L’expérience du désespoir face à l’adversité.

13 août 2023 Temple protestant d'Annonay Prédication 1 Rois 19, 9-13 / Matthieu 14, 22-33

Similitude entre les deux textes

 Une chose rapproche de manière évidente les deux passages bibliques que nous avons entendus : l’expérience du désespoir face à l’adversité.

ELIE confesse :

« Je suis rempli de zèle pour le SEIGNEUR , le Dieu de l’univers :

les fils d’Israël ont abandonné ton alliance,

ils ont démoli tes autels et tué tes prophètes par l’épée ;

je suis resté moi seul, et l’on cherche à m’enlever la vie. »

Mt 14, 24 :

« Le bateau était déjà à bonne distance de la terre, battu (torturé, tourmenté) par les vagues. Car le vent était contraire ».

 

Poursuivons la mise en parallèle de nos deux textes.

ELIE reçoit une réponse de Dieu

Le SEIGNEUR dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne, devant le SEIGNEUR;

voici, le SEIGNEUR va passer. » Le Seigneur n’était pas dans le vent fort et puissant, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu…Mais après le feu, il y a une voix de fin silence. En l’entendant, Elie se voile le visage avec son manteau ; il sort et se tient à l’entrée de la caverne.

Les DISCIPLES sont rejoints dans la barque au milieu des flots en furie par le Christ « marchant sur les eaux ».

 

Dans les deux cas : une manifestation de Dieu, une  »’théophanie ». Une expérience du sacré (ou du divin), qui se manifeste de façon paradoxale, pour qu’on puisse clairement l’identifier.

-La  »voix de fin silence ».

-Le soi-disant  »fantôme », marchant sur les eaux.

 

ELIE reçoit des instructions pour la suite de son parcours. Le SEIGNEUR lui dit : Va, reprends ton chemin par le désert jusqu’à Damas ; quand tu seras arrivé, voici précisément ce tu feras…

Les DISCIPLES, par l’intermédiaire de Pierre, reçoivent une leçon de courage qui les a sans doute marqués à vie !

 

DIEU se manifeste personnellement à ceux qui ont fait le choix de le servir (ou de le suivre – pour les disciples). DIEU est PRESENT dans l’adversité, là où le doute et le découragement ont commencé à miner l’assurance et l’élan de la foi.

 

Rentrons plus avant dans le texte de MT 14

 

Plutôt qu’un récit  »réaliste », à prendre au pied de la lettre, sans faire aucun effort d’interprétation, ce que nous venons de voir nous oriente vers un récit imagé, fortement symbolique, qui se prête au contraire à merveille à une interprétation spirituelle et théologique.

 

Les Anciens ne faisaient pas de la théologie abstraite, ou « en chambre ». Selon la tradition juive qui a inspiré largement la Bible, on faisait de la théologie en racontant des histoires. Ce qui s’appelle de nos jours de la théologie narrative.

 

Essayons d’entrer dans cette logique. Dans le récit, il y a des éléments symboliques.

 

  • Traversée du lac  :

Elle fait partie de la géographie de cette région de Palestine. En bateau, on avance plus vite qu’à pieds, on épargne ses forces physiques. Cependant, chaque traversée est une aventure, une prise de risque. Relevons aussi le fait qu’une rive est juive, l’autre est païenne. Traverser, c’est passer la frontière entre ces deux mondes, faire l’expérience de l’altérité.

 

Cp. Notre  »Mer Méditerranée » !

= mer intérieure

 

Traverser la Méditerranée en plein été peut être dangereux !

1800 morts depuis le mois de janvier / la route migratoire la plus meurtrière !

 

  • Tombée de la nuit :

Le jour est rassurant, la nuit est inquiétante.

C’est le domaine de l’inconnu, le lieu des forces du chaos.

Cela renforce le symbolisme de la mer (qui évoque déjà l’abîme, le chaos)

 

  • Vent contraire / mer agitée

Lutte pour la survie, contre les forces de mort

Risque d’y laisser sa vie !

Manière de poser le problème du mal

Où puiser l’énergie et le courage pour le combattre ?

 

  • A la quatrième veille de la nuit (= vers la fin de la nuit )

Insiste sur la durée du combat et de l’épreuve. Les forces viennent à manquer… C’est là que vient le désespoir !

 

  • « Christophanie »

C’est-à-dire la manifestation du Christ dans sa divinité. C’est précisément ce qui fait l’originalité du texte, tel qu’il se trouve raconté par les évangélistes MC, MT et JN,  : JESUS marchant sur les eaux pour rejoindre le bateau où sont les disciples

 

La pointe du récit matthéen ?

 

Or, MT ajoute un élément supplémentaire à son récit :  JESUS offre à PIERRE de faire la même expérience… Une manière de ne pas en rester au sens extérieur, collectif, donc forcément un peu superficiel du récit. Le récit bouscule encore plus si on s’identifie à PIERRE !!

 

PIERRE manque de se noyer. Il met vraiment sa vie en jeu, et pas seulement sa foi ! Il prend au mot JESUS qui dit aux disciples : « Ayez confiance / rassurez-vous / prenez courage (trois traductions possibles du même verbe grec) . JE SUIS, N’ayez pas peur ».

 

PIERRE, une fois de plus, se montre présomptueux et se fait rabrouer par JESUS. On se souvient de   l’apostrophe extrêmement sévère : « Arrière-de moi, Satan ! ». Ici, la remarque de Jésus est beaucoup plus mesurée et compréhensive : « Homme de peu de foi ! (on peut traduire aussi  »mini-croyant ») Pourquoi as-tu douté ? (on peut traduire aussi  »hésité ») ». Mais il n’empêche qu’il a marché sur les eaux à la rencontre de JESUS. Et le récit ne lui enlève pas cette prouesse.

