Une question de regard

Culte du dimanche 2 janvier 2022
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique: Matthieu 2,1-12




Bien-aimés en Christ,

A Noël, nous avons suivi le groupe des bergers à travers la Bible, avec l’étape à Bethléem rapportée par l’évangéliste Luc. Aujourd’hui, nous voici avec les mages, ces sages, ces savants venus d’Orient, avec les nombreux mystères qui les entourent. Qui étaient-ils ? Quel était leur nombre, comment s’appelaient-ils ? Dans les écrits des chrétiens des premiers siècles, les quelques éléments que Matthieu nous transmet ont été enrichis par la tradition et des réponses ont été suggérées pour certaines de ces questions. Aujourd’hui, nous nous demandons rarement à quelle religion ces personnages se référaient. Il semble très probable qu’il ne s’agissait pas de Juifs, ce qui est intéressant à plusieurs titres. Tout d’abord, cela est un signe que le Messie annoncé au peuple hébreu n’allait pas lui être exclusivement réservé, ce que la suite nous montrera. Mais c’est également intéressant, car cela nous interpelle sur la curiosité qui a été la leur avant qu’ils ne quittent leur pays pour entreprendre ce voyage qui les conduira jusqu’à Bethléem en passant par Jérusalem. Lors de cette étape dans la capitale judéenne, les mages disent qu’ils savent, sans que l’on sache comment, que l’étoile observée annonçait la naissance du roi des Juifs. Peut-être avaient-ils lu la Bible juive, la Torah. En effet, dans le livre des Nombres, le prophète Balaam avait dit :

«  Je le vois, mais non maintenant, Je le contemple, mais non de près.
Un astre sort de Jacob, Un sceptre s’élève d’Israël. »

Nombres 24,17

Oui, une étoile devait s’élever de la descendance de Jacob pour indiquer l’arrivée d’un roi pour Israël…

Nous n’avons donc pas beaucoup de certitudes sur cette séquence des mages à Bethléem, mais ce récit pose néanmoins quelques éléments qui se déploieront plus tard dans le ministère de Jésus. J’ai déjà mentionné l’ouverture de la Bonne nouvelle au-delà du judaïsme ; les mages suggèrent un salut ouvert à toutes et tous. Avec Hérode, nous avons aussi un premier indice des résistances que la venue du Christ va susciter. Quand les responsables religieux répondent au roi Hérode qu’un roi des Juifs viendrait de Bethléem, ils s’appuient sur une citation du prophète Michée ; et ils nous montrent ainsi que pour comprendre Jésus, il est utile voire nécessaire de se référer au Premier Testament. Vous savez aussi que les cadeaux offerts sont symboliques. L’or indique la royauté, l’encens la divinité, la myrrhe la mort et l’ensevelissement, étapes décisives pour l’événement de Pâques.

D’un côté les prophètes, de l’autre un ministère, une mort et une résurrection encore à venir… Ce début d’évangile est un peu comme un début d’année ; nous avons en mémoire l’année écoulée, avec les bilans et autres rétrospectives, et nous avons aussi des vœux et des projets pour les mois à venir. Regards vers hier, regards vers demain… Oui, je vous propose de commenter cet épisode de la visite des mages avec cette notion de regard.

Car rien n’aurait eu lieu, rien ne se serait produit si les mages n’avaient pas observé le ciel ! Cela semble une évidence, et pourtant, c’est fondamental ! Qu’ils aient été des astronomes chevronnés ou de simples amateurs, ces hommes ont regardé les étoiles. Il est certain qu’à l’époque, il n’y avait pas la gêne de la pollution lumineuse de nos villes… mais il n’y avait pas non plus d’instruments d’optique ! Mais pourquoi regardaient-ils le ciel ? Pendant des millénaires, celles et ceux qui devaient se déplacer, dans le désert ou sur les mers, pilotes de caravanes ou de navires, consultaient les étoiles pour connaître leur position et s’orienter. De même, l’observation des cieux est précieuse pour les agriculteurs ou ceux dont l’activité dépend des conditions météorologiques. Faut-il semer ou moissonner demain ? Temps sec ou pluie, cela peut faire des différences importantes ! D’autres pouvaient aussi chercher dans le ciel des signes pour prendre d’autres décisions, ce que prétendent faire celles et ceux qui consultent des horoscopes ou des astrologues, aujourd’hui encore ! Observer le ciel peut donc participer d’une démarche très pratique, utilitaire.

