Riches pour Dieu

Culte du dimanche 31 juillet 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Textes bibliques : Ecclésiaste 1,2 et 2,21-23 ; Colossiens 3,1-4 ; Luc 12,13-21




Chers amis,

La chaleur est de retour, mais je ne suis pas sûr que nous apprécions vraiment les douches froides que nous proposent les textes bibliques de ce matin. Douches froides en effet, car les trois passages viennent contredire nos raisonnements et même tenir en échec nos efforts au quotidien ; oui, tout ce que nous engageons en volonté, en énergie, en sagesse, en talents, en temps, peut-être même en ressources financières, tout ce que nous mobilisons pour construire quelque chose de valable et de durable, tout cela est remis en question. Et notre sens de la justice et de la rétribution est contrarié, et même rendu inopérant…

« Futilité, vanité », dit l’auteur de l’Ecclésiaste, à la croisée de la sagesse juive et des penseurs grecs. Celui qui agit de façon morale ou honorable se fait dépouiller par celui qui n’a rien fait. Celui qui se démène le jour ne trouve pas le repos la nuit… Ces quelques versets pourraient sembler profondément déprimants… mais ne disent-ils pas tout haut ce que nous observons trop souvent et qui nous occasionne de la peine ? Nous connaissons tous des gens qui font preuve d’une hygiène de vie très saine, et qui sont néanmoins atteints de maladie, et d’autres, bien plus imprudents, qui semblent avoir une santé rayonnante. Nous connaissons aussi des hommes ou des femmes au courage incroyable, qui se voient confrontés à nombre d’épreuves alors que quelques-uns que nous considérons comme moins remarquables peuvent pourtant se laisser porter par une succession de circonstances favorables…

Notre compréhension de la justice, notre perception humaine de la justice est décidément invalidée par l’expérience – ainsi que par le sage de la Bible. Dans l’évangile de Luc, nous voyons aussi, avant la parabole, comment Jésus refuse de s’engager dans une procédure judiciaire humaine. Quelqu’un lui demandait de jouer le rôle d’un arbitre dans une affaire d’héritage. Deux mille ans plus tard, les questions d’héritage ne sont pas toujours plus faciles !

J’attire un instant votre attention sur cette séquence qui précède la parabole. Car la mise au point effectuée par Jésus est toujours pertinente aujourd’hui. Cette leçon est double.

D’abord, elle concerne la mission de Jésus. Il est venu annoncer le Royaume, appeler à la conversion, prendre soin et guérir un certain nombre d’hommes et de femmes de son temps. Il est venu apporter la Bonne Nouvelle, celle de l’amour et du pardon de Dieu pour ses créatures. Ne confondons donc pas son rôle : la justice qu’il sert, c’est celle de Dieu, et non la nôtre.

Deuxième élément de la mise en garde. Quand nous voulons impliquer Jésus dans nos débats ou nos conflits, c’est toujours parce que nous pensons qu’il va nous donner raison, qu’il va être de notre côté. En fait, dans de telles situations, nous nous servons de Jésus au lieu de le servir. Nous nous plaçons à sa place. Quand nous argumentons à coup de versets bibliques, c’est la même chose : nous ne sommes plus dans l’écoute de la Parole de Dieu, mais dans son détournement, nous la réduisons à nos intérêts pour vaincre l’autre. La Parole de vie risque même de devenir outil pour faire taire l’autre !

Bref, Jésus n’est pas à notre disposition pour régler nos désaccords et nos différends, et il vaut mieux ne pas l’invoquer s’il s’agit d’avoir raison contre un autre. La justice dont il est le serviteur est d’un autre ordre.

L’affaire de l’héritage était une question terrestre, d’ordre matériel. Jésus profite de l’occasion pour pointer du doigt une des idoles les plus redoutables de l’humanité, celle de la richesse matérielle comme marque de la valeur de quelqu’un. La valeur de notre vie n’a pas de lien avec le niveau de nos richesses terrestres. Il faut donc se « garder de toute avidité ». Vous le savez, même dans les récits bibliques les plus anciens, l’être humain est confronté à ce désir d’accumuler des biens, ce qui lui procurerait un sentiment de sécurité. Cette envie n’est donc pas nouvelle. Mais depuis quelques décennies, notre société de consommation, armée de la publicité, a été d’une efficacité redoutable pour suggérer que notre réussite et donc notre valeur dépendent directement de ce que nous pouvons acheter. Les dégâts psychologiques, économiques, sociétaux et environnementaux sont considérables. Ils sont aussi spirituels, d’autant plus quand quelques-uns prêchent que la réussite économique est une marque du salut…

Jésus n’est pas un juge ou un argument dans nos affaires humaines. Il nous met en garde contre l’avidité, parfois nourrie de la convoitise, et qui est toujours trompeuse. S’il y a abondance, elle dépend de Dieu. Jésus va d’ailleurs enfoncer le clou avec une parabole, celle mettant en scène un homme riche, qu’il qualifie, à la fin, de déraisonnable. On sait que ses récoltes ont été abondantes, mais on ne sait pas pourquoi. Est-ce dû au travail et au talent de ce propriétaire ? Est-ce de la chance, car en agriculture, la compétence et l’effort peuvent être inutiles face à un terrain stérile, face à la sécheresse ou au contraire aux intempéries, face aux parasites et autres éléments qui peuvent s’en prendre à ce qui est cultivé ? Ici encore, Jésus ne vient pas nous rassurer sur notre sens de la justice : nous ne savons pas si celui qui reçoit beaucoup l’a mérité, s’il a bien travaillé pour cela… Décidément, Jésus ne peut pas être utilisé pour légitimer les différences ou les injustices dont nous sommes les témoins et parfois les bénéficiaires.

