Méditation 28 avril: La Mission

Pasteur Christian Bonnet Texte : Jean 20 versets 19 à 29 et Romains 10 versets 9-17

Notre Église fait partie d’un groupement qui s’appelle la Cevaa : Communauté évangélique d’action apostolique. On lui a donné ce nom compliqué au moment de sa création en 1971, car à cette époque -là, le mot ‘mission’ était devenu presque tabou dans nos Églises de la Réforme.

On le rattachait dans notre imaginaire collectif à des manœuvres coloniales d’asservissement des peuples, de non respect de leur culture, d’évangélisation forcée. Alors, au nom du droit des peuples, au nom d’une certaine idée de la liberté de conscience, nous avons tiré un voile pudique sur ce passé missionnaire. Nous avons voulu oublier ce mouvement d’expansion du protestantisme qui est souvent parti d’Europe vers les autres régions d’Afrique et d’Océanie.

 

Le travail missionnaire mené par la Mission de Paris a duré 150 ans, ce qui est beaucoup dans notre courte histoire protestante. Il a contribué à créer une bonne vingtaine d’Églises protestantes à travers le monde, dont plusieurs sont devenues plus grosses que notre Église en France. Mais nous nous comportions un peu comme si la mission était honteuse. On ne l’enseignait plus dans les facultés de théologie. On lui tournait le dos. On remettait même en cause nos solidarités avec ces Église d’outre-mer, nées de la mission. Qu’elles nous laissent tranquille ! Qu’elles cessent de toujours demander ! Qu’elles n’essaient surtout pas de nous donner des leçons ! Bref, la mission était en crise !

 

Curieusement, c’est par le monde profane que le mot ‘mission’ a retrouvé un sens positif. On parle de ‘mission humanitaire’ pour secourir les victimes d’une catastrophe ou d’un conflit, on parle de ‘chargé de mission’ dans le domaine professionnel ou dans le travail social. Bref, on perçoit mieux aujourd’hui que la mission ne consiste pas à aller se dupliquer chez l’autre en le vidant de sa personnalité, mais d’abord à lui apporter une aide, un secours, des raisons nouvelles d’espérer.

C’est dans ce sens positif que se doit se comprendre le thème de la mission qui traverse une grande partie des Écritures. Avec les deux textes que nous avons lus à l’instant, je vous propose de réfléchir à deux types de mission :

– La mission du Christ pour tous les humains

– Notre mission à la suite du Christ

Entre les deux, nous réfléchirons à partir de la réaction de Thomas sur ce que les gens attendent aujourd’hui.

1- La mission du Christ pour tous les humains

Lorsque nous confessons Jésus comme christ, qu’est-ce que cela signifie ? D’abord on ne devrait pas mettre de majuscule à ce mot. En hébreu, c’est un nom commun : un messie est un homme choisi pour une mission particulière. En versant de l’huile sur sa tête, on manifestait qu’il était comme offert à Dieu pour faire sa volonté. On utilisait ce signe de l’onction pour désigner les rois, les prêtres ou les prophètes. Un christ est donc bien un chargé de mission. Lorsque Jésus demandait à ses disciples : « qui dit-on que je suis ? », assez spontanément, ils répondaient : « un prophète ».

Un prophète n’est pas, comme on le croit trop souvent, celui qui prédit l’avenir, mais celui qui s’adresse à un public, qui prêche devant des gens assemblés pour leur transmettre un message. Le terme de christ désigne donc le prophète par excellence, qui fait entendre la parole de Dieu et qui la transmet mieux que ses prédécesseurs ou successeurs. Le début de l’épître aux Hébreux est d’ailleurs très clair à ce sujet : « Autrefois Dieu a parlé à nos ancêtres à plusieurs reprises et de plusieurs manières par les prophètes, mais dans ces jours qui sont les derniers il nous a parlé par son Fils. »

On peut donc bien considérer que Jésus a été « envoyé en mission » dans le monde. Que Dieu l’a choisi comme son porte parole, son messager. Par Jésus, Dieu veut révéler aux humains la vérité du monde et le sens de leur vie. Mais ce qui change de tous les autres prédicateurs avant lui, c’est que Jésus ne se contente pas de donner un enseignement intemporel. Sa parole met en route. Elle conduit ailleurs que là où nous nous trouvions avant de l’entendre. Elle rend différent. Il ne s’agit pas de la disséquer pour y découvrir une connaissance de Dieu de type intellectuel. Il faut juste se laisser entraîner par elle. La parole de Jésus n’a pas pour but de nous informer sur des vérités célestes, mais de nous transformer. Non pas de nous faire savoir des choses, mais de nous faire bouger. Jésus est d’abord un chemin, avant d’être une vérité.

 

Jésus est le chemin par lequel Dieu vient à nous. Et lorsque Dieu vient, il n’a qu’un mot à la bouche : grâce. C’est à dire amnistie totale, pardon unilatéral, sans condition. Voilà désormais la seule vérité. « La grâce et la vérité sont venus par Jésus-Christ », nous dit l’évangile de Jean, au tout début.

