Méditation dimanche 30 septembre

Pasteur Didier Hoffmann Texte : Marc 9, 38-48

Ah ! Ces apôtres !!… Bâtisseurs de la première heure, ils ont été envoyés par le Christ, après avoir reçu, à la Pentecôte, l’Esprit Saint, vous le savez. Les apôtres, ἀπόστολος en grec, les envoyés, ceux qui ont été envoyés, qui se sont dispersés et ont fondés les premières communautés, celles qui ont voulu vivre selon la parole du Christ. Il était alors trop tôt pour les appeler chrétiennes. Mais elles ont bien été les points de départ de ce que nous appelons aujourd’hui l’Église, l’Église du Christ, l’Église apostolique, celle qui est héritière de ces apôtres.

Mais n’allons pas trop vite, arrêtons le déroulement de l’histoire et revenons en arrière. Faisons fonctionner la machine à remonter le temps, le temps d’avant les prémices de l’Église. Le temps du big bang… Pas celui de la création de l’univers le temps de la création originelle, non, le big bang de Jésus Christ. Car oui, je crois que nous pouvons aussi appeler cela un big bang. Il y a eu un avant Jésus et un après Jésus, comme il y a eu un avant et un après au big bang originel. Dans les deux cas un avant et un après radicalement, fondamentalement, différents. Avant le big bang originel, il y avait une masse d’une densité incroyable, une masse recroquevillée sur elle-même, tout l’univers concentré en une seule masse ultra compacte. Par la volonté de Dieu, le big bang originel à fait éclater cette masse pour disperser la matière et créer les conditions propres à l’arrivée de la vie… Rassurez-vous, je ne suis pas astrophysicien, je n’irai donc pas plus loin dans l’explication du big bang originel…

Avant Jésus-Christ, toute la religion juive, toute l’expression de la foi et de la crainte de Dieu, était concentrée dans la Loi. Une loi dense, qui pesait de tout son poids sur le peuple juif au point de le conduire à s’interdire même de prononcer le nom de son Dieu, le nom que Dieu s’était lui-même donné, répondant à la demande de Moïse : YHWH. YHWH, cette double conjugaison du verbe être en hébreu : הָיָה qui n’est pas vraiment traduisible mais qui se rapproche d’un « je suis qui je serai » avec cette notion d’éternité qui a donné « l’Éternel ». Mais je m’éloigne de notre sujet. Donc avant le Christ, avant le ministère de Jésus, il y a la densité de la Loi et après Jésus, il y a cet éclatement de la Loi au profit de l’amour qui devient l’accomplissement même de la Loi. Autrement dit, l’amour, plus fort que la Loi, en devient la réalisation ultime. Après le big bang de Jésus, l’amour est à la Loi ce que la vie est à la matière originelle après le big bang originel.

Alors maintenant essayons d’entrer quelques instants dans la peau de ces apôtres. Imaginons l’effort d’adaptation, de compréhension qu’ils ont dû faire face au big bang de Jésus. C’est pour eux un changement complet de paradigme, Jésus leur propose une toute autre façon de concevoir le monde, l’humanité et leur foi. Alors comment suivre ?… Comment arriver à suivre Jésus dans sa pensée, dans sa parole, dans son enseignement alors qu’ils ne sont que des hommes, de simples hommes avec leurs forces, certes, mais aussi et surtout leurs faiblesses ? Alors ils enchainent les contresens et les erreurs de compréhension. Quelques versets avant ce passage que nous avons lu aujourd’hui, les apôtres ont dû faire face à leur incapacité à guérir un enfant possédé qui leur avait été présenté par la foule. C’est Jésus seul qui a pu le faire et il l’a fait par la prière. Imaginons-nous à la place des apôtres. Nous suivons Jésus jours et nuits, nous sommes aux premières loges de son enseignement et alors que nous avons tout quitté pour le suivre nous prenons conscience que nous ne sommes même pas capable de prier correctement pour libérer un enfant du malin qui l’habite. C’est sans doute difficile à vivre, n’est-ce pas ?

Puis, peu après, alors qu’ils essayent de se rassurer en cherchant à savoir qui parmi eux est le plus grand, entendons par là, le plus fidèle à Jésus et à son enseignement, celui qui est le plus proche de Jésus, non par son esprit, mais par la force de sa foi et du chemin qu’il emprunte pour se mettre dans les pas de son Seigneur. Alors donc qu’ils sont dans cette réflexion, Jésus leur déclare que celui qui est le plus proche de lui, le plus fidèle, n’est pas le plus grand, mais le plus petit, le plus faible. Nouvelle erreur, nouvel échec…

Alors maintenant, je pense que vous comprenez la désillusion, la frustration des douze lorsqu’ils apprennent qu’un autre, un inconnu qui n’a peut-être jamais approché Jésus, ne l’a peut-être jamais entendu directement et en tous les cas ne le suit pas quotidiennement et ne reçoit pas chaque jour son enseignement, cet autre, cet inconnu a l’outrecuidance de pouvoir faire, de réussir, ce que les disciples eux-mêmes ne parviennent pas à réaliser. De là à le voir comme un imposteur, il n’y a qu’un pas que les disciples ont franchi allègrement. Ils l’ont dénoncé auprès de Jésus, ils l’ont rejeté, ils l’ont considéré comme un adversaire, quelqu’un qui est contre eux.

