Libre comme le prophète ?

Culte du dimanche 30 janvier 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique : Jérémie 1,4-19




Chers amis,

Chaque année, pendant quelques heures au mois de juin, encouragés par les médias, un certain nombre de personnes vivant en France esquissent un début de réflexion philosophique. Oui, le jour de l’épreuve de philosophie du baccalauréat général, en plus de tous les candidats à ce diplôme, les sujets de cette épreuve sont évoqués à la radio, à la télé… Vous le savez, le baccalauréat a subi d’innombrables réformes, et d’autres le modifieront encore. Pourtant, l’épreuve écrite de philosophie est relativement préservée, justement parce qu’elle constitue l’un des rares « rites de passage » de nos sociétés fragmentées. Sur le site Internet du ministère de l’Éducation nationale, on parle même d’une institution de la République. Je le disais, au mois de juin, pendant quelques instants, beaucoup se laissent interpeller par un sujet qui appelle un type de raisonnement que la plupart d’entre nous ne pratiquons pas au quotidien. Parmi les notions-clés qu’il est fréquent de proposer à la réflexion, il y a celle de liberté. Premier terme de la devise républicaine, quête ultime de l’individu moderne et même post-moderne, la liberté est connotée très positivement. La liberté, c’est bien, c’est même le meilleur, pensons-nous facilement.

Dans le domaine de la foi, la liberté est aussi un thème central. Le judaïsme ne serait pas né sans le récit de la sortie d’Égypte, de la libération de l’esclavage. Côté christianisme, le ministère et les paroles de Jésus ont dénoué des situations d’emprise, elles ont subverti des structures de servitude. Oui, la Parole de Dieu est claire : Dieu souhaite que l’être humain soit libre. Mais la Parole de Dieu ne s’arrête pas là, elle propose d’aller plus loin dans la réflexion. Faut-il que nous disposions d’une liberté absolue ? Nous n’avons pas besoin de beaucoup de temps pour nous rendre compte que la liberté absolue est tout simplement impossible. En effet, nous vivons avec d’autres, nous sommes inter-dépendants, et la liberté de l’un va vite entrer en contact avec la liberté de l’autre ; et si l’un n’est pas l’égal de l’autre, la liberté du premier ou du second sera limitée. Oui, par principe, la liberté connaît des limites. Sur le plan moral aussi, il apparaît rapidement que la liberté absolue est dangereuse : pour celles et ceux qui sont moins forts, mais aussi pour les plus forts, qui pourraient imposer leur liberté en écrasant les autres. C’est l’une des raisons pour lesquelles peu de temps après sa sortie de l’esclavage, le peuple hébreu reçoit les Dix Paroles, les dix meilleures façons pour que la liberté nouvellement acquise ne devienne pas un piège. C’est aussi la raison pour laquelle, sans nous imposer une nouvelle Loi, le Christ a rappelé et montré l’exemple du commandement d’amour. Ces quelques points rappelés, intéressons-nous au texte du livre de Jérémie, le début de ce livre, que nous avons entendu.

En effet, ces versets du premier chapitre peuvent être parcourus avec cette problématique de la liberté. Liberté des auditeurs du prophète, d’abord. Mais aussi liberté du prophète, de Jérémie lui-même. Et donc notre liberté, nous qui sommes à la fois au bénéfice des paroles du prophète, mais aussi des témoins de la Parole de Dieu dans une société dans laquelle la foi est devenue minoritaire.

Jérémie est appelé à devenir prophète, à porter la parole du Seigneur. Nous reviendrons dans un instant sur sa liberté à l’égard de cette mission qui lui est confiée. Comme beaucoup d’autres prophètes, Jérémie va adresser un message de la part de Dieu à ses compatriotes. On nous dit même : aux nations, aux royaumes, plus largement. Et ce message a un objectif : provoquer un changement de comportement et d’état d’esprit. Il s’agit que le peuple de Dieu renonce à ses idoles. Oh, ces idoles ne sont pas que des statues de pierre façonnées de la main de l’homme. La richesse, la puissance, la célébrité, sont elles aussi des idoles, plus discrètes mais infiniment plus sournoises et surtout toujours actuelles. Le prophète doit rappeler à chacune et à chacun que de telles idoles sont vaines, qu’elles sont dangereuses, qu’elles asservissent. Mais Dieu propose toujours une porte de sortie, une délivrance, si l’on prend la décision de se tourner vers lui. La mission du prophète est donc de répéter à l’être humain qu’il peut faire un choix. S’il ne change pas, s’il ne cherche pas Dieu, il sera déçu, et surtout, son illusion de liberté ne conduira pas à davantage de vie, mais à une mort sans lendemain. Mais si l’humain change, s’il se détourne de sa prétention et se confie à l’Éternel, alors, il sera possible de bâtir et de planter, alors la liberté, une autre liberté que la première, la liberté sera celle de la vie. Depuis la Genèse en effet, Dieu ne cesse de venir à notre rencontre pour nous proposer de choisir. Notre choix est libre, même si, avec un peu de lucidité, le chemin avec Dieu se révèle rapidement le meilleur. En fait, il ne s’agit pas tant de choisir le bon itinéraire, que d’avancer avec le bon compagnon… Si nous partons sur un mauvais chemin, un carrefour nous sera toujours ouvert pour revenir sur un autre.