Bien sûr, en envoyant Jésus en mission, Dieu espérait qu’il serait écouté et suivi. Lorsque Dieu tend la main, il s’attend à ce que l’homme réponde. Il imaginait qu’à l’annonce de son message de réconciliation, les humains se convertiraient et que son royaume s’établirait dans le monde. Cette attente a été déçue. Jésus s’est heurté à une vive hostilité, au nom de la religion traditionnelle et d’une certaine compréhension de Dieu que son message venait bousculer. Les autorités politiques et religieuses, mais aussi les gens du peuple se sont dressés contre lui. Sa personne et son message ont été rejetés. Ses adversaires ont obtenu qu’il soit arrêté condamné et exécuté. Pendant quelques heures, ils ont pu s’imaginer qu’ils avaient gagné.

 

Mais Dieu n’accepte pas cette défaite. Il ne se résigne pas à cet échec et n’abandonne pas l’humanité à son sort. Il décide de continuer, alors que tout semble indiquer qu’il n’y a plus rien à faire et qu’il a définitivement perdu la partie. Et Dieu agit de manière inattendue, surprenante. Il retourne la situation, d’abord en ressuscitant Jésus pour que sa parole reste vivante et agissante, et ensuite en suscitant des témoins de l’Evangile, afin que sans cesse, les êtres humains soient appelés à la vie nouvelle que Dieu leur propose et qui est leur salut.

Pâques est la réponse de Dieu au crime de Golgotha. Au soir de ce dimanche, Jésus se montre à ses disciples réunis, il les recrée à nouveau par le Saint Esprit qu’il souffle sur eux et il les envoie à son tour, comme le père l’avait envoyé en mission dans le monde.

2- La réaction de Thomas

Vous l’avez entendu, Thomas n’était pas là lorsque Jésus est apparu la première fois à ses disciples. Il n’arrive pas à croire une nouvelle aussi incroyable : « quoi Jésus serait ressuscité, vivant ? Mais voyons, c’est impossible, nous savons bien qu’il a été mis dans le tombeau depuis trois jours déjà ! » Et Thomas demande des preuves. Il a besoin de voir, il a besoin de toucher. S’il peut mettre ses doigts dans les plaies de Jésus, alors là le doute ne sera plus permis pour lui. Jésus aurait pu s’offusquer et le rejeter en lui disant, « puisque tu ne veux pas croire, va te faire voir ailleurs et rejoint Judas dans son incrédulité ». Mais non, Jésus comprends la réaction très humaine de Thomas. Avec beaucoup de douceur, il lui prend la main et lui fait toucher ses plaies. Il lui donne les signes dont sa foi hésitante a besoin pour croire.

Nos contemporains ne sont-ils pas un peu comme Thomas ? Moi j’entends beaucoup qui disent « Dieu, le jour où je le verrai, j’y croirai ». Ce qui est une manière de dire, ce n’est pas demain que cela peut arriver. Or Jésus n’est plus là pour montrer ses mains et ses plaies au monde. Et ce n’est pas le fait de le représenter sur la croix en forme de statues de plâtres qui peut suffire à convaincre des gens normalement intelligents.

Où nos contemporains vont-ils pouvoir avoir accès à Jésus pour vérifier que son enseignement est véridique ? Où nos contemporains vont-ils pouvoir vérifier que Dieu n’est pas une pure invention de la part des croyants ?

Par nos vies transformées qui témoignent de la réalité de l’action de Dieu en nous.

« C’est vous qui êtes la lumière du monde, dit Jésus. Une ville située sur une montagne ne peut pas être cachée. On n’allume pas une lampe pour la mettre sous u seau. Au contraire, on la place sur son support d’où elle éclaire tous ceux qui sont dans sa maison C’est ainsi que votre lumière doit briller devant les hommes, afin qu’ils voient le bien que vous faites et qu’ils louent votre père qui est dans les cieux. »

Frères et sœurs, vous avez la responsabilité de rendre Dieu visible aujourd’hui par la qualité de votre présence dans le monde. Il vous appartient, par l’amour dont vous témoignez, de faire sentir l’amour de Dieu pour tous les humains. Vous êtes le corps du Christ dans le monde, celui dont tous les Thomas peuvent s’approcher pour toucher du doigt la réalité du salut que Dieu nous a offert.

Vous savez, si je suis devant vous aujourd’hui, c’est parce que des chrétiens rayonnants de l’amour de Dieu m’ont montré le pouvoir transformateur de la foi. Quand j’avais treize ans, mes parents se déchiraient dans des querelles incessantes et violentes jusqu’à ce qu’ils divorcent. Leur contre-témoignage m’avait convaincu que la foi est une vaste hypocrisie et que pas un seul chrétien ne croyait à ce qu’il disait. Ils avaient réussi à me détourner de Dieu. Il a fallu que ma route croise celle d’un jeune couple, nouvellement installé dans la paroisse, qui m’a accueilli, qui a écouté mes troubles et mes souffrances, qui a témoigné vis à vis de moi d’un amour gratuit et sincère, pour que je réalise que, oui, Dieu est capable de changer notre quotidien. Il est capable de reconstruire ce que nous avons détruit. Il est capable de nous recréer, de nous faire sortir du tombeau, comme il a recréé le corps de Jésus vivant. Dieu nous recrée, Dieu nous relève, Dieu nous ressuscite avec Jésus.

