Culte du dimanche 5 juillet 2020
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique : Matthieu 11,25-30
Frères et sœurs,
Quand quelqu’un part marcher pendant plusieurs jours, qu’il s’agisse d’une randonnée ou d’un pèlerinage, il est souvent rattrapé à un moment ou à un autre par une question. Cette question, c’est : « était-il nécessaire que le sac que je porte sur mon dos soit aussi lourd ? » Les marcheurs les plus expérimentés ont bien sûr appris à ne prendre que le nécessaire, à se préoccuper avant le départ du poids de chaque objet qui sera porté pendant des heures, parfois sur des terrains accidentés, parfois en pleine chaleur. L’effort physique de la marche ne doit pas toujours se transformer en performance sportive, en prouesse où le repoussement de ses propres limites est en soi un objectif ! La marche, le plus souvent, est une activité que l’on a choisi.
Dans nos vies, nous avons rarement le choix de porter certaines charges. Il faut subvenir à nos besoins, et à ceux de ceux qui dépendent de nous. On pense bien sûr au cercle familial, aux relations avec nos parents et avec nos enfants. Il faudrait ne pas oublier le couple dans lequel chacun s’est engagé : il a besoin d’investissement ! On peut aussi penser, parfois, à nos voisins. Chaque jour, nous sommes des rouages en mouvement de toute la société. Certains dépendent de notre travail. Tous, nous dépendons aussi des ressources que nous partageons pour prendre en charge différentes missions et différents risques. Par les taxes et impôts que nous payons, nous déléguons la responsabilité du recours à la force, mais aussi une partie de la charge éducative des générations les plus jeunes, une partie des soins de toutes les générations, etc. Nous prenons aussi de plus en plus la mesure de la charge de la transition écologique, que nous essayons d’intégrer à nos arbitrages. Dans nos engagements associatifs ou ecclésiaux, également, des décisions doivent être prises, des choix effectués. La liste de nos responsabilités est donc grande, chacune et chacun peut l’adapter à son quotidien.
Les préoccupations que j’ai évoqué comprennent nos besoins individuels et sociaux. Il y a en effet ce qui concerne tout simplement notre survie d’un point de vue physiologique, et tout ce qui nous permet d’avoir une place dans notre société. D’autres soucis peuvent encore nous accaparer. Ils appartiennent également au registre relationnel, mais ils concernent notre relation avec Dieu. Certains sont complètement épargnés par cette question, mais pour d’autres, c’est un sujet de réflexion et même pour quelques-uns la cause d’importantes angoisses. Qui suis-je pour Dieu ? Dieu m’aime-t-il ? Qu’attend-il de moi ? Que pense-t-il de toutes mes insuffisances, toutes mes faiblesses, tous mes échecs, toutes mes erreurs ?
Nous ne manquons pas de préoccupations. Les personnes qui suivaient et écoutaient Jésus non plus ! Au moment où Jésus prononce les phrases que nous avons entendues, les disciples ont été envoyés en mission. Le maître leur avait donné à la fois l’autorité d’effectuer des guérisons incroyables, et une mise en garde longue, détaillée, impressionnante, concernant les difficultés qui les attendaient. Les Douze devaient partir sans s’encombrer, compter sur l’hospitalité de celles et ceux qu’ils allaient rencontrer. Ils devaient surtout se préparer à être rejetés, voire persécutés. Jésus avait même évoqué, c’est le texte que nous avions entendu dimanche dernier, Jésus avait même évoqué des déchirures dans les familles, dans les maisons. Jésus ne cachait donc pas que le suivre n’était pas une simple promenade d’agrément, mais un chemin sur lequel des souffrances étaient possibles. Après ce discours qui avait de quoi refroidir les enthousiasmes, un peu comme quand le randonneur découvre au moment de partir des prévisions météorologiques défavorables, les Douze étaient partis sur les chemins, et Jésus avait continué à s’adresser aux foules. Là encore, son propos était empreint de gravité : il expliquait quelle était la place de Jean le Baptiste dans la réalisation de la promesse divine de l’envoi d’un Sauveur ; et Jésus soulignait que le message de ce dernier des prophètes était crucial. Rejeter la prédication de Jean, c’est prendre le risque de ne pas voir que le Messie est là, que le Royaume, enfin, est accessible, en Jésus, le Christ.
C’est alors que Jésus prononce les phrases que nous avons entendues. Leur tonalité est bien plus réconfortante que les paragraphes qui précèdent ! On peut distinguer trois temps dans ces paroles.
