Culte du dimanche 20 mars 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique : Psaume 124
Frères et sœurs en Christ,
Le Psaume 122 exprime la joie du pèlerin et la nécessité de prier pour la paix. Le Psaume 133 discuté lors du culte-débat parle de la fraternité idéale autour de certains éléments du pèlerinage, autour du culte rendu au temple de Jérusalem. Les Psaumes 123 et 121, commentés dimanche dernier, évoquent les regards levés, soit pour guetter le danger, soit dans l’attente du Sauveur venu du ciel. Nous continuons notre parcours de Carême à travers les quinze Psaumes des montées, autant de textes qui nous mettent en relation avec les Juifs se rendant à Jérusalem pour prendre soin de leur relation avec Dieu, autant de prières qui sont vraisemblablement aussi sorties de la bouche de Jésus et de celles de ses disciples avant ce que nous appelons la Semaine Sainte. Aujourd’hui, nous nous arrêtons sur le Psaume 124. Lui aussi est assez court, huit versets, huit versets seulement dans lesquels nous pouvons distinguer deux parties. Tout d’abord, jusqu’au verset 5 inclus, le scénario du pire, si Dieu n’était pas intervenu. Et, dans un deuxième temps, la gratitude car il y a eu délivrance, le Seigneur continue à agir en faveur de sa Création.
Les auteurs du Psaume commencent en effet celui-ci en envisageant que Dieu ait abandonné son peuple. Vous savez, c’est ce raisonnement que nous avons aussi quand nous nous demandons « et si ? » « et si je n’avais pas dit cela ? » « et si j’avais agi ainsi ? » Nous sommes dans le conditionnel, l’hypothétique, l’imaginaire ; dans quelque chose qui n’a pas lieu en ce moment, parce que ce qui a été posé dans le passé, proche ou lointain, ne le permet pas. Hier aurait pu conduire à d’autres aujourd’hui. Attention, ce raisonnement est différent de celui qui consiste à se demander quels demains pourraient survenir en fonction de notre présent ou de ce qui peut advenir dans quelques minutes. Nous reparlerons tout à l’heure de ces hypothèses sur le futur.
Pour l’instant, et en suivant le Psaume, il s’agit, vous l’avez compris, de constater qu’aujourd’hui aurait pu être différent. Parfois, il nous arrive de regretter des décisions prises auparavant, car nous pensons maintenant que si nous avions effectué un autre choix, nous serions plus heureux. C’est vrai en particulier quand nous pensons à nos relations, à celles qui ont connu des jours meilleurs et qui aujourd’hui sont dégradées ou brisées… Pendant nos cultes, nous prenons un temps pour exprimer notre repentance, justement pour ce que nous aurions aimé avoir fait autrement, mais en exprimant surtout notre regret pour celles et ceux qui, autour de nous, ont été victimes de ces erreurs. Oui, les questions qui commencent par « et si… » et qui portent sur nos choix vont beaucoup appartenir au registre des regrets. Mais ce n’est pas ce « et si… » que posent celles et ceux qui énoncent ce Psaume 124. Leur « et si… » imagine quelque chose qui n’a pas dépendu d’eux. « Et si… Dieu n’avait pas été pour nous ? » Ce genre d’interrogations peut donner le vertige, car notre imagination se prend à explorer l’univers du pire, un univers terrifiant, un univers nourri par l’immensité des cauchemars que notre inconscient peut produire. Il nous faudra nous demander quel effet ces questions en « et si… » ont sur nos chemins spirituels…
Dans le Psaume, en tous cas, cette question « et si… Dieu n’était pas intervenu » suscite des images fortes chez celles et ceux qui l’envisagent. Le contexte est celui d’autres êtres humains qui se dressent contre le peuple. J’insiste, ce sont des humains qui s’opposent à d’autres êtres humains, suggérant une relative égalité dans l’identité des adversaires… mais l’affrontement évité, grâce à Dieu, cet affrontement aurait été apparemment profondément inégal, disproportionné. Le peuple aurait été « englouti tout vivant », et le terme de colère est associé à l’idée d’un feu dévorant. Après le feu, ce sont les eaux qui auraient emportés les fidèles, image doublée par l’expression du « torrent » qui « submerge », image triplée même par encore une autre expression, celle des « flots impétueux ». Les ennemis sont aussi comparés à des bêtes sauvages, à des fauves aux dents dévastatrices. Enfin, il est fait mention à deux reprises à un « filet », évoquant un piège fatal aux oiseaux ou aux autres proies… « Et si, donc, le Seigneur n’avait pas été pour nous », et tout à coup, le désespoir apparaît comme inévitable, définitif. L’adversaire prend des proportions effrayantes, le mal triomphe. Se poser la question de la non-intervention de Dieu, de son indifférence ou de son absence, n’est pas une démarche sans risques pour la personne croyante, car elle implique de laisser libre court à ses plus grandes peurs, elle implique de relire les épreuves surmontées comme des fins de parcours…
Mais se demander aussi ce qui aurait pu évoluer bien plus mal que cela n’a été le cas nous permet de nous rendre compte que le pire n’a pas eu lieu. Oui, si ce que nous avions redouté hier ne s’est pas concrétisé, alors nous pouvons éprouver du soulagement, parfois teinté de la persistance de la menace. Soulagement, et bien sûr reconnaissance. Car oui, pour les pèlerins prononçant le Psaume 124, le pire n’a pas eu lieu. Il y a eu délivrance, et ce sauvetage, cette libération, ont une origine bien identifiée : le Seigneur. C’est l’élément qui distingue les scénarios du pire qui n’ont pas été joués, du présent. C’est la « variable » qui change tout. Le Seigneur a empêché le triomphe de l’ennemi, la victoire du mal, et l’âme du peuple a échappé au piège. Ce n’est pas l’humain qui a réussi à s’enfuir, mais c’est Dieu qui a ouvert l’opportunité, c’est Dieu qui a ouvert la porte, qu’il s’agisse des mailles du filet, de la mer bloquant le peuple en marche vers la liberté, de la porte de la geôle, ou de la pierre du tombeau. Même s’il n’est pas fait une mention explicite de l’Exode dans le Psaume, il est très probable que pour les Juifs, la délivrance du piège évoque la sortie d’Égypte. Cela évoque aussi toutes ces périodes d’exil ou de dispersion, avec les paroles des prophètes qui réinterprètent une telle catastrophe comme la conséquence d’une absence de repentance du peuple ; il s’est éloigné du chemin recommandé par Dieu, et assume les suites de ce choix répété. Les prophètes, alors, rappellent que Dieu ne s’est pas détourné de ceux qu’il avait choisi, et qu’il leur avait fait des promesses, promesses qu’il a déjà tenu et qu’il tiendra encore. Le désespoir et la peur sont des pièges dont le Seigneur veut faire échapper ses créatures. Pour les chrétiens, la délivrance du piège évoque la victoire du Christ sur la mort et sur notre péché.