Mais nous pouvons aussi lever nos yeux vers le haut avec des motivations moins « productives ». Toutes et tous, il nous est arrivé d’admirer les étoiles. Oui, le ciel se contemple. Et dans ce mouvement, nous glissons facilement dans la réflexion, la méditation… Nous prenons alors une leçon d’humilité, de décentrement : dans un univers aussi vaste, nous ne sommes que peu de chose, et certainement pas le centre ! Les mages étaient-ils des sages parce qu’ils avaient conscience de leur place dans l’univers ? C’est une hypothèse à considérer… Même sans étoile, il est bon que l’humain regarde le ciel, antidote à son orgueil, mais aussi comme opportunité de replacer les difficultés de son quotidien dans une perspective plus vaste. Je l’ai dit, s’ils n’avaient pas observé les étoiles, les mages n’auraient pas eu connaissance de ce signe d’un événement important, qui allait en effet bouleverser de nombreuses vies, probablement les leurs, mais aussi les relations entre Dieu et l’humanité…

Après avoir vu cette étoile, peut-être après avoir lu dans la Torah qu’elle devait annoncer l’arrivée du roi des Juifs, ces à priori non-Juifs se sont mis en route. Et nous nous trouvons là aussi devant une énigme : pourquoi ont-ils voulu voir ce roi promis pour un peuple qui n’était pas le leur ? Pourquoi la destination indiquée par cette étoile est-elle devenue pour eux un objectif ? Mystère… Mais en ce début d’année, nous peinons à faire des projets tant les 24 derniers mois nous ont rappelé la fragilité de nos prévisions. De son côté, notre Église est engagée au niveau national dans une réflexion complexe sur sa mission, et à notre échelle locale, il nous est difficile de définir des priorités ou de prendre des orientations. Dans un tel contexte, je vois dans cette étoile qui suscite le déplacement des mages un cadeau très précieux. Oui, les mages ne savent pas exactement où l’étoile les mènera, mais ils ont une direction à suivre. Je prie pour qu’en cette année 2022, nous puissions nous aussi lever les yeux : je prie que nous trouvions l’étoile que Dieu fait briller pour nous indiquer notre chemin !

Les mages arrivent à Jérusalem. Ils recherchent des renseignements pour poursuivre leur itinéraire et arriver à destination. Ils font aussi part de leurs intentions : ils veulent adorer le roi des Juifs « qui vient de naître ». Oui, ils veulent témoigner de leur respect et de leur reconnaissance, peut-être même de leur confiance envers un nouveau-né. Un jeune enfant, pas de leur peuple… Le regard vers le ciel doit conduire à regarder et à honorer l’autre, plus faible que soi, différent de soi. S’il nous faut lever les yeux pour discerner certains signes, Dieu orientera ensuite nos regards vers le bas, vers notre prochain qui est son visage pour nous, chaque jour.

Notons qu’à Jérusalem, Hérode vit, lui, une autre expérience. Bien que soumis aux Romains, il est le roi, il a du pouvoir et il regarde les Juifs, ses compatriotes, ses coreligionnaires, comme ses sujets. Il est probable qu’il ne regarde pas trop le ciel. La visite des sages ne lui fait pas lever le regard ; au contraire, il contemple son pouvoir et craint de le perdre. C’est l’opposé des mages…

Hérode consulte les sacrificateurs et les scribes, et ceux-ci, comme je le mentionnais tout à l’heure, vont répondre à sa question en retournant aux Écritures. Dans ce chapitre 2 de l’évangile de Matthieu, ces responsables religieux sont troublés, comme tous les habitants de Jérusalem, mais leur regard sur les événements semble assez neutre. Ils ne se sentent pas – encore – menacés par Jésus. Mais je me demande s’ils n’avaient pas, eux, renoncés à attendre et à accueillir le Messie promis par les prophètes… Peut-être se suffisaient-ils à eux-mêmes. En tous cas, ils n’ont pas vu l’étoile comme les hommes venus d’Orient l’ont comprise.

Mais revenons aux sages. Après leur étape pour prendre des renseignements à Jérusalem, ils retrouvent leur étoile et Matthieu précise qu’« ils sont remplis d’une très grande joie en la voyant. » L’étoile a d’abord provoqué en eux l’urgence de partir de chez eux pour en savoir plus ; l’étoile suscite ensuite en eux une joie exceptionnelle ; et enfin l’étoile les guide jusqu’à leur but. A Bethléem, ils vont baisser les yeux vers un tout-petit qui vient renouveler radicalement la relation entre Dieu et l’humanité, rien que cela…

Au final, c’est l’histoire d’une rencontre extraordinaire, une rencontre qui n’aurait pas eu lieu sans ces regards, vers le ciel, vers les Écritures, vers le plus petit. Regarder la Création, regarder les Écritures, regarder l’autre. Contempler, se mettre en route, être en quête, se réjouir, adorer. En ce début d’année, que Dieu oriente nos regards. Qu’il les détourne de nos egos, qu’il les oriente vers le ciel quand nous sommes bloqués dans nos préoccupations, et qu’il les oriente vers nos frères et sœurs en humanité quand nous nous croyons seuls.

Que Dieu nous donne de percevoir notre place dans sa Création, que son étoile nous guide pour l’adorer en nous mettant au service de celui qui est faible. Amen.

Contact