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Une foi accueillante, une joie communicative
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Culte du dimanche 2 mai 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique : Actes des apôtres 9,26-31
Frères et sœurs,
Depuis plusieurs mois, de nombreuses églises, notamment celles qui sont membres des instances représentant le protestantisme auprès des pouvoirs publics, de nombreuses églises expriment leurs inquiétudes. Au nom de la lutte contre des comportements pouvant conduire au terrorisme, les dispositions concernant les associations cultuelles, dites de loi 1905, sont modifiées, remettant en cause un équilibre délicat préservé, avec des adaptations, depuis plus d’un siècle. Notre paroisse est elle-même une association de loi 1905. Des responsables d’églises rencontrent les élus pour leur faire part des menaces que ces projets font peser sur le fonctionnement des associations religieuses qui jouent le jeu de la République. Il n’est pas certain que l’influence des protestants suffise à infléchir cette dynamique, qui comprend probablement des éléments électoralistes, mais qui démontre surtout l’importance d’un courant de pensée radicalement anti-religieux dans une partie de notre société et de ses gouvernants.
Ce courant de pensée considère que la foi ne peut être qu’une affaire privée, qui ne doit pas s’exprimer dans l’espace public. Les supporters d’une équipe sportive sont mieux lotis : ils peuvent crier et rendre visible leur préférence « partisane » ! Ce courant de pensée, bien souvent, souffre d’une profonde ignorance de la réalité du fait religieux. Plus grave encore, les tenants de cette compréhension déformée de la laïcité telle qu’elle s’est organisée en France ne se rendent pas compte que leur combat a pour effet mécanique le durcissement des clivages et des fractures sociétales, le contraire de l’objectif qu’ils affichent !
Mais il ne s’agit pas ce matin d’exacerber ces tensions. Au contraire, je pense que notre foi nous appelle à entretenir la possibilité du dialogue ; le Christ nous demande d’aimer celles et ceux qui ne nous aiment pas. Je vous propose même d’actualiser le récit des Actes des apôtres que nous avons entendu ainsi. Saul, rappelez-vous, était un Pharisien qui, non content de ne pas croire que Jésus était le Messie, s’était dévoué avec zèle pour faire disparaître ceux qui confessaient Jésus comme le Christ. Saul persécutait les croyants. Restons mesurés dans notre actualisation : celles et ceux qui veulent réécrire la laïcité de la République française ne persécutent pas les croyants. Mais regardons justement ceux qui multiplient aux tribunes et dans les médias des amalgames suggérant que les croyants représentent, de par leur foi, des menaces pour le vivre-ensemble. Imaginez que Dieu appelle, parmi eux, parmi ces gens-là, un nouveau Saul. Imaginez que ce nouveau Saul participe à notre culte ce matin, puis demande à rejoindre notre communauté. Je ne serais probablement pas le dernier à douter de la sincérité de cette personne, à éprouver une grande méfiance, à chercher à protéger la paroisse de ce que je percevrais comme un danger.
Si une telle personne venait à notre rencontre, et que nous nous en détournions, y aurait-il un Barnabé pour assurer la mise en relation ? Dans les versets qui précèdent notre passage du livre des Actes des Apôtres, alors qu’il était en chemin pour persécuter des chrétiens à Damas, Saul a rencontré soudainement le Christ ; cette rencontre a notamment eu pour résultat de le rendre aveugle pour un temps. C’est paradoxalement par une vision que le Seigneur va demander à un certain Ananias de venir en aide à Saul. Ananias, on le comprend, objecte que Saul est l’ennemi, il a même reçu des autorisations explicites pour faire du mal aux croyants. Mais le Seigneur insiste, expliquant qu’il a justement choisi cet homme-là pour proclamer l’Évangile bien au-delà des communautés juives, tout autour de la Méditerranée. Probablement avec de l’appréhension, Ananias va finalement à la rencontre de Saul ; il lui permet de retrouver la vue et il lui donne le baptême. Saul commence peu après à prêcher la Bonne Nouvelle, ce qui suscite un grand trouble à Damas, entre ceux qui confessent Jésus comme le Christ et savent que Saul les persécutait peu auparavant, mais aussi auprès des anciens compagnons de Saul qui découvrent sa conversion, qu’ils perçoivent comme une trahison. Les responsables juifs veulent alors éliminer Saul, qui est « sauvé » par ses anciennes victimes et s’échappe de Damas.