Nouvelle erreur, nouvel échec…

C’est un sentiment bien humain qui conduit Jean à vouloir rejeter cet homme, ce chasseur de démons, car il semble bien qu’en plus il soit récidiviste. En effet, il chasse les démons, cet homme. Il réussit de façon régulière ce que les douze n’ont pas réussi à faire une seule fois. Alors Jean, avec tous ses pairs, exprime de la jalousie. Une jalousie qui se fonde sur l’échec personnel et l’incompréhension de l’autre, de sa réussite. Pourquoi lui et pas moi ? Moi je suis (verbe suivre) le Seigneur et je n’y arrive pas. Lui n’a peut-être jamais croisé Jésus et il le fait, il chasse les démons. La question que Jean se pose et que nous devinons à travers sa réaction, que nous pouvons lire entre les lignes, est la suivante. Cet homme serait-il finalement plus proche de Jésus, autrement dit, plus grand que moi et mes compagnons, plus fidèle à la volonté de Dieu pour avoir un tel pouvoir ?

Difficile d’accepter qu’un autre, qu’un inconnu, qui ne suit pas Jésus, qui ne reçoit pas son enseignement, difficile d’imaginer qu’il fasse mieux que ceux qui font tout leur possible pour lui être fidèle.

Alors, face à cette jalousie, face à cette incompréhension, le réflexe, bien humain, des douze est le rejet, la création d’une frontière, une frontière qui sépare, qui divise ceux qui sont avec le Christ et les autres. Ces autres qui étant de l’autre côté de la frontière, sont forcément dans l’erreur, voire dans l’imposture… Cette frontière, créée par le rejet, forme les contours d’un ensemble, elle définit les limites d’un groupe.

Et voilà… Alors que l’Église n’existe pas encore, Jean vient déjà d’en ébaucher les premiers contours. Des contours, qui je le rappelle, sont fondés sur l’incompréhension de la pratique de l’autre et sur la jalousie que les succès de cette pratique font naitre en lui.

Mais qui est-il, Jean ? Qui sont-ils, les douze pour penser pouvoir enfermer l’Église dans des frontières ? Qui sont-ils pour penser pouvoir décider qui fait partie de l’Église et qui n’en fait pas partie ? Qu’ont-ils compris du big bang de Jésus et de l’accomplissement de la loi par l’amour plutôt que par la stricte observance des règles de cette loi ?

Les douze sont encore sous le paradigme de la Loi. Celui qui n’est pas pour nous, qui n’est pas avec nous, est contre nous. Comme celui qui ne respecte pas la loi est contre la loi. Et Jésus leur répond « celui qui n’est pas contre nous est pour nous ». Et cela change tout !… Oui, cela change tout car cela pose une Église qui n’a pas de frontière, une Église qui est ouverte sur le monde, une Église qui accueille avec un regard favorable tout ce qu’il y a de positif dans l’humain, que celui-ci se réclame ou non du Christ. L’important est l’amour, l’amour que l’on donne au Christ bien sûr, mais surtout l’amour que l’on donne à l’autre. Et c’est la force, la puissance de cet amour qui guéri l’autre, le libère de ses démons.

Alors, maintenant, chères sœurs, chers frères prenons quelques instants pour nous interroger. Dans la compréhension que nous avons de Jésus, il me semble que nous sommes comme les douze. Ni meilleurs, ni moins bons. Qui parmi nous, et je ne suis pas le dernier, qui parmi nous n’a jamais pensé être dans la vraie foi, la vraie compréhension de l’enseignement de Jésus ? Qui ne s’est jamais dit que les catholiques avec le culte marial notamment, se trompent dans la compréhension qu’ils ont de l’Évangile ? Que les évangéliques, avec souvent une lecture plus littérale de la Bible, ont une vision erronée du message du Christ ? Que les orthodoxes avec tous leurs saints et leurs icones frisent l’idolâtrie ?

Et qui sommes-nous, nous ? Qui sommes-nous pour nous gonfler d’orgueil à l’idée que nous seuls avons compris l’Évangile ? Combien de fois pensons-nous que tel ou telle est dans l’erreur, dans l’incompréhension ? Ce faisant, nous créons des murs, des frontières que nous croyons peut-être être au limite de l’Église, vis-à-vis des non-croyants, mais qui sont en réalité déjà dans l’Église, au sein même de l’Église du Christ en séparant les chrétiens selon la façon dont ils pensent et croient. Nous sommes comme Jean, comme les douze, ni meilleurs, ni moins bons. Nous sommes bien leurs héritiers, l’Église apostolique est bien leur héritage. Un héritage de forces, mais aussi de faiblesses, nos faiblesses d’hommes et de femmes qui avons finalement sans doute plus de facilité à nous situer dans un monde de règles, de normes, de lois, plutôt que dans un monde d’amour, d’ouverture, d’accueil. Un monde dans lequel il serait tout aussi naturel de se réjouir autant du bien que fait l’autre que du bien que nous tentons de faire.

