Introduction :
Au commencement de cette nouvelle année, Nous sommes peut-être impatients de découvrir des paysages nouveaux Ou bien, nous sommes gagnés par une certaine anxiété, ne sachant pas de quoi nos
lendemains seront faits… Il est d’usage que nous nous souhaitions les uns aux autres, bonheur, santé et prospérité….A vrai dire, nous nous souhaitons un essentiel que nous avons du mal à définir…En cela, nous ressemblons aux mages que met en scène l’Evangile de Matthieu au chapitre 2.Nous ressemblons aux mages qui s’interrogent sur leur avenir.
Comme eux, nous sommes en quête d’un essentiel. Comme eux, nous cherchons une étoile,
C’est-à-dire une lumière qui éclaire de sens notre existence dans un monde où règne l’obscurité. Notre regard scrute l’horizon et dans le même temps, il ne peut faire table rase du passé qui détermine en partie notre avenir. Ainsi un regard en arrière s’impose : comment relisons-nous le chemin parcouru ?
Que gardons nous des années passées ? Que voulons-nous emporter dans nos bagages avant
de reprendre la route à l’aube de cette nouvelle année?. Nous sommes des chercheurs d’étoiles.
Première lecture biblique :
(Matthieu 2, 1 – 12)
Imaginez : au moment de la naissance de Jésus, si Matthieu avait été envoyé spécial en Judée, au service d’une chaîne de télévision, sans doute aurait-il braqué sa caméra sur le faste de la cour du roi Hérode réputé pour sa mégalomanie.
En bon reporter, il aurait montré des images de juifs massacrés par la police romaine ou la situation chaotique du monde. Il aurait filmé des émeutes de paysans se révoltant contre un impôt trop lourd. Peut-être enfin aurait-il présenté – à titre anecdotique pour la fin du journal – quelques images exotiques de ces étrangers voyageurs, admirateurs d’une étoile…
Et l’actualité du jour se serait arrêtée là, sans rien de plus !Et bien sûr la naissance de Jésus à Bethléem serait passée totalement inaperçue. En effet, l’actualité médiatique est occupée par ceux qui parlent fort, ou par ceux qui se mettent scène de façon spectaculaire : les chefs des nations, les grands de ce monde, mais ceux qui habitent dans l’ombre, comme ce petit nourrisson de Bethléem et ses parents… ils ne sont pas suffisamment importants pour défrayer la chronique.
Mais voilà justement, Matthieu n’est pas un journaliste. Il écrit son évangile quelques décennies après la naissance de Jésus, vraisemblablement dans les années 80, 90. Ainsi, il a eu le temps de prendre du recul par rapport à ces événements. Il a médité longuement sur le sens de la venue de Jésus dont il connaît désormais toutes les étapes, sa naissance, mais surtout son enseignement, ses rencontres, ses guérisons, sa crucifixion, et puis la proclamation mystérieuse de sa résurrection et les premières communautés chrétiennes qui sont nées dans le sillage de sa parole… Oui, j’imagine volontiers Matthieu, avec des documents écrits sous les yeux et des témoignages oraux en mémoire. Il veut rassembler par écrit ces paroles et ces récits, non pas pour remplir les livres d’histoire, mais pour apporter un message d’espérance à ces chrétiens de Syrie auxquels il s’adresse, car il croit que ces paroles et ces récits sont comme des semences qui fécondent la vie, même sur des terres hostiles…
Deuxième lecture biblique : (Matthieu 2, 13 – 18)
Le récit de Matthieu rapporte l’actualité dans ce qu’elle a de plus brutal et de plus tragique : le règne
sanguinaire d’Hérode ; le massacre des enfants à Bethléem ; les vagues de réfugiés qui fuient la tyrannie. Tout cela, les historiens de l’époque en parlent aussi. Mais dans le même temps, Matthieu relate une histoire qu’un reporter jugerait insignifiante sans doute, une histoire qui de prime abord ne présente pas un grand intérêt.