Le premier est une prière de louange, de reconnaissance, d’action de grâces que Jésus adresse à son Père. Jésus se réjouit d’incarner la Bonne Nouvelle, Jésus se réjouit d’être venu dans l’humanité pour que toute l’humanité puisse connaître Dieu. Oui, Dieu est proche, mieux, Dieu est accessible à tous. Pas seulement aux puissants, aux décideurs, aux riches, aux célèbres, ou aux savants. Jésus semble même dire que ceux-ci en sont exclus. A moins, probablement, d’une conversion… Jésus suggère que la grâce est telle qu’elle bouleverse les hiérarchies habituelles. Voir sa vie transformée par Dieu, c’est une bénédiction d’abord accessible aux faibles et aux fragiles de son temps mais aussi du nôtre.
Deuxième temps, qui développe en fait le premier. Pour connaître Dieu le Père, source de notre vie, il n’y a qu’un seul chemin, Jésus, le Fils, qui s’est fait notre frère. Ici, on pourrait se croire dans l’évangile de Jean, tant l’idée et le vocabulaire sont proches de ceux qu’affectionne le quatrième évangéliste. Jésus, venu partager notre humanité, démontre que Dieu ne se cache pas de ses créatures. Jésus révèle aux hommes et aux femmes que celui qui nous a donné le souffle de vie nous aime tellement qu’il veut rester en relation avec nous ; et pour que cette relation soit possible, pour que nous soyons vraiment des interlocuteurs, le pardon nous restaure, et la paix de Dieu nous permet de nous tenir en sa présence. Tout le « travail » est fait pour nous. Durant son ministère, Jésus est allé à la rencontre d’hommes et des femmes qui cherchaient le Seigneur, sincèrement, sans arrières-pensées. Les évangiles nous montrent aussi des personnes qui avaient besoin du Christ, sans en être conscientes, et qu’il va appeler. Non seulement il répond ou devance nos besoins, mais en plus, il fait de nous ses partenaires pour partager la Bonne Nouvelle.
Troisième et dernier temps, justement, cette invitation que Jésus adresse à celles et ceux qui portent des charges lourdes, qui peinent, et qui ont soif d’être soulagés. « Venez auprès de moi. » Il est question de devenir des disciples de l’enseignement et de la vie de Jésus, c’est-à-dire de se laisser instruire par ses paroles et son exemple. Au lieu d’une fatigue écrasante, le repos, et une charge légère et douce. A celles et ceux qui l’entendent, Jésus propose de déposer leurs fardeaux à ses pieds, ce qui est parfois plus facile à comprendre qu’à faire. Ces paroles contrastent bien avec les avertissements du chapitre précédent, dans lesquels il était question de porter sa croix.
Jésus dit-il blanc un jour et noir le lendemain ? Je ne crois pas. Mais il est important de distinguer ce que nous avons à porter. Il y a nos charges humaines, nos responsabilités, avec toutes les fragilités, l’orgueil et le péché qui minent nos existences, nos relations avec les autres. Ces charges constituent bien une croix. Mais elle a déjà été portée. C’était une veille de sabbat, il y a deux mille ans. Trois jours après, cette croix ne pesait plus rien, et depuis elle demeure vide. La croix que nous portons désormais est un fardeau léger. C’est la croix des disciples envoyés en mission. Cette croix, c’est celle de se savoir pardonnés par Dieu, c’est celle d’être invités à entrer pleinement dans cette joie et cette paix qui nous sont données, c’est celle de ce désir de faire connaître l’amour de Dieu à celles et ceux que nous côtoyons. Cette croix subsiste, et peut être plus lourde dans un contexte hostile (d’ailleurs, les persécutions annoncées par Jésus se sont surtout concrétisées après la Pentecôte). Mais cette croix est infiniment plus légère que celle de notre péché ; surtout, cette croix, ce joug, nous l’avons choisi, et nous le portons à plusieurs.
Pour résumer, la Bonne Nouvelle nous est accessible ; c’est Jésus qui garantit notre relation avec la source de notre vie ; et enfin, rejoindre le Christ allège le poids de nos journées. Il a porté la croix de notre péché, et il nous invite à être des messagers de l’amour de Dieu, une bénédiction pour toutes et tous.
Dans des temps troublés, cette invitation a le mérite de nous rappeler ce qui est essentiel. Elle résume aussi l’un des projets de la Bible, qui est de nous dire ce que Dieu nous donne, gratuitement, sans que nous ayons des exploits à accomplir auparavant pour l’obtenir. Il nous est demandé de suivre le Christ, sachant que c’est lui qui marche avec nous, portant et allégeant notre joug. Pour cela, comme les randonneurs, nous sommes appelés à effectuer un tri radical dans ce que nous devons porter. Ne soyons pas accablés par nos responsabilités du quotidien, qui peuvent manquer de sens. Ne nous laissons pas non plus alourdir par nos connaissances, nos richesses, nos performances. Mais avec notre compagnon de route, avec la force de l’Esprit qui allège nos pas, nous pouvons recevoir notre prochain, avec lequel nous sommes interdépendants, comme un cadeau qui nous est confié. Amen.