Vous le savez, l’Exode, avec la sortie d’Égypte, a donné lieu à la fête de la Pâque juive, appelée en hébreu Pessah, le passage. Commémorer cet épisode est fondamental pour le peuple juif, parce qu’il a échappé à la mort, parce que son existence a été renouvelée. Pour nous chrétiens, Pâques correspond en plus à la Passion du Christ, à sa mort en croix, et à sa résurrection, ces événements à la lumière desquels tout a changé dans notre relation avec Dieu. Ces fêtes sont capitales. Il s’agit à la fois de se souvenir, d’exprimer notre reconnaissance, et de témoigner. Dans le Psaume, comme dans d’autres qui appartiennent à ce recueil des Psaumes des montées, il y a cette injonction : « Qu’Israël le dise ! ». Oui, la délivrance a été vécue, expérimentée, de façon singulière, mais il est très important qu’elle soit partagée collectivement. Le secours n’a qu’une origine, qu’une cause, et cela doit être proclamé, pour dire merci, pour nourrir notre foi.
Faisons le point. Nous sommes partis de cette question « Et si… » qui relit le passé, et les chemins qui n’ont pas été empruntés, avec, pour ce qui dépend de nous, d’éventuels regrets, une repentance possible. Pour ce qui ne dépend pas de nous, pour ce qui relève de forces comme celles du Seigneur d’un côté, et celles de la mort de l’autre, le jeu du « et si… » bascule rapidement dans des considérations paranoïaques et cauchemardesques. Mais justement, ce n’est pas la réalité. Celle-ci reste marquée par les souffrances, les angoisses et les épreuves. Pourtant, le pire reste à distance. Nous le croyons, comme celles et ceux qui priaient ce Psaume, le Seigneur est présent, il est affecté par ce qui nous blesse, il nous propose de prendre notre croix sur lui. Et cette conviction nous fait du bien, elle est bénédiction, et elle mérite d’être partagée.
Avant de finir, et comme annoncé, que se passe-t-il quand nous jouons au jeu du « et si… », non pas en changeant le passé pour un autre présent, mais en imaginant d’autres futurs, d’autres « à venir » ?
Là aussi, nous pouvons envisager les progrès des forces de mort. Nouveau variant du Covid, épidémie de grippe, guerre en Ukraine qui dégénère encore en se généralisant ou par un surcroît d’atrocités, multiplication des catastrophes liées au changement climatique, aggravation de la crise démocratique… Nous ne manquons pas de sujets extérieurs pour craindre des souffrances. Sans compter notre propre situation, notre état de santé ou celui de nos proches…
Mais justement, parce que nous nous retrouvons ensemble, ce matin dans ce temple, c’est parce que nous croyons que Dieu est du côté de la vie, et parce que nous croyons aussi qu’il a besoin de nous pour que le Royaume que nous désirons puisse être toujours plus proche, plus accessible… Oui, le Seigneur, incarné dans la réalité de notre condition humaine, notre Seigneur nous a donné la capacité de rêver, et je pense même qu’il nous encourage à le faire. J’ai parlé des prophètes tout à l’heure : leurs visions du règne de paix sont bienfaisantes ! Quant aux paraboles de Jésus pour nous faire discerner les contours du Royaume, ne sont-elles pas aussi réjouissantes ? Que dire aussi de ces discours que nous admirons toujours, plus de cinquante ans après, comme le « I have a dream » du pasteur Martin Luther King Jr ?
Oui, « et si… demain était plus proche du Royaume qu’aujourd’hui ? » « Et si… nous étions plus nombreux ? » « Et s’il… y avait davantage de jeunes dans nos églises ? » « Et si… nous osions davantage communiquer notre espérance à celles et ceux qui sont nos prochains ? » Nous pouvons nous poser ces questions et d’autres encore, non pas en regrettant ce qu’il aurait fallu faire autrement hier, mais en cherchant à construire avec la prière et avec l’aide de l’Esprit ce qui nous semble correspondre à la volonté de vie du Seigneur. « Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre. » Oui, le Dieu de la Création, le Dieu de la vie, est avec nous. Il nous libère des pièges de la peur. Il nous a délivré des prisons de notre passé, il nous accompagne aujourd’hui, et il nous invite à marcher avec confiance vers demain. Amen.