 

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Au contraire, j’ai l’impression que MT veut montrer que notre « petite foi » nous sert trop souvent de prétexte pour rester dans une forme de passivité, à attendre de JESUS la solution de nos problèmes. PIERRE a peut-être surestimé la puissance de sa foi, mais JESUS ne le désavoue pas, quand il fait preuve d’audace et d’initiative en se démarquant de la passivité de ses compagnons. En somme c’est à PIERRE que va toute la sympathie de MT, et toute la sympathie de JESUS.

 

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Ainsi compris, le récit de MT ouvre un chemin, pour les  »mini-croyants » que nous sommes

pour la plupart d’entre nous. Un chemin d’abandon. De renoncement à être des  »super-croyants ». La FOI ne s’use que si on l’expérimente ! Il est tentant de se dire que notre foi n’est pas assez grande

pour prendre de vraies initiatives. C’est peut-être une façon inconsciente que nous avons de tenter DIEU ?! « Augmente notre FOI, pour faire de nous de vrais croyants. En attendant, pardonne-nous notre inaction, notre absence d’initiative !… »

 

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Après tout, si je suis honnête, c’est comme cela que je justifie à mes propres yeux, mon inaction par rapport au scandale des migrants auxquels on ne porte pas secours. Dans la traversée des Alpes,

dans celle de la Manche ou de la Méditerranée… Ils ont pris le risque de franchir une frontière naturelle, qui est aussi une frontière culturelle. Et cela sera retenu contre eux ! Que ne sont-ils restés à leur place ? A l’intérieur de leurs frontières ?

 

Hypocrites que nous sommes !… Car nous savons très bien qu’on ne s’exile pas de gaieté de cœur, s’il n’y a pas de raison impérieuse de quitter sa maison, ses biens, sa parenté, sa patrie ! Et nous reconnaissons théoriquement l’article 13 de la DUDH (1948) :

-« Toute personne a le droit de circuler librement

et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État »

-« Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien,

et de revenir dans son pays »

 

Je sais que les droits des migrants sont bafoués quotidiennement par l’Etat français, qui agit au nom des citoyens français, dont je fais partie. Et pourtant je n’ai rien fait, ou pas grand chose…

 

 

VERS UNE CONCLUSION

 

Récapitulons. Une lecture conjointe de nos deux textes bibliques pour ce dimanche nous a orienté vers une interprétation essentiellement symbolique de MT 14 ( par opposition à  »réaliste » ).

 

Le récit de la marche de JESUS sur les eaux me semble pouvoir être rapporté à l’expérience de la foi, telle qu’elle faite non pas au temps de JESUS et des premiers disciples, mais au temps de l’EGLISE. Il peut être utile de revenir quelques instants au contexte matthéen.

 

L’épisode fait suite à la première multiplication des pains, sur la rive juive du lac. Jésus prend beaucoup de soin pour congédier la foule, présente pour cet évènement. Tandis qu’il envoie les disciples en bateau de l’autre côté du lac, sur la rive païenne, il renvoie les foules et gravit la montagne à l’écart, pour prier. On peut rapprocher cette séquence de la manière dont la relation des disciples avec leur maître va devoir se structurer à partir de sa passion et de sa mort.

 

 

Dernier repas de Jésus avec ses disciples Séparation physique d’avec Jésus
Mort et résurrection  Exaltation : Jésus monte auprès du Père
 »Je suis avec vous… » : présence de l’Emmanuel Attente du retour du Christ en gloire

 

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Au temps des évangélistes (MC, MT, JN), dans les décennies 70-80 et 80-90, les croyants expérimentent le découragement face à la difficulté des temps. Dès 66, la crise éclate entre ROME et le judaïsme en Palestine. La crise atteint son sommet avec la destruction du Temple en 70.

 

Dans un tel contexte, les relations au sein du judaïsme sont des plus difficiles, et bientôt on  assistera à l’expulsion des chrétiens des synagogues (le fait est attesté dans l’évangile de JN).

 

Dans notre texte de MT 14, on perçoit un questionnement sur l’eschatologie traditionnelle (la manière dont les croyants envisagent leur avenir, littéralement le discours sur ce qui est  »dernier »).

 

Le Christ est ressuscité : cela devrait tout changer… Et au fond, les croyants réalisent que rien ne change… L’adversité contre les chrétiens n’a jamais été aussi forte !

 

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MT fait avancer la réflexion d’un cran par rapport au récit tel qu’il l’a reçu de son prédécesseur MC.

 

Pour vivre sa foi, il faut l’expérimenter comme le fait PIERRE, en sortant de sa zone de confort, représentée par le bateau ! PIERRE risque sa vie en même temps que sa foi, il entre ainsi proprement dans une dynamique spirituelle de mort et de résurrection, sur les traces de JESUS.

 

Le temps de l’EGLISE présente un risque mortel pour la foi, le risque de l’installation dans le souvenir du passé, de la remémoration fidèle, mais passive, des commencements. Mais la foi elle-même est un commencement, et l’histoire de l’EGLISE ne peut être faite que d’une suite de commencements !

 

Un croyant qui ne risque pas sa foi en se jetant à l’eau, et en appelant JESUS au secours, est un croyant engourdi. Soit tétanisé par la peur de tout ce qu’il ne contrôle pas. Ou peut-être simplement assoupi, bercé par le doux clapotis de la barque sur les eaux du lac, par temps trop calme.

 

 

pasteur Thierry Ziegler,

Chargé de mission pour le Consistoire du Valentinois-Haut-Vivarais

 

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