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Un baptême et un homme qui sortent de l’ordinaire
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Culte du dimanche 10 janvier 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique: Marc 1,4-11
Frères et sœurs,
Notre rapport au temps est profondément bouleversé depuis une dizaine de mois. Ce qu’il s’est passé en janvier dernier nous paraît encore plus lointain que d’habitude. C’était « avant », un « avant » qu’il serait naïf d’idéaliser, un « avant » pendant lequel nous pouvions vivre sans nous en rendre compte dans une certaine insouciance, un « avant » que nous nous prenons à regretter. Depuis, l’incertitude quand à nos projets et même à nos gestes du quotidien, et l’inquiétude quand à notre santé et à celle de nos proches, l’incertitude et l’inquiétude ont envahi nos pensées. Il y a quelques jours, nous avons changé d’année civile. Soulagement de pouvoir prendre un peu de distance avec certains mois particulièrement difficiles, mais aussi regret à l’égard des rassemblements limités pour les fêtes. Espoir, aussi, d’une lueur dans le tunnel : la découverte de plusieurs vaccins dans des délais records permet de se rassurer : dans quelques mois, sûrement, même si ceux-ci seront longs, nos quotidiens seront moins incertains, et les retrouvailles enfin possibles. Le temps s’est allongé… et pourtant, nous changeons d’année.
Dans l’évangile de Marc, au contraire, le temps est condensé, ramassé. L’auteur relie de très nombreuses séquences de son évangile par le mot « aussitôt ». Celui qui écoute ou qui lit le texte de façon continue sera pris par une impression de vitesse, et peut-être un sentiment d’urgence. L’auteur a un message essentiel à transmettre, et pour être efficace, ses récits s’encombrent d’un minimum de détails. Dès le début de l’évangile, la concision est remarquable.
Par exemple, l’arrivée de Jean le Baptiste au verset 4 a certes été précédée d’une citation du prophète Esaïe, mais Jean « survient », sans aucune autre précision, comme dans ces livres, ces feuilletons ou ces films dans lesquels l’irruption d’un parfait inconnu dans l’intrigue fait enfin progresser une situation qui semblait sans issue. Ils sont rares, les écrivains et les scénaristes qui parviennent à utiliser adroitement cette carte que l’on peut juger un peu facile ! Mais voilà, l’histoire du peuple juif et de Dieu semblait en effet s’être enlisée. Des siècles de silence, sans prophètes, des siècles de domination étrangère et de liberté limitée… Et voilà Jean, le Baptiseur et le prédicateur. Pour Marc, pas besoin de savoir d’où il vient. Le voilà, et ce qu’il dit et fait est digne d’attention.
Il pratique un baptême de repentance, de purification, de pardon des péchés. Cela nous rappelle d’abord que le baptême n’est pas une invention chrétienne ! Notons ensuite que le baptême que Jean administre n’est pas anodin. En effet, il suggère qu’une purification est possible autrement qu’en offrant un sacrifice au Temple de Jérusalem, ce qui était la norme à l’époque. Pour le dire autrement, Dieu ne pardonnerait pas seulement en échange de la vie de quelques animaux, Dieu ne pardonnerait pas seulement en vertu d’un rite accompli par un groupe précis de personnes comme le sont les prêtres officiant au Temple, et Dieu ne pardonnerait pas seulement dans un lieu sacré et unique, mais aussi dans un lieu aussi anonyme qu’un désert et que la rive d’un fleuve, bref, Dieu peut pardonner partout. Vous le voyez, le baptême pratiqué par Jean, s’il n’est pas à confondre avec notre compréhension chrétienne, est un geste qui manifeste déjà d’une situation nouvelle et positive.
Mais revenons à la façon dont Marc rédige son évangile. Je viens de le dire, l’irruption de Jean est soudaine, et il introduit en effet une rupture dans l’histoire du peuple de Dieu. Deuxième personnage à apparaître dans ce texte de façon inattendue : Jésus lui-même. L’évangéliste ne dit qu’une chose de ses origines : il vient de Nazareth, en Galilée, une bourgade quelc27 décembre 2020onque à l’époque, façon de souligner le caractère ordinaire de celui qui en vient. Jésus ne vient pas de nulle part, certes, mais surtout, il ne vient pas d’un lieu important, qu’il s’agisse d’une capitale politique, économique, religieuse ou même culturelle.
Marc ne juge pas nécessaire de nous en dire davantage avant d’énoncer le fait que Jésus reçoive le baptême de la part de Jean. Pour le dire autrement, pour Marc, rien de distinctif n’est à rapporter avant ce baptême. La tradition théologique chrétienne a estimé que Jésus n’avait jamais commis de péché. En lisant l’évangile de Marc, ce point de doctrine relève de la spéculation. Dans d’autres évangiles, Jean va présenter des objections à la demande de Jésus. Ici, Jean affirme avant de rencontrer le Messie qu’il ne lui est pas comparable. Quand il est en présence de Jésus, Jean ne semble avoir aucune raison de refuser. Jésus est ici un Juif comme les autres, et l’on peut supposer que lui aussi avait besoin de manifester en paroles et par le baptême sa volonté de revenir à Dieu, de reconnaître qu’en tant qu’être humain, que pleinement être humain, il avait pu s’éloigner de la volonté de Dieu. Oui, je veux croire qu’avant ce baptême, Jésus avait mené une vie tellement semblable aux nôtres qu’une dynamique profonde de repentance pouvait avoir lieu dans son esprit pour aboutir à une confession publique, sur les rives du Jourdain. Mais je crois aussi, en m’appuyant sur ce que relatent les quatre évangiles, que son baptême de repentance était le dernier de cette nature. Avec Jésus, le Christ, la réconciliation avec Dieu est offerte, même sans le baptême, qui n’est qu’une manière de rendre visible l’amour gratuit de Dieu envers nous et le changement de vie que cet amour reçu provoque. Le baptême de Jésus est le dernier pour le judaïsme incarné par Jean Baptiste et le prélude à celui du christianisme. Jésus, reconnu comme fils bien-aimé par Dieu, a donc un Père au ciel ; mais il reçoit aussi l’Esprit Saint en cette occasion. Une parole rend explicite la parenté, une colombe rend visible le souffle de vie. Le baptême au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit n’est pas loin.
Frères et sœurs, dans le texte de ce matin, nous sommes témoins d’une rupture dans l’histoire entre Dieu et l’humanité. Par le baptême qu’il reçoit, par un prophète en guenilles et dans un lieu sans aucune importance, Jésus souligne qu’il a été profondément humain, qu’il s’est probablement – au moins un peu – éloigné de la volonté de Dieu. Par le baptême qu’il reçoit, Jésus reçoit une nouvelle identité de fils bien-aimé de Dieu, une nouvelle identité d’humain habité par le Saint Esprit. Depuis, nous aussi, nous pouvons recevoir cette nouvelle identité, cet Esprit d’adoption, nous pouvons entrer dans une relation d’amour ouverte par Dieu.
Dans notre présent qui s’étire, dans l’attente pénible de jours meilleurs, contemplons comment Dieu intervient, comment le Messie qu’il envoie fait irruption au milieu des anonymes. Ce n’est que plus tard que les personnes présentes entendront parler de l’enseignement de Jésus, de son agir. Pourtant, ce jour-là était décisif. Et si, aujourd’hui comme il y a deux mille ans, le Christ était présent parmi nous pour révéler l’amour infini et gratuit de Dieu à notre égard ? Ce n’est pas parce qu’il vient incognito qu’il n’est pas présent à nos côtés ! Amen.