Une mort féconde

Culte du dimanche 21 mars 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : Jean 12,20-33

Écoutez ci-dessus ou en cliquant ici (PodCloud) l’enregistrement de la prédication.

Quand on lit les évangiles, nous sommes amenés à comprendre que Jésus savait très bien ce qui l’attendait à Pâques. Tous les évangélistes nous rapportent les paroles de Jésus, aux foules mais surtout à ses disciples, concernant sa mort à venir et sa résurrection. Celles et ceux qui entendaient de telles annonces étaient perplexes, et on peut les comprendre : qui, en effet, peut connaître sa mort ? Qui, également, peut dire qu’il sera ramené à la vie le troisième jour après son décès ? Aujourd’hui encore, ces annonces demeurent mystérieuses, même si nous savons que les évangiles, écrits après les faits qu’ils racontent, ces évangiles veulent partager un sens à cette succession assez incroyable d’événements. Ici, pour sa troisième Pâques à Jérusalem, Jésus est l’objet de la curiosité de Grecs proches du judaïsme. Des disciples servent d’intermédiaires. Mais Jésus semble penser à autre chose. S’il sait en effet que la Passion est imminente, nous entendons dans cette séquence qu’il cherche à alerter ceux qui lui sont proches, y compris la foule, sur ce moment particulier qui s’ouvre.

Deux expressions-clés me semblent à relever. D’abord, « l’heure est venue ». Ensuite « si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. »

« L’heure est venue ». C’est le cas pour Jésus, même si de longs chapitres nous séparent encore du récit des événements de la Passion ; pendant ces chapitres, Jésus prononcera ses adieux à ses disciples. Mais en effet, après plusieurs années de compagnonnage, les disciples vont devoir faire face au cœur de l’événement Christ. Jésus, donné par Dieu à l’humanité, doit mourir humilié pour être glorifié. L’heure est venue, donc, pour Jésus, mais pas seulement. Pour tous ceux qui ont rencontré ou entendu parler de Jésus, et donc pour nous aussi aujourd’hui, il est question d’un choix. Non pas d’un choix de vie ou de mort, comme les échos de certains versets pourraient nous le suggérer, mais de stérilité ou de fécondité. « L’heure est venue », ou, selon d’autres traductions, « c’est l’heure » d’un choix. Encore une fois, le choix n’est pas entre mourir et ne pas mourir, mais entre le monde humain, avec ses ténèbres, ses mensonges, et le monde, le Royaume diraient d’autres évangélistes, le monde selon Dieu, un monde de lumière, de vérité, et aussi de vie éternelle. La mort de Jésus, à cet égard, nous conduit à prendre position : s’agit-il d’un échec, ou d’une victoire ? N’oublions pas que notre réponse n’est pas attendue le soir du Vendredi Saint, mais dans l’après du tombeau vide, dans l’après des apparitions du ressuscité, dans les conséquences de son ministère pour l’humanité.

Et en effet, deux mille ans après, ces conséquences sont considérables ! Cela fait écho à la deuxième phrase que je veux mettre en exergue ce matin. « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » L’image est formulée simplement. Elle est sûrement une évidence pour celles et ceux qui connaissent la vie des champs, les labours, les semences, les moissons.

Remarquez, il y a de quoi ouvrir une boutique de graines à partir des paroles de Jésus. Il y a par exemple la graine de moutarde qui désigne le Royaume de Dieu, une graine toute petite qui donne une des plus grandes plantes dans laquelle des oiseaux peuvent s’abriter. Il y a une autre graine de moutarde, à laquelle notre foi est comparée, et qui nous permettrait d’ordonner à des montagnes de se jeter dans la mer… Il y a ces graines, jetées généreusement sur les chemins, les pierres, les épines et la bonne terre. Et il y en aurait sûrement beaucoup d’autres. L’idée que l’on retrouve derrière la plupart de ces images, c’est que de petites choses peuvent produire infiniment plus, être fécondes et fertiles indépendamment de leur modestie originelle.

Cette fois-ci, on nous parle aussi de fécondité, de fruits portés en abondance. Mais l’accent de l’image est porté sur la mort nécessaire du premier grain. Un grain de blé associé à beaucoup d’autres peut donner de la farine, que l’on peut transformer en pain. Mais le cycle ne peut pas se renouveler à moins qu’un grain ne soit mis de côté, mis en terre, c’est-à-dire qu’il meurt, avant de pouvoir croître, germer, et se multiplier.

Les paroles de Jésus dans ce texte nous indiquent que le chemin le plus fructueux, le plus fécond, passe par sa mort. Seule la mort de Jésus est nécessaire à notre vie aujourd’hui, avec Dieu. Parfois aussi, avant de donner du fruit, certaines de nos réalités traversent des pertes, des disparitions, des morts symboliques. Ces renoncements, ces séparations, ces quasi-morts peuvent se révéler décisives pour notre vie. Car la vie nouvelle qui nous est offerte ne commence pas dans l’au-delà, mais elle s’ancre dans notre quotidien, ici et maintenant.

Il y a deux facettes dans ce grain qui meurt avant de porter du fruit. La première, manifestée par exemple par le baptême, c’est que la vie chrétienne ne peut pas s’ouvrir sans que quelque chose ne soit fini auparavant. Nous ne pouvons donc pas avoir à la fois la paix et l’amour offerts par Dieu notre Père et la sécurité et la réussite déterminées par notre égo, nos ambitions ou notre environnement. Il y a peut-être des projets, des envies, des systèmes qui nous asservissent. Jésus nous appelle à nous en détacher, à les laisser tomber en terre, pour que de cet abandon jaillisse de la nouveauté.

Il y a des pertes à subir, des abandons à accepter, des échecs à assumer, parce que, oui, il y a une deuxième facette dans ce grain de blé. Ces pertes, ces abandons, ces échecs sont aussi autant d’étapes porteuses d’espérance et même de résultats. Attention, en aucun cas il n’est question de choisir de souffrir, ou de faire des sacrifices douloureux, dans l’illusion que ces épreuves nous donneraient des droits à un meilleur dont nous connaîtrions les contours. Il ne s’agit pas non plus de prolonger un épisode pénible, de rechercher la voie la plus difficile, de renoncer au réconfort. Mais, je le pense, d’accepter que ce qui nous peine, que ce qui nous manque, tout cela puisse être transformé, par la volonté de Dieu, en élans d’espérances et de vie, pour nous, et au-delà de nous. Car les fruits donnés par le grain de blé qui a germé, ces fruits sont nourriture pour nous personnellement, mais également pour nos proches et notre monde.

En ce temps de Carême, en ce temps aussi où beaucoup vivent des difficultés, il est peut-être bon de ne pas craindre de faire un bilan, de voir ce qui nous pèse et qui peut être abandonné, de voir ces manques ou ces trop-pleins que Dieu peut transformer pour nous redresser, nous redonner souffle et confiance, pour que nous marchions à sa suite, et pour placer la vie en victoire sur nos propres croix et autres tombeaux.

Oui, « si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Amen.

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