L’aventure d’une famille de réfugiés que personne ne connaît ; un homme, une femme, un enfant qui s’enfuient en Egypte. Pourquoi rapporte-t-il cet évènement tellement anodin, en comparaison de ce qui se joue dans la cour d’Hérode ? En quoi la fuite des ces trois personnes inconnues change-t-elle la face du Monde ? Encore… s’il avait cité un attentat perpétré contre Hérode le sanguinaire…Mais là, trois personnes qui fuient dans la nuit. Et pourtant c’est cette histoire là que Matthieu choisit de raconter. Il ne s’intéresse pas seulement à ce qui se joue dans la cour des grands de ce Monde ; il ne parle pas que d’Hérode, il relate aussi l’histoire de ces trois pèlerins qui s’enfoncent dans la nuit de l’exil. Ce ne sont pas des personnages importants, et pourtant il les fait sortir de l’anonymat. Et si Matthieu en parle, c’est parce qu’il croit que dans ces évènements qui semblent si dérisoires, il s’est joué quelque chose d’important. Au travers de ces personnages aussi petits soient–ils, une espérance a jailli. J’ai dit une espérance, non pas une lubie….une espérance qui change l’histoire ; une espérance qui renouvelle notre lecture de l’actualité… Matthieu dépeint la noirceur de l’actualité du Monde, mais dans le même temps, il évoque les fils lumineux de l’espérance, fragiles mais réels, qui se tissent les uns avec les autres pour former un réseau de lumière…Et ainsi, il nous fait partager sa foi en Jésus le nazaréen, fils de Joseph et de Marie, première étoile, premier fil de lumière avec lequel se tisse une histoire nouvelle. Bien sûr, il ne s’agit pas de nier la réalité. Il ne s’agit pas d’occulter les tragédies qui déchirent tant d’hommes et de femmes. A la suite de Matthieu qui décrit lucidement les malheurs de son temps, je ne veux pas oublier tous ces réfugiés qui aujourd’hui parcourent les routes de notre Monde, ces familles réduites à l’exil, obligées de fuir un régime politique , une situation de famine, ou de guerre comme en Ukraine ou en Palestine, simplement pour survivre. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dénombre, pour l’année 2023, pas moins de trente six millions de personnes contraintes de quitter leur domicile et de se déplacer, et ce nombre va en augmentant d’année en année.
Je ne veux pas oublier le traitement réservé aux sans papier dans notre pays, je pense à toutes ces personnes arrêtées et mises en rétention administrative dans des conditions encore plus précaires qu’en prison. Surtout, il faut dénoncer tout cela, sans complaisance…Et en même temps, en écoutant ce récit de l’évangile de Matthieu, je comprends que dans nos ténèbres les plus épaisses, une lumière jaillit, chétive, vacillante, une lumière qui n’a rien de spectaculaire….et pourtant une lumière qui donne la force de se battre et de résister …une lumière qui nous permet d’entrevoir que même dans nos impasses les plus fermées, un chemin peut s’ouvrir…Voici en effet, un homme et une femme qui de refuge en refuge déjouent les plans des puissants et contournent les pièges tendus pour les faire tomber…Voici un homme et une femme qui échappent aux griffes d’un pouvoir tyrannique….Voici un homme, une femme prisonniers d’un Monde fermé sur lui-même, et qui soudain aperçoivent un horizon qui s’ouvre….Alors bien entendu, on ne peut manquer de s’interroger ; d’où vient cette lueur qui perce la nuit ? D’où vient cette force d’espérer ? Et le courage de se battre contre vents et marées ? Est-ce la force de notre propre volonté ? Est-ce à coup de slogans politiques ou idéologiques ? Est-ce ce qu’on appelle la pensée positive, qui consiste à s’efforcer de voir le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide ? Je ne le crois pas…Ce n’est rien de tout cela ! Cette force d’espérer ne vient pas de nous mais d’un autre. Si vous relisez les chapitres 1 et 2 de l’évangile, vous verrez que Joseph a reçu quatre rêves en tout. Et chaque fois c’est un rêve décisif, un rêve qui allume une lumière et ouvre un chemin nouveau …Un rêve !? me direz-vous….C’est totalement aléatoire !
Mais je crois, Matthieu parle de rêves qui sont d’une autre nature… Comme chaque fois qu’il est question de rêve dans la Bible, c’est pour évoquer la réceptivité que procure cet état de veille ou de demi-sommeil. Pour rêver, il faut savoir lâcher prise, s’abandonner. Accepter de s’en remettre à un autre, avec une totale confiance….Cela s’appelle la FOI aussi : se laisser saisir par un autre que soi-même. Accepter de perdre la maîtrise de son avenir. Interrompre son propre discours pour se mettre à l’écoute…Ce n’est pas facile, mais c’est un chemin de vie…C’est ainsi qu’une Parole peut nous rejoindre. Une Parole qui ne vient pas de nous mais d’un plus grand que nous…Une Parole qui vient du fond des âges. Une Parole qui vient de si loin et qui cependant se fait toute proche de chacun. Cette parole vient de ces textes bibliques qui ont traversés plusieurs millénaires et qui ont été maintes fois ressassés, médités et priés…Ils ont connus les larmes et la sueur de tant de générations. Ils ont suscité la joie aussi…Ils ont ouvert des sourires sur tant de visages… Matthieu nous signifie à plusieurs reprises que ces paroles de la Bible qui nous ont été transmises ; elles sont là pour être accomplies dans notre histoire. Elles sont destinées à féconder notre actualité, comme la semence qui germe en terre, ou comme le levain qui soulève la pâte du boulanger. Ainsi, la Bible nous parle de tous ces rêveurs à qui Dieu parle, pour qu’ils se mettent en route, en dépit de tous les obstacles et malgré les puissances qui asservissent…La Bible nous parle de ces hommes et de ces femmes tirés d’un profond sommeil et d’une totale inertie, par une voix qui les réveille, une Parole qui les met debout et en marche. A deux reprises, Joseph entendra la même Parole : « Lève-toi ! Prends avec toi l’enfant et sa mère et mets-toi en route !… »