Des larmes aux cris de joie

Culte du dimanche 27 mars 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : Psaume 126




Frères et sœurs en Christ,

« Nous étions comme des gens qui font un rêve. », voici l’une des premières affirmations du Psaume 126. Cette fois-ci, il s’agit d’un rêve au sens de ce que l’on espère et désire, tout en sachant qu’objectivement, cette situation rêvée est très éloignée de notre réalité immédiate. Ce n’est pas impossible, pas inaccessible, mais c’est peu probable… alors que nous y aspirons profondément ! « Nous étions comme des gens qui font un rêve. » Ce Psaume semble donc nous entraîner sur un terrain bien différent du Psaume 124, que nous avions lu et commenté dimanche dernier, un Psaume qui évoquait plutôt ce qui se passerait « sans le Seigneur ». Nous avions réfléchi autour de ces scénarios commençant par « et si… » et qui basculaient rapidement dans le cauchemar. Vous le voyez, dans ces Psaumes des montées que nous parcourons pendant ces dimanches du Carême, les pèlerins juifs qui sont en marche vers le sanctuaire de Jérusalem, ces pèlerins en plein cheminement spirituel traversent une grande diversité d’état d’esprit. Nous pouvons supposer sans trop de risque de nous tromper que Jésus et ses disciples, montant à Jérusalem pour la fête de la Pâque, avant la Croix puis le tombeau vide, Jésus et ses disciples ont récité ces prières, chanté ces psaumes…

« Nous étions comme des gens qui font un rêve. » Quelle est donc cette situation inespérée pour celles et ceux qui ont écrit puis repris ce texte ? Elle est suggérée en quelques mots : « Quand le Seigneur a rétabli Sion. » Quelques mots qui étaient transparents il y a deux mille ans, qui le sont peut-être moins pour nous aujourd’hui, et je vous propose une rapide révision de votre catéchisme – et de votre culture historique sur le Proche-Orient dans l’Antiquité – pour mieux comprendre de quoi il est question.

Dans la chronologie du Premier Testament, en partant de la Création, nous avons bien sûr Adam et Eve, Noé, Babel, Abraham, Isaac, Jacob. Quelques siècles plus tard, Moïse fait sortir d’Égypte les descendants de Jacob, devenus le peuple hébreu. Il y a l’Alliance et le don de la Loi, dont les Dix commandements, au Mont Sinaï, puis les quarante années au désert. Le peuple peut alors conquérir et s’installer dans la Terre promise. Il est accompagné par des juges, puis réclame un roi. Ce sera Saül, puis David, qui régnera depuis Jérusalem dans les années 1000 avant Jésus-Christ, et Salomon, qui construira le temple, lieu central de la religion juive. Mais le royaume se divise, avec Israël au Nord, et Juda au Sud, autour de Jérusalem. Les rois se succèdent, plus ou moins fidèles à la loi de Dieu. Mais le territoire reste à un carrefour entre de grandes puissances régionales, notamment l’Égypte au sud, mais aussi l’Assyrie, à l’est et au nord. Au septième siècle avant notre ère, l’empire assyrien justement décline, partagé entre les Mèdes et les Babyloniens. Ce sont ces derniers qui vont assiéger Jérusalem en -587, vaincre la ville et son royaume, et déporter la population à Babylone, alors dirigée par Nabuchodonosor II. La destruction de Jérusalem et de son temple, ainsi que l’exil, constituent une tragédie, un traumatisme considérable pour le peuple de Dieu, qui ressent probablement alors un profond désespoir.

C’est dans ce contexte terrible que la situation bascule, 50 ans plus tard, en -537. Les Perses viennent de vaincre Babylone. L’empereur perse Cyrus II n’a pas le même style de pouvoir que les Babyloniens. Il va permettre aux différents peuples rassemblés sous son autorité de jouir d’une certaine autonomie. Il va surtout autoriser une partie des populations déportées à rentrer de leur exil, à revenir sur leurs terres. Et le peuple hébreu est concerné. Oui, voici le rétablissement de Sion auquel le Psaume fait référence, ce retour espéré mais imprévu, qui leur donne l’impression d’être « comme des gens qui font un rêve. »

Cette expression suggère que le Psaume a été rédigé peu après ce retour sur la Terre promise. La joie domine, même s’il y a quelques réserves dont nous parlerons dans un instant. Il y a des rires, des cris de joie qui résonnent. Il y a aussi cette idée importante que c’est Dieu qui a agi : la bonne nouvelle n’est pas un hasard, une chance, un accident, elle n’est pas non plus le fruit des efforts des Israélites, qui, ils l’ont bien compris, auraient pu rester à Babylone pour toujours. Cette bonne nouvelle qu’ils célèbrent appartient à un projet global d’amour, à une promesse de fidélité et de bénédiction…