Faire route avec Dieu peut s’avérer exigeant. Je veux maintenant m’intéresser à la situation de Jérémie dans ce chapitre, dans lequel Dieu l’envoie en mission. Et ces versets nous invitent à repenser la notion de liberté dans la foi.

En effet, les premières phrases de notre passage peuvent être entendues de deux façons opposées : Dieu affirme qu’il a choisi Jérémie avant même qu’il ne soit dans le ventre de sa mère. Parole qui dit à la fois une relation d’amour et de tendresse, une bénédiction en quelque sorte, car Jérémie fait partie de la volonté de Dieu, son existence a été souhaitée. Mais parole qui dit aussi que Dieu sait tout de lui, qu’il a des projets pour lui, et cela nous pose, évidemment, la question de la liberté de Jérémie. Il y a quelques siècles, on s’interrogeait sur une idée assez proche finalement, celle de la prédestination. Au fond, si Dieu a des projets pour nous, s’il sait tout, sommes-nous vraiment libres ?

Jérémie répond d’abord à l’appel qui lui est fait en argumentant sur sa jeunesse : pourra-t-il être un bon porte-parole ? Dieu refuse cette objection (et je veux bien croire qu’il rejetterait aussi celle de ceux qui diraient : « je suis trop âgé »). Dieu déclare à Jérémie qu’il ne fera que dire ce qu’il lui ordonnera. Et il reprend pour cela une expression qui avait été annoncée quand le peuple était dans le désert, avant d’entrer dans la Terre promise, en Deutéronome 18. Dieu prévoyait déjà des successeurs à Moïse, successeurs à qui il mettrait ses paroles dans leur bouche et que ces successeurs diraient tout ce que le Seigneur leur ordonnera. A nouveau donc, la liberté future de Jérémie semble très réduite, si il ne fait que répéter des mots que Dieu lui a donné.

Le Seigneur accorde deux visions au jeune homme. Dans la première, il voit une branche d’amandier. C’est l’arbre qui fleurit en premier au printemps. On peut en déduire deux messages : le prophète, comme l’amandier, est porteur d’espérance, il annonce le printemps c’est l’avant-garde d’une bonne nouvelle. Le deuxième message est explicite dans notre texte, c’est Dieu qui souligne sa fidélité et la fiabilité de ses promesses : ce qu’il annonce, il l’accomplit.

Après la vision de l’amandier, la deuxième est moins agréable : il s’agit d’une marmite bouillonnante venant du Nord, symbolisant la destruction que les ennemis de Juda pourraient apporter. Mais rappelez-vous, le prophète n’annonce pas de mauvaises nouvelles en soi, il présente, de la part de Dieu, les conséquences des choix que nous faisons. Jérémie est néanmoins chargé d’une mission exposée, car dans toute l’histoire de l’humanité, on a eu tendance à en vouloir au messager, surtout quand le message est critique et consiste en fait à une remise en cause. Notre extrait s’achève sans que Jérémie n’ait formellement accepté sa mission, mais le Seigneur a multiplié les paroles d’encouragement : Jérémie ne sera pas seul ; et il ne sera pas écrasé.

« Ils ne l’emporteront pas sur toi, car je suis avec toi – déclaration du Seigneur – pour te délivrer. »

Nous trouvons des parties de cette phrase plusieurs fois dans le texte.

Et nous, croyants dans un monde de moins en moins chrétien, quels sont les choix qui s’ouvrent à nous ? Il y a ceux qui sont semblables à ceux des interlocuteurs de Jérémie : essayer de nous détourner de nos idoles pour nous remettre avec confiance entre les mains de Dieu. Notre liberté ici est réelle. Mais elle est éclairée par la Parole de Dieu. Et se pose alors cette question : avons-nous, nous aussi, une mission semblable à celle du prophète ? N’avons-nous pas à éclairer les choix possibles ? Oh, non pas pour priver les autres de leur liberté, mais bien, au contraire, pour qu’ils puissent l’exercer en connaissance de cause. Il ne s’agit peut-être pas de promouvoir un chemin en particulier, qu’il s’agisse de politique, de modèle économique, de choix sur des questions de société. Il s’agit peut-être de rendre possible un débat, de permettre à notre société de dialoguer en vérité sur ce que nous pouvons souhaiter, ensemble et interdépendants, il s’agit peut-être de proposer un accompagnement bienveillant…

Chers amis, Dieu nous veut libres, devant lui et devant nos frères et sœurs en humanité. Mais je crois aussi que son amour pour sa Création, son amour pour nous, pour vous, pour moi, cet amour m’engage à être, où je suis, un porte-parole, un témoin courageux. Pour que la liberté reste ou devienne une bénédiction, n’avons-nous pas une responsabilité à assumer ? Comme Jérémie, comme d’autres ont aussi exprimé avec justesse cette question de la liberté du chrétien – je pense en particulier à l’apôtre Paul bien sûr, mais aussi au Réformateur Martin Luther – acceptons librement d’obéir, de prononcer les paroles que Dieu met dans notre bouche. Car cette mission, si elle n’est pas sans épreuves, est celle pour laquelle Dieu nous accompagne. Amen.

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