Des pèlerins priant pour la paix

Culte du dimanche 6 mars 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : Psaume 122




Chers amis,

Nous ne sommes pas des habitués des pèlerinages. En tant que protestants, nous affirmons qu’il n’y a pas de lieux plus sacrés que d’autres, et donc nous ne pensons pas que de nous rendre dans un endroit en particulier nous permettra de progresser dans notre foi. Il y a quand même l’exception de ces espaces où nous nous rassemblons pour commémorer les années du Désert ; en nous plaçant dans les mêmes forêts que celles et ceux qui persévèrent dans leur foi malgré les persécutions, nous accordons à ces endroits une valeur symbolique singulière, nous nous souvenons aussi du courage de ces anciens et nous y puisons peut-être davantage de ferveur.

La Réformation a marqué une rupture forte avec la pratique des pèlerinages. En effet, jusqu’alors, et c’est encore le cas pour les catholiques, le pèlerinage appartient au registre des pratiques religieuses, avec plusieurs objectifs : atteindre un lieu particulier, où certaines choses seraient possibles alors qu’elles ne le seraient pas ailleurs. Et, deuxième objectif, cheminer, en articulant dans un temps donné mais assez significatif, en articulant un effort physique avec une certaine discipline spirituelle. Aujourd’hui, certains lieux de pèlerinages catholiques attirent aussi des hommes et des femmes d’autres confessions voire des non-croyants. Les motivations sont multiples, par exemple pour se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle. Et puis, d’autres religions érigent le pèlerinage comme important, je pense notamment à l’islam.

Mais avant l’islam et avant le christianisme et plus particulièrement le catholicisme, les Juifs ont été des pèlerins. Oui, il fallait se rendre au sanctuaire, pour offrir des sacrifices et célébrer des fêtes importantes. Sur les chemins, qu’ils partent des villages assez proches de Jérusalem ou de territoires où ils avaient été dispersés, les Juifs étaient déjà en prière. Une quinzaine des Psaumes sur les 150 du Psautier sont d’ailleurs rassemblés comme les « Psaumes des montées », c’est-à-dire de la montée en procession vers Jérusalem. Et dans ces Psaumes, qui vont nous accompagner jusqu’au dimanche des Rameaux, plusieurs tonalités peuvent être distinguées. Il y a des prières qui s’élèvent face au danger, supposé ou réel. Il y a le souvenir des œuvres du Dieu Sauveur. Il y a des louanges pour les bienfaits. Il y a aussi quelques principes de sagesse. Aujourd’hui, avec le Psaume 122, il est question de se réjouir d’aller à Jérusalem, et de prier pour la ville – et ce qu’elle représente.

Tout commence en effet avec la joie du croyant qui est invité, alors qu’il est chez lui, à se mettre en route. « Allons à la maison du Seigneur ! » Oui, la destination semble engageante, et dès le départ, le fidèle n’est plus seul, il appartient à un collectif. En ce début de Carême, en commençant à penser à la fête de Pâques, regardons autour de nous : nous sommes plusieurs à nous être engagés sur le chemin, et pas de doute, on se sent plus forts, on se sent mieux rien qu’en nous trouvant dans une communauté en mouvement, orientée dans la même direction.

Mais le Psaume saute les étapes, et voici le pèlerin et ses compagnons de route aux portes de Jérusalem. Monte alors l’expression de leur admiration. Même s’il est difficile d’être catégorique sur le sens de ces phrases en hébreu, il semble que l’unité, la cohérence, la solidité de la ville sont constatées et contemplées. Mais l’architecture n’est pas la seule cause d’émerveillement ; Jérusalem, en tant que capitale de la Terre Promise, en tant que lieu saint pour les douze tribus, Jérusalem symbolise aussi l’unité du peuple de Dieu. Il est question de trônes à partir desquels la justice est rendue, au nom de Dieu : nous le savons, nos sociétés ont besoin d’instances de médiation pour préserver, justement, ce qui nous unit. Jugements des humains, jugement aussi de Dieu, avec les autels des sacrifices prévus pour demander pardon et obtenir la réconciliation. A l’arrivée de leurs chemins spirituels, les Juifs perçoivent qu’ils sont un peuple, divers (les douze tribus), mais aimé par le même Dieu qui leur confère souffle de vie, stabilité et justice. En tant que chrétiens, nous sommes sans aucun doute, par le Christ, les co-héritiers de ces merveilles.