Plusieurs éléments nous font cependant comprendre que le retour n’est pas idyllique. La lecture d’autres livres bibliques bien sûr, mais aussi les recherches des archéologues, nous renseignent sur le sujet. Car en -587, quand Babylone avait vaincu Jérusalem, toute la population n’avait pas été exilée. Une petite partie était restée, les plus pauvres, les plus faibles. Pendant un demi-siècle, comme d’autres peuples voisins, ils ont pris la place de ceux qui avaient été déportés. Ils ne voient pas pourquoi ils devraient abandonner ce qui était devenu leur propriété en faveur de ceux qui avaient vécu pendant plusieurs décennies à l’étranger… Il y a donc ceux qui sont restés sur le territoire d’Israël et de Juda. Mais il y a aussi ceux qui sont restés à Babylone, et qui soit n’ont pas pu rentrer, soit ne l’ont pas voulu, ce qui là aussi peut se comprendre, car certains s’étaient sûrement installés et avaient pu construire des situations intéressantes tout en étant en exil. Bref, ceux qui rentrent sont confrontés à ceux qui ne sont pas partis, ils regrettent aussi de ne pas être accompagnés de ceux qui ne rentrent pas, et ils doivent entamer une reconstruction de ce qui avait été détruit. Le retour n’est pas complet, la libération est bien engagée mais pas encore achevée. Le retour n’empêche pas les larmes, et c’est une façon de comprendre les pleurs de celui qui part pour semer.

En effet, le Psaume se poursuit avec cette image agricole : celui qui part en pleurant est chargé de semences ; à son retour, ce sera un moissonneur criant de joie pour l’abondance des gerbes récoltées. L’ensemencement, accompagné de larmes, mais aussi d’espérance, correspond peut-être au présent de celui qui prie, alors que le retour des moissons appartient peut-être à l’avenir. Autrement dit, rentrant d’exil, le peuple n’oublie pas qu’il reste en partie dispersé, mais il prépare et espère un rétablissement complet, qui sera même commenté par les nations, c’est-à-dire les autres peuples. C’est pourquoi le Psaume souligne que le dénouement heureux des épreuves vient de Dieu : attribuer cette délivrance au Seigneur, c’est bien sûr lui dire merci, mais c’est aussi un témoignage pour celles et ceux qui doutaient de son existence, de sa volonté, de sa capacité à faire évoluer voire à faire basculer une situation dramatique.

Ce rétablissement complet et entier est un vrai motif d’espérance, car le retour partiel d’exil, nous l’avons dit, a été comme une surprise extraordinaire pour les croyants. Mais ce retour partiel rappelle bien sûr d’autres délivrances extraordinaires, et en particulier l’Exode, la sortie de l’esclavage en Égypte et l’Alliance qui s’en est suivie. Oui, Dieu a déjà libéré son peuple dans le passé pour lui donner la Terre promise ; récemment, c’est le Perse Cyrus II qui est l’instrument de la volonté de Dieu en autorisant ce début de retour. Ce sont des raisons très sérieuses d’espérer une réunion et une réconciliation complètes, peut-être même au-delà du seul peuple élu… Il y a déjà eu plusieurs délivrances, d’autres sont donc possibles !

La joie de la liberté retrouvée est ainsi doublée de la perspective d’une joie encore plus grande, cette joie ultime et parfaite d’un temps proche de nous mais pas encore accompli. La joie et les larmes d’aujourd’hui permettent de semer avec confiance, les récoltes de demain seront abondantes.

Nous aussi, nous sommes dans cette situation si particulière du « déjà » et « pas encore ». Comme nos ancêtres juifs dans la foi, nous sommes les héritiers de cette sortie de l’esclavage, ainsi que de ce retour dans un lieu où nous pouvons vivre librement et dignement. Mais en plus d’eux, nous sommes au bénéfice de la venue du Sauveur, de la victoire de Jésus sur le péché et sur la mort, de la réconciliation pleinement accomplie entre Dieu et celles et ceux qui reconnaissent le Christ. Et nous sommes nous aussi dans l’attente, non plus du Messie, mais de son retour. Nous sommes également sur le seuil du Royaume, dans l’espérance d’y vivre enfin.

Nous sommes donc nous aussi dans cette joie de ce qui nous a déjà été donné, et qui est considérable, qui est au-delà de ce que nous pouvions rêver, qui est au-delà de ce dont nous avons besoin. Nous sommes aussi dans la perspective de cette joie ultime du Royaume. Nous sommes, bien sûr, dans les larmes de nos aujourd’hui sur cette Terre, avec leurs violences, leur injustices, leurs souffrances. Oui, nos aujourd’hui débordent de larmes. Mais nous sommes aussi en capacité de semer, dans la confiance des promesses qui nous ont été faites, dans l’espérance de ces récoltes et du rétablissement ultime de la Création souhaitée par Dieu pour notre bonheur et le sien. Entendons donc cet appel à la reconnaissance, mais aussi à avancer dans notre mission de semer l’Évangile autour de nous. N’attendons pas la fin de la tristesse ou des difficultés pour nous engager dans le monde, auprès de ceux qui nous sont proches : car c’est en préparant l’avenir avec confiance, avec ce qui nous a déjà été donné, que nous participons à l’advenue de la joie pleine et entière qui nous est promise. Amen.

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