Luc 16 : 27-31
Maintenant, il faut se poser une question : « Est-il fatal, quand on est riche, de perdre son nom ? La richesse contraint-elle ceux qui la détiennent à l’oubli des Lazare qui nous entourent, à la solitude et à une histoire ratée ? ». La vraie solution n’est-elle pas celle que Jésus indique au jeune homme riche : « Va, vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres » ?
Depuis ses origines, l’Eglise est tracassée par ce problème, et n’a cessé de tituber entre l’extrême dénuement des moines mendiants et le luxe tapageur de certains de ses dignitaires. Aujourd’hui elle semble se décider à redevenir pauvre. Mais je pose ici la question : « Qu’est-ce que cela signifie une Eglise pauvre avec des Paroissiens riches ? ». N’est-ce pas une duperie ?
« Est-il fatal, quand on est riche, de perdre son nom ? ». Pourquoi est-il si difficile d’obtenir une réponse à cette question ?
Tout d’abord parce que personne ne se croit jamais riche. Personne ! Ce sont toujours les autres qui sont riches. Si bien que toute prédication sur la richesse ricoche toujours vers les autres, et de là ricoche encore. Personne n’écoute pour lui-même.
Ensuite, dans ce domaine pas plus que dans les autres, la Bible n’entend légiférer de manière abstraite. Elle se contente de nous interroger : « Es-tu riche ? », et de nous avertir : « Si tu es riche, tu es en grand risque de perdre ton nom, de te retrouver un jour figé dans un passé vide. Tu es en grand risque maintenant de vivre une histoire sans épaisseur. Acceptes-tu de courir ce risque ? ».
Le riche de cette parabole va implicitement nous donner une réponse très pessimiste à cette question : « Quand on est riche, on est fichu ! ».
Pourtant, ce n’est pas un mauvais bougre ce riche, redisons-le. Il pense à ces cinq frères. Il pense surtout qu’ils risquent comme lui de se retrouver sans nom, et que l’éternité sera aussi pour eux le dévoilement d’une histoire perdue, où ils percevront leurs mains vides, leur cœur vide, leur passé vide, et où la seule étincelle de vie sera le regret des occasions manquées, des conversions manquées.
Et pour la première fois de sa vie (si on peut appeler ça une vie !), le riche pense aux autres. Il veut que son sort serve de leçon aux autres. Il se résigne à son éternité, mais il voudrait qu’il n’en fût pas de même pour ses frères. Il voudrait faire quelque chose pour eux avant qu’ils n’atteignent eux aussi le point de non-retour. C’est dire s’il croit le riche indécrottable, incapable de découvrir lui-même ce qu’il devrait faire ! Il lui semble que la richesse endort, engourdit, anéantit ceux qui la détiennent. Et qu’ils sont alors imperméables. En conséquence, pour les réveiller, il ne faut rien de moins qu’un envoyé spécial d’Abraham, un ressuscité !
Abraham, lui, est plus optimiste : « Ils ont Moïse…, qu’ils écoutent ! ».
Abraham, lui, croit à la Parole de Dieu et à sa puissance, à sa toute-puissance. La Parole de Dieu, l’Ecriture, est la seule possibilité pour l’homme de briser les fatalités et pour le riche de retrouver un nom. A sa manière, Abraham répond : « Avec l’Ecriture donnée aux hommes, Dieu a fait tout ce qu’il pouvait faire et dit tout ce qu’il devait dire. Rien de plus ne sera jamais donné aux hommes que Jésus-Christ, Parole vivante de Dieu, dont témoigne la Parole écrite ».
Ainsi, en ayant Moïse et les prophètes, les frères du riche ont tout ce qu’il faut, tout ce que Dieu pouvait faire pour eux.
La Parole est la seule chance d’atteindre Dieu en restant homme ; la seule chance d’accéder à l‘éternel sans nier le temporel ; la seule chance d’être convaincu sans être aliéné, de souscrire sans être contraint, de croire sans devenir un pantin. Dieu est devenu Parole pour qu’à notre tour nous puissions dire de vrais « oui », et que nous ayons la foi avec la liberté.
Les cinq frères ont tout ce qu’il faut pour croire. Avec Moïse et les prophètes, ils ont le nécessaire et le suffisant pour comprendre.