Pour nous aider à sortir de cela Jésus nous propose de nous attacher une meule de moulin autour du cou et de sauter à la mer. Il nous suggère de couper la main, le pied ou d’arracher l’œil qui nous conduit à la chute.

Cette main à couper pourrait être la main d’Ève, cette main qui a cueilli le fruit de l’arbre de la connaissance dans le jardin d’Éden.

Ce pied à couper pourrait être celui qui se trompe de chemin et nous fait emprunter un chemin qui nous éloigne de Dieu. Un chemin qui n’est pas celui du Christ, qui n’est pas celui qui mène à la vérité et à la vie.

Cet œil à arracher, c’est celui qui conduit notre regard vers le jugement de l’autre et vers son rejet. C’est cet œil qui nous fait voir des frontières à l’Église du Christ, nous donnant à savoir, ou plutôt à croire que nous savons qui est dans l’Église et qui est en dehors de l’Église. Un œil qui nous pousse à voir la foi de l’autre comme moins grande que la nôtre, ou moins juste car mal comprise.

Tient ! L’autre dans sa foi, pourrait être moins grand que nous ? Nous revoilà avec les douze lorsqu’il se posaient la même question, qui était le plus grand parmi eux ? Nous sommes vraiment comme eux…

Alors comment sortir de cela ? Comment sortir du règne de la Loi pour entrer dans le règne de l’amour ? Je serai trop heureux d’avoir la réponse à cette question d’autant qu’elle couvre un vaste champ et qu’elle se pose toujours depuis 2.000 ans. Cependant pour la question plus spécifique qui nous est posée dans notre lecture d’aujourd’hui, relative à celui qui chasse les démons sans être avec Jésus et les disciples, il me semble que nous pouvons réfléchir à une idée qui, je l’avoue bien volontiers, va vous paraitre quelque peu paradoxale. Une idée qui consisterait à rester ferme dans nos convictions, dans la compréhension que nous avons des Écritures, c’est à dire dans les soli de la réforme : sola gratia (la grâce seule), sola fide (la foi seule), sola scriptura (l’Écriture seule), solus Christus (le Christ seul) et soli Deo gloria (pour la seule gloire de Dieu). Rester ferme dans la conviction de ces soli, c’est ne pas se laisser convaincre par d’autres théologies, tout en pouvant admettre que ces autres théologies soient plus justes, plus exactes, plus conforme à ce que Dieu attend de nous. Le paradoxe est d’admettre pouvoir se tromper tout en restant ferme dans nos convictions. Mais ce paradoxe n’est peut-être pas si paradoxal qu’il en a l’air. Je le vois comme l’alliance que nous pouvons faire entre la sincérité de la foi et l’humilité que cette même foi nous impose. Une sincérité construite autour de réelles convictions qui font sens en nous, qui résonnent au plus profond de notre cœur. Une sincérité qui fait d’une croyance une évidence et d’une espérance une certitude. Une sincérité qui nous porte et nous transporte, qui nous soutien et nous guide. Mais aussi une humilité qui nous ouvre au questionnement, qui fait de nous ce plus petit plutôt que ce plus grand. Ce plus petit qui est celui que Jésus appelle auprès de lui, celui qui dans sa fragilité, dans ses doutes et ses faiblesses est celui que Jésus nous demande d’être. Ce plus petit qui admet sincèrement pouvoir se tromper.

Les protestants, comme l’ensemble des chrétiens n’ont pas le monopole de la charité, de la justice et de l’amour. Ils n’ont pas non plus le monopole de la vérité. Notre lecture du jour nous révèle que les protestants comme l’ensemble des chrétiens ne peuvent se prévaloir d’être les seuls habilités à aimer et servir leurs prochaines et leurs prochains comme Jésus l’a fait.

Sœurs et frères, ne traçons de frontière autour de l’Église, car celle-ci, l’Église du Christ est totalement ouverte. Elle est ouverte à l’ensemble de l’humanité, telle qu’elle est, sans condition et sans limite. L’Église du Christ, dont chacune et chacun de nous constitue une partie, est aussi ouverte qu’est ouvert l’amour de Dieu. Elle accueille aussi inconditionnellement que Dieu aime inconditionnellement. L’Église du Christ est en chacune et chacun de nous, comme elle est en chacune et chacun dans toute l’humanité. Ne soyons pas comme Jean, en voyant le bien fait par l’autre, sachons nous réjouir, sachons y discerner la présence du Christ et l’amour de Dieu.

Amen.

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