Alors du coup, c’est quoi notre mission en tant que chrétiens ?

3- Notre mission auprès de chacun

Là où Dieu avait un seul missionnaire en la personne du Christ, il suscite après Pâques des missionnaires pour démultiplier son appel à la réconciliation auprès de tous les humains. C’est tout le propos du texte lu tout à l’heure dans l’épître aux Romains.

 

Dans ces chapitres 9 à 11, Paul s’attaque à une grande question qui travaillait les premiers chrétiens : Pourquoi les Juifs n’ont-ils pas accueillis Jésus comme un christ, un messie ? Ni son enseignement, ni sa vie, ni sa mort, ni sa résurrection n’ont suffi à leur faire accepter le message si radicalement différent que Jésus était venu leur annoncer de la part de Dieu.

Paul commence par replacer au centre de la prédication chrétienne deux affirmations essentielles :

  • Jésus est Seigneur : c’est à dire, il est le seul autorisé à parler de Dieu. Toutes les autres représentations de Dieu qui ne correspondraient pas avec ce que Jésus a exprimé par sa parole ou par ses actes sont à écarter. Elles ne disent pas la vérité sur Dieu.
  • Dieu l’a ramené de la mort à la vie. Il donne ainsi raison à Jésus contre tous ses adversaires et contre toutes les fausses images, tous les fantasmes de toute puissance que nous cherchons à lui coller sur le dos. Je le répète : la grâce sans condition est la seule vérité que nous puissions recevoir à propos de Dieu.

 

Il suffit de faire appel au Seigneur pour recevoir le salut sans autre condition. Autrement dit pour Paul, il n’est pas nécessaire de multiplier les prières. Il n’est pas utile de se soumettre au rite de la circoncision ou de s’interdire certaines nourritures. Il ne sert plus à rien de faire des pèlerinages. On perd son temps à vouloir offrir des sacrifices. Les exercices spirituels ne mènent à rien. Le salut est offert gratuitement en Jésus-Christ.

Si comme Paul, nous avons rencontré le Christ vivant, alors l’impasse dans laquelle se perdent la plupart des humains saute aux yeux : ils imaginent encore Dieu comme un ennemi dont il faut infléchir la colère. Ou comme un juge inflexible qui ferait payer la moindre faute. Ou comme un despote qui ne jouirait que lorsqu’il asservit notre personnalité. Ou comme un indifférent qui n’a qu’à rester dans son ciel.

Mais comment leur faire comprendre qu’ils ont tout faux ? Peut-on les laisser passer le reste de leur vie avec ces croyances qui ne correspondent pas à la réalité ? Peut-on les priver d’une information de nature à changer radicalement leur manière de penser et de vivre ? Peut-on les laisser ignorer une nouvelle qui ôterait aussitôt leur culpabilité, leurs peurs devant l’existence, leurs questions sur l’avenir ?

Un peu comme ces soldats japonais qu’on a retrouvé dans des îles perdues du Pacifique plusieurs années après la guerre et qui ne savaient pas que la guerre était terminée. Pouvons-nous laisser les hommes et les femmes de notre temps dans l’ignorance que la guerre avec Dieu est terminée et que depuis plus de 2000 ans maintenant, la paix est signée ?

Mais comment le sauront-ils s’ils n’en entendent pas parler ? Et comment en entendront-ils parler si personne ne l’annonce ? Et comment l’annoncer si personne ne se sent envoyé ?

 

Frères et sœurs, nous avons tous la responsabilité de parler pour annoncer le message de réconciliation que Dieu adresse à toute l’humanité. Seriez-vous prêts à laisser vos enfants dans l’ignorance ? Non bien sûr. Votre plus cher désir est de leur donner tous les atouts pour qu’ils connaissent une vie épanouie. Pourriez-vous cacher une bonne nouvelle à vos meilleurs amis ? Non bien sûr. Pouvez vous vivre en sachant que beaucoup de gens dans le monde souffrent et gâchent leur vie parce qu’il leur manque une information cruciale que vous détenez ?

 

La mission chrétienne, vous l’avez compris, elle prolonge celle du Christ.

La mission ne propage pas un christianisme,

elle ne défend pas l’exclusivité d’une Église particulière,

elle ne crée pas une dépendance vis à vis d’un évangéliste vedette,

elle ne comptabilise pas des conversions,

elle ne s’attaque pas aux religions qu’elle qualifierait de fausses.

Elle se contente de proclamer et de montrer par ses actes l’amour inconditionnel de Dieu.

 

C’est toujours une joie de voir arriver ceux qui apportent une telle bonne nouvelle.

 

Amen

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