Le Psaume se poursuit avec une invitation à prier pour Jérusalem. Dans les traductions, il est difficile de rendre la sonorité de la langue, mais il y a ici une phrase en hébreu qui multiplie les assonances : cha’alû chelôm yeruchâlâim yichlâyû… On reconnaît shalom, la paix, et Jérusalem, avec des racines proches, et il y a de la musique dans les mots employés. Au-delà de la musique, c’est une prière pour la paix, mot qui revient quatre fois en quatre versets, et la tranquillité, deux fois. A priori, quand les pèlerins se sont mis en route et quand ils sont parvenus à destination, la ville sainte n’est ni attaquée ni menacée. Mais le peuple juif a toujours su que la paix était fragile. Même dans ce qui est considéré comme l’âge d’or, avec les règnes de David et Salomon, même pendant ces quelques décennies, les périodes sans combats sont rares. Nous-mêmes, nous le savons, nous avons étudié l’histoire et nous avons appris que pour nombre de nos ancêtres, la guerre, plus ou moins directe, était une réalité, et la paix durable l’exception. Malheureusement, et alors qu’un certain nombre d’éléments ont été patiemment élaborés pour prévenir les horreurs du passé, nous (re-)prenons conscience que décidément, la violence menace toujours. Nous redécouvrons que la paix est un sujet permanent de prière.

Mais que veut dire prier pour la paix ? On pourrait poser la même question pour la justice ou d’autres sujets de prière. Cela signifie d’abord que la paix est un projet, quelque chose que l’on recherche, que l’on désire. Cela signifie aussi que nous ne pouvons pas parvenir à cet objectif en comptant sur nos seules forces, sur notre seule volonté ; par la prière, nous pouvons demander à Dieu ce qui nous manque dans ce qui dépend de nous, comme la patience, la lucidité, un esprit de responsabilité, une capacité à pardonner, voire à faire confiance… Et suite logique de ce qui précède, prier pour la paix nous rappelle que la paix est une grâce qui nous est faite, un mystère entre les efforts qu’il nous est donné de faire, et les cœurs changés par le Saint-Esprit.

Revenons à nos psaumes des montées. Je doute qu’aujourd’hui, nous nous définissions spontanément comme des pèlerins. D’ailleurs, si nous nous rendions actuellement à Jérusalem ou en Terre Sainte, il n’est pas certain que l’exploitation des lieux présumés d’un certain nombre d’événements racontés dans nos Bibles contribue à ce que nous avancions dans nos cheminements spirituels. Je viens de parler de « cheminement spirituel », car en effet, nous avons probablement conscience que notre foi est un processus, une dynamique, ce n’est ni un état statique ni une identité. En fait, nous ne nous considérons pas comme des pèlerins parce que nous n’avons pas de destinations terrestres pour parler de pèlerinage. Mais pourtant, nous sommes en chemin. En ce début de Carême, bien sûr, nous marchons vers Pâques, ce mystère à nouveau, ce mystère d’une exécution injustifiée et humiliante qui ouvre paradoxalement la voie à la vie triomphante. Plus généralement, ne sommes-nous pas aussi en mouvement vers le Royaume ? Dans le Premier Testament, le Sauveur attendu était aussi qualifié de Prince de la paix ; et dans les Évangiles, nous disposons de nombreuses paraboles racontées par Jésus pour nous faire percevoir ce Royaume, qui s’est approché avec lui, le Christ, Royaume qui nous est promis et que nous sommes invités à co-construire. En priant et en œuvrant pour la paix, nous prenons part à ce Royaume. Peut-être pouvons-nous nous penser, comme les milliers de chrétiens qui se rassemblent dans le village et les rassemblements de Taizé, nous penser comme des pèlerins de la confiance sur la terre…

Pour résumer, nous sommes donc bien des pèlerins. La destination de notre pèlerinage n’est pas un ailleurs avec des coordonnées GPS, mais un Royaume pour aujourd’hui et demain, pour ici et là-bas. Nous sommes en chemin, certainement, parce que la foi est un mouvement, une dynamique ; d’ailleurs, en tant que disciples, ne dit-on pas que nous suivons le Christ, qui s’est montré très souvent en marche en déplacement ? Le Carême nous rappelle que Jésus était en pèlerinage à Jérusalem pour la Pâque qui allait tout changer. Il a sûrement prié et chanté les « Psaumes des montées » avec ceux qui l’accompagnaient. Faisons donc nôtres ces textes, exprimons notre joie d’aller à la maison du Seigneur, et demandons à Dieu de nous aider à construire la paix. Amen.

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