Il arrive à Jérusalem, c’est ce que nous avons lu. Là aussi, sa conversion sème la confusion. Pourtant, il va trouver un allié. Barnabé. Au chapitre 4 des Actes, nous apprenons qu’il s’agit du surnom d’un certain Joseph, né à Chypre, qui était lévite, c’est-à-dire au service du Temple de Jérusalem. Barnabé avait vendu une terre dont il était propriétaire et avait apporté la somme perçue aux apôtres. C’étaient les débuts de l’Église. Plus tard, Barnabé, ou Barnabas, accompagnera celui qui se fait alors appeler Paul dans plusieurs voyages. Luc, l’auteur des Actes des apôtres, ne nous dit pas comment ou pourquoi Barnabé a pris le risque de servir d’intermédiaire. A-t-il reçu, lui aussi, une vision ? Ou son élan a-t-il été « simplement » nourri par sa compréhension de la Bonne Nouvelle, par sa compréhension du commandement d’amour, voire par sa vie de prière ? Mystère. Mais cette audace a été décisive, comme l’obéissance confiante d’Ananias juste auparavant.
Notre passage inclut le deuxième sauvetage de Saul par des chrétiens, qui l’exfiltrent de Jérusalem à Césarée. En quelques versets donc, ceux qui avaient été les cibles du bourreau, du pharisien Saul, se retrouvent à lui sauver la vie à deux reprises…
Dernière remarque sur ce texte : l’auteur nous parle de la progression de l’Évangile, de la croissance de l’Église par l’action du Saint Esprit, et il ajoute, étonnamment, que cette Église « était en paix ». Comment comprendre cette paix ? Nous l’avons vu, la conversion de Saul n’a pas désarmé les opposants à l’Église naissante, la persécution ne s’est pas soudainement interrompue… il s’agit donc d’une paix d’un autre ordre, la paix de la vie en lien avec le Christ, et non d’une paix absence d’hostilité ou de souffrance…
Revenons en 2021. Tout à l’heure, je suggérais que nous serions sans doute méfiants envers un militant anti-religieux hier, qui voudrait aujourd’hui, soudainement, rejoindre une communauté croyante. Cette hypothèse nous interpelle : oserions-nous obéir, comme Ananias, oserions-nous prendre le risque de la confiance, comme Barnabé ? Nous plaçons-nous suffisamment à l’écoute de la Parole de Dieu, accordons-nous suffisamment de place à l’Esprit Saint pour saisir cette mission gratifiante ? Car oui, c’est une joie de contribuer à intégrer une nouvelle personne dans la communauté des croyants, dans la famille des enfants de Dieu. Peut-être avons-nous oublié que c’est une fête ? Ou que Dieu, hôte de cette fête, nous y invite, et qu’il nous suffit d’y répondre favorablement ? Dieu nous appelle à devenir des nouveaux Barnabé : rappelons-nous que ce rôle est source de joie, mettons-nous à l’écoute et au service !
Avant de finir, je vous propose une interpellation plus radicale encore. Et si nous devions vivre une nouvelle conversion, du même ordre que celle de Saul sur le chemin de Damas ? Notre annonce de l’Évangile n’est-elle pas tellement silencieuse qu’elle en devient contre-témoignage ? L’un des théologiens protestants les plus influents du vingtième siècle, Karl Barth, a écrit :
« Une foi qui resterait une affaire privée, qui ne se manifesterait pas au-dehors, ne serait plus qu’une incrédulité cachée, une fausse foi, une superstition. Car la foi qui a pour objet Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne peut pas ne pas se manifester publiquement. »
Karl Barth, Esquisse d’une dogmatique, Labor & Fides 2019, p. 41
Une foi qui ne se manifeste pas ne fait pas avancer le Royaume, elle ne fait pas vivre l’Église, au contraire même, elle étouffe la puissance de vie de l’Évangile. Alors oui, il est peut-être nécessaire que sur notre chemin, nous voyons à nouveau le Seigneur, que nous le laissions nous parler, pour ensuite que nous nous exprimions avec assurance au sujet de Jésus.
Frères et sœurs, invoquons avec ferveur l’Esprit Saint pour que nous ne restions pas des chrétiens sceptiques à l’égard des personnes susceptibles de rejoindre l’Église. Invoquons-le pour que cessent nos silences qui portent contre-témoignage de l’Évangile. Invoquons l’Esprit pour qu’il nous donne de devenir qui Ananias, qui Barnabé, qui encore Saul, converti et missionnaire. Car la joie que nous refusons de partager sera perdue, alors que celle que nous offrons au monde sera démultipliée. Que l’Esprit nous soit en aide ! Amen.