simple, être comme un enfant, ou recevoir comme on reçoit un enfant, cela pourrait donc suggérer, dans la bouche de Jésus, savoir se questionner sur ce qui nous entoure, savoir s’émerveiller, savoir ressentir une profonde gratitude pour celles et ceux qui nous donnent de l’amour, qui nous veulent du bien, qui nous préparent une place, tout comme Jésus, tout comme son Père, notre Créateur, le font.

 

Si nous reprenons l’ensemble de notre texte, nous comprenons que la justice de Dieu, que le Royaume de Dieu restent éloignés de nous tant que nous sommes dans une logique d’échange comptable, tant que nous éprouvons et témoignons du mépris envers les autres, tant que nous voulons défendre un privilège, qu’il s’agisse d’une pratique religieuse exemplaire ou d’une proximité avec la source de la Bonne Nouvelle.

 

S’il nous est donné de reconnaître sincèrement notre fragilité et notre péché, de reconnaître que nous dépendons des autres et de Dieu, de nous émerveiller de l’amour de Dieu qui s’est manifesté par l’enseignement, la vie, la mort et la résurrection de Jésus, nous pouvons nous aussi nous approcher du Christ, nous pouvons recevoir comme des enfants, debout, sans calcul et sans mépris envers les autres, la grâce et le Royaume qui nous sont promis et qui approchent. Amen.

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