Sans preuve visible, une Parole pour trace

Culte du dimanche 19 avril 2020
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : 1 Pierre 1,3-12

Frères et sœurs,

Nous méditons rarement sur les épîtres attribuées à l’apôtre Pierre. Il est probable que ces lettres aient été écrites par des proches de Pierre, après sa mort. On apprend au premier verset que les destinataires de ce courrier sont installés dans des régions qui avaient été évangélisées par Paul, et que l’on situe aujourd’hui en Turquie ; ce sont des communautés plurielles ; les origines religieuses sont diverses, il y a des Juifs qui confessent le Christ et qui ont pour bagage le Premier Testament ; il y a également des non-Juifs, des païens, qui se sont convertis suite à la prédication de Paul ou d’autres missionnaires. Dans cette deuxième moitié du premier siècle, non seulement beaucoup des premiers témoins de la vie du Christ sont morts, mais ce qui devient progressivement la religion chrétienne fait l’objet de persécutions croissantes. L’auteur de cette lettre de Pierre s’adresse donc à des groupes hétérogènes, mais qui partagent plusieurs caractéristiques. Ces groupes confessent que pour eux Jésus de Nazareth est le Christ, envoyé par Dieu pour le salut de l’humanité. Ils affirment aussi qu’il a été relevé d’entre les morts, alors qu’aucun d’entre eux n’a vu réellement le Christ ressuscité. Et ces hommes et ces femmes sont confrontées à une hostilité grandissante autour d’eux, à cause de leur foi.

Le passage que nous avons entendu, qui fait partie des lectures proposées pour ce dimanche, fait penser au chapitre 20 dans l’évangile de Jean, quand Jésus, apparu vivant, fait remarquer, notamment à Thomas, qu’il y a du bonheur à croire sans avoir vu. Attention, Jésus ne méprise pas Thomas pour ses doutes, au contraire, il lui permet de réintégrer le cercle des croyants ; Jésus ne dit pas non plus que Thomas est malheureux d’avoir eu besoin de voir pour croire. Jésus constate juste qu’il est possible et réjouissant de pouvoir placer sa confiance en la vie nouvelle qu’il ouvre, sans nécessairement avoir été soi-même témoin d’une apparition du ressuscité. En fait, seulement quelques centaines de chrétiens ont vu le Christ vivant après le tombeau vide ; des centaines de millions, à travers les siècles, n’ont pas vécu de telle expérience, et pourtant, ils ont cru, et nous croyons aussi, avec et grâce à eux. Le texte suggère même que des anges aimeraient « voir » le mystère du ressuscité… Aujourd’hui encore, nous tenons pour vraies de nombreuses choses que nous n’avons pas vues. Nous ne pouvons pas appréhender l’infiniment grand, comme les milliards des galaxies composant l’univers ; ni l’infiniment petit, comme ces micro-organismes qui affectent le vivant, comme ce virus qui est capable de tuer, et dont nous tentons de nous protéger, alors qu’il est invisible. Si l’on peut savoir sans voir, on peut sûrement croire sans avoir vu !

Mais revenons à ce quasi-début de la première épître de Pierre. Certaines idées ou expressions nous posent problème, parce qu’elles semblent entrer en tension ou même en opposition avec notre façon de croire.

L’une des thématiques du passage est la reconnaissance exprimée par l’auteur, alors même que les épreuves et les difficultés abondent. Pour autant, Pierre ne remercie pas Dieu pour les épreuves, comme s’il en était la cause ; il rend grâce pour ce qui a été reçu, à savoir la foi. Même mieux, la foi donnée, comme un héritage, est une foi en la résurrection, autrement dit même si les dangers de la vie au présent peuvent conduire à la mort, cette mort n’est pas la fin de l’histoire de chaque croyant avec le Seigneur. Vous l’avez compris, il n’est pas question de voir l’épreuve comme venant de Dieu, ou comme une bénédiction nous permettant de renforcer notre foi ; mais de regarder l’épreuve en sachant que quelle que soit notre résistance, notre performance dans la traversée de cette difficulté, notre vie avec Dieu n’est pas en jeu, nous restons au bénéfice de cette vie nouvelle en Christ.

Nous pouvons aussi être gênés d’entendre que l’héritage qui nous est destiné est placé selon l’auteur « dans les cieux » ; mais en relisant le texte, nous découvrons que dès maintenant, nous sommes nés « à une vie nouvelle », avec « une espérance vivante », et avec « une joie inexprimable, déjà glorieuse » car notre foi est déjà accompagnée de notre salut. En d’autres termes, nous ne goûtons pas déjà à la vie après la mort, mais notre existence est profondément transformée et bénie depuis la résurrection du Christ. Notre aujourd’hui est donc marqué par les souffrances et la tristesse ; il est aussi défini par l’amour pour un absent, ce Jésus que nous n’avons jamais vu ; enfin, cet aujourd’hui est encadré par la joie d’une naissance à une vie nouvelle déjà survenue et la joie du salut faisant partie d’un héritage encore hors de portée.

Dernier élément qui peut nous troubler, qui figure dans les derniers versets de notre extrait, dans lesquels Pierre donne sa compréhension du rôle des prophètes. Aujourd’hui, il nous semble délicat d’affirmer que les messages des prophètes nous sont d’abord destinés ; nous pensons bien sûr que les paroles qu’ils ont transmises de la part de Dieu étaient d’abord adressées à leurs contemporains. Mais pour saisir pleinement la grâce de Dieu annoncée par les prophètes, les souffrances et la gloire du Christ sont nécessaires ! Le cheminement du Christ, c’est la Bonne nouvelle proclamée depuis la Genèse jusqu’à aujourd’hui, en passant par les prophètes. Sans leurs paroles, la foi, l’espérance et l’amour chrétiens n’auraient pas subsisté, car finalement, très peu ont vu réellement le ressuscité. Et notre parole, à nous ?

René Char écrivait « Le poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver. » (La Parole en archipel) Saviez-vous qu’en grec, le poète évoque celui qui crée, celui qui donne la vie ? Oui, le ressuscité, qui nous donne une vie nouvelle et une joie solide, capables de résister aux épreuves de notre temps, le ressuscité n’a peut-être laissé que des traces et non des preuves. Aujourd’hui, comme les prophètes autrefois, veillons nous aussi à laisser des traces de notre espérance vivante. Que nos paroles soient porteuses de la vie reçue. Amen.

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