Dans la parabole, l’homme riche décide de détruire ses granges pour en bâtir de plus grandes, entreposer toutes ses richesses, puis « profiter de la vie ». C’est intéressant, car à la différence d’Harpagon, l’Avare de Molière, ou de Picsou, il ne s’agit pas d’amasser toujours plus de ressources, de les accumuler de façon addictive – car oui, il y a de la souffrance pathologique dans une telle attitude. Non, l’homme de la parabole semble capable de se satisfaire de ce qu’il a, capable de ne pas s’épuiser à gagner toujours plus, capable de prendre soin de lui en se servant de ce qui est à sa disposition. Pour cet homme, l’abondance d’aujourd’hui le libère de l’inquiétude pour demain. Ne pas se soucier du lendemain… Quelques versets plus loin (22-32), c’est ce que dira Jésus à ses disciples. Notre homme aurait-il tout compris ?

Demain, il vivra.

Vraiment ?

« Cette nuit même, ta vie te sera redemandée ! » Il semble bien que non seulement le héros de la parabole ne pourra pas profiter de ce qu’il avait récolté – ce qui est frustrant mais s’il doit mourir quelques heures plus tard, est-ce vraiment important ? Donc non seulement lui n’en bénéficiera pas, mais toutes ces richesses seraient perdues pour tout le monde. Comme si notre homme riche était en fait très pauvre en relations humaines, comme s’il n’avait ni famille, ni amis, qui pourraient hériter de ses ressources… Dans la bouche de Jésus, cet homme est toujours seul, il est même franchement solitaire. Nous l’oublions parfois, aujourd’hui aussi, les personnes les plus aisées dans nos sociétés souffrent aussi de relations superficielles voire de solitude.

Jésus suggère-t-il donc que l’homme aurait mieux valu cultiver ses relations avec d’autres plutôt que de vouloir profiter de la vie après avoir accumulé des récoltes ? Frères et sœurs, si Jésus, avant la parabole, condamne l’avidité, il m’est difficile d’être catégorique sur le problème qu’il veut montrer dans cette parabole de l’homme riche. Est-ce d’avoir accumulé ? Cela n’est pas dit. Est-ce de vouloir se reposer demain ? Là encore, j’en doute. Est-ce d’être seul ? Mais là non plus, l’histoire ne dit pas que cet homme a fait ce choix. Il faut la dernière phrase prononcée par Jésus dans notre passage pour y voir un peu plus clair, même si, comme pour toute parabole, les interprétations demeurent plurielles. Cette dernière phrase qui nomme l’enjeu, c’est celle-ci : « Ainsi en est-il de celui qui amasse des trésors pour lui-même et qui n’est pas riche pour Dieu. »

Riche pour Dieu. C’est maintenant devenu évident, être riche pour Dieu n’a rien à voir avec nos richesses dans ce monde, que nous les accumulions ou les gaspillons. Être riche pour Dieu, ce n’est pas faire preuve de mérite, ni de prévoyance. Si nous pouvons voir ce que ce n’est pas, l’évangile de Luc ne nous permet pourtant pas de savoir tout de suite ce que c’est que d’être riche pour Dieu. Quelques versets plus loin (33-34), Jésus en dira davantage : il rappelle les dons de Dieu et demande à ceux qui l’écoutent de vendre ou de donner leurs biens, par compassion. Être riche pour Dieu, peut-être est-ce partager aujourd’hui trésors et ressources dont nous disposons plus ou moins abondamment…

Pour ce dimanche, il nous était aussi proposé de lire un extrait de l’épître aux Colossiens, un extrait dans lequel l’auteur exhorte les croyants à « chercher les choses d’en haut », en opposant ces « choses d’en haut » avec « ce qui est sur la terre. » Il ne s’agit pas de gagner des points, de gagner la faveur de notre Seigneur, pour ce qui nous attend après la mort. Mais de participer, tout de suite, à l’avancement du Royaume, celui de Dieu. Ce Royaume n’a aucun sens pour moi seul, si je suis un individu isolé. Mais ce Royaume peut commencer aujourd’hui, si nous nous mettons au service de celle ou de celui qui est proche de nous, quand nous pratiquons l’amour du prochain. Serait donc riche aux yeux de Dieu celle ou celui qui a su se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu, et au service de l’Évangile et de son prochain.

Cette Parole nous rappelle que nous sommes dans l’abondance, malgré nos fins de mois difficiles, oui, nous sommes dans l’abondance par ce qui nous est donné. Écouter la Parole nous conduit donc à la reconnaissance. Cette Parole nous rappelle que la justice de Dieu n’a rien à voir avec notre compréhension de la rétribution, qu’elle est d’abord un amour qui pardonne, qui nous fait grâce de nos errements, qui nous libère de notre passé. Cette Parole nous rappelle aussi que nous ne sommes pas seuls, et que partages et services ne sont pas à remettre sans cesse au lendemain. Suis-je donc prêt à me mettre dès maintenant au service de celles et ceux qui sont près de moi ?

Jésus nous libère de nos comptabilités humaines à l’égard d’hier ou en prévision de demain. Il nous encourage à la reconnaissance, au partage et surtout au service. Au jour du jugement divin, c’est l’amour qui sera décisif. Maintenant, avec la construction du Royaume pour objectif, soyons dans la joie et l’espérance : par le Christ, nous avons déjà des trésors auprès de Dieu ! Amen.

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