Depuis les marges, au-delà des obstacles : la Bonne Nouvelle

Culte du dimanche 5 décembre 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen

Texte biblique: Luc 3,1-6




Frères et sœurs,

Il peut arriver que dans nos discussions, nous parlions de « marges ». A l’école, sur une feuille ou un cahier, la « marge » est l’espace réservé à l’enseignant. Un trait rouge marque la frontière ; de l’autre côté, c’est l’espace où l’enfant écrit. Sur tous nos documents imprimés, il s’agit de savoir combien de centimètres seront laissés vierge de tout signe. On pense à l’éventuelle reliure de différents feuillets, on pense au confort de la personne lectrice, on pense à l’esthétique, mais on pense aussi à la planète, car des marges plus réduites permettent d’économiser du papier sur des longs documents. Au synode régional de notre Église, il y a quelques semaines, certains échanges ont concerné le mouvement missionnaire de l’Église ; et dans ce cas, nos pensées dessinent bien souvent un mouvement, une dynamique, qui part d’un centre pour aller vers les périphéries, les seuils, les marges, bref, cette zone de rencontre entre l’intérieur et l’extérieur.

Mais cela ne concerne pas seulement notre compréhension de la mission de l’Église. Nous raisonnons bien souvent avec des schémas distinguant centre et marges, et dans ces schémas, le centre est le cœur : oui, le centre est le lieu d’origine, le moteur, ce qui est le plus précieux, le plus pur, alors que la périphérie est plutôt à conquérir, à maîtriser, à apprivoiser, à exploiter peut-être, à filtrer… Nous le savons, par rapport à d’autres pays, notamment l’Allemagne, la France est un pays centralisé, « jacobin » comme on le dit parfois.

Chaque année, pendant le temps de l’Avent et de Noël, nous répétons que la naissance de Jésus a constitué une surprise. Le Sauveur promis et annoncé venait. Bien sûr, il était attendu – il avait été promis. Mais peu avaient imaginé qu’il prendrait les traits d’un être humain ordinaire et donc pour commencer d’un nourrisson. Non, ce n’était pas un être surnaturel faisant irruption à Jérusalem avec des puissances capables de mettre un terme à toutes les oppressions étrangères, mais un bébé, fragile, à Bethléem…

Aujourd’hui, nous ne parlons pas de cette naissance, mais du ministère de Jean. Avant cela, l’évangéliste Luc nous renseigne avec précision sur les détenteurs des différents pouvoirs, qu’il s’agisse de l’empereur à Rome, des gouverneurs et monarques dans les capitales de plusieurs provinces romaines, ainsi que ceux qui détiennent le pouvoir religieux au Temple de Jérusalem. Luc nous montre ainsi que ce qu’il raconte a eu lieu dans un contexte historique bien identifié, dans un monde qui es décrit comme nous pourrions décrire le nôtre aujourd’hui. Oui, c’est bien dans cette réalité très tangible que l’histoire de la relation entre Dieu et l’humanité va connaître un nouveau chapitre, décisif. Mais l’évangéliste, consciemment ou non, attire notre attention sur les lieux habituels où l’histoire s’écrit d’habitude : dans les capitales, les palais, les hauts lieux religieux… Il entretient donc notre tendance à croire que le centre est prioritaire, qu’il a davantage de valeur que les autres espaces. Quand Luc annonce « la parole de Dieu parvint à Jean », les surprises sont donc nombreuses. Qui est ce Jean ? Nous savons du premier chapitre de Luc qu’il est le fils de Zacharie, un prêtre officiant à Jérusalem et que Dieu trouvait juste, qualité rare ! Mais Zacharie était un prêtre parmi d’autres, en tous cas pas le plus important ni le plus prestigieux d’entre eux. Et Luc nous précise où se trouve Jean quand la parole de Dieu lui parvient : au désert, c’est-à-dire à l’opposé des lieux de pouvoir et d’influence. Oui, c’est à Jean, un quasi-anonyme, vivant dans le désert, c’est-à-dire aux marges même des espaces habitables, de la civilisation, c’est à lui que Dieu va parler pour devenir le dernier prophète avant le Messie. C’est ce qui vient de la marge qui va être le plus important…

Frères et sœurs, cela est aussi vrai en Église, cela est vrai aussi pour nous : c’est de l’extérieur de nos communautés que la Bonne Nouvelle nous rejoint. Quand nous réfléchissons à la mission de l’Église ou à l’évangélisation, souvent, nous nous demandons comment apporter ce que nous avons à d’autres qui sont hors de nos murs. Peut-être serait-il temps, et cela nous demande déjà des efforts considérables, peut-être serait-il temps d’aller à la rencontre de celles et ceux qui ne sont pas dans nos murs, mais bien pour nous laisser évangéliser par eux, pour nous laisser transformer par ce que Dieu produit en eux… Oui, retenons déjà cette première idée : la Parole de Dieu nous attend peut-être davantage dans nos activités, dans nos relations quotidiennes, que le dimanche matin, que même pendant cette prédication ! En tous cas, soyons attentifs à cette Parole là où nous aurions tendance à la penser absente : car c’est sûrement dans ces apparents déserts qu’elle va nous atteindre de façon plus précise.

Au désert, Jean appelle celles et ceux qui l’entendent à changer radicalement de vie, et à manifester cette décision en recevant le baptême, en traversant les eaux du Jourdain. Ce baptême est symbole de la mort d’une vie ancienne, le symbole d’une nouvelle naissance, le symbole d’un processus de purification. La mission de Jean le Baptiste prend sa source dans une prophétie d’Ésaïe, que l’évangéliste Luc nous rapporte. C’est sur cette citation un peu adaptée d’Ésaïe 40 que je vous propose de passer quelques instants maintenant.

En effet, tant dans le Premier Testament que sous la plume de Luc, il est intéressant d’étudier qui fait quoi. Nous avons la voix qui crie dans le désert. Cette voix lance des ordres : préparez, rendez droits. A qui s’adresse cette voix ? On peut supposer que ces impératifs ont pour destinataires les hommes et les femmes qui les entendent ; les contemporains des prophètes Ésaïe et Jean, mais aussi tous les croyants à travers les siècles. Préparer et rendre droit le chemin que nous empruntons pour aller vers Dieu, voici le changement radical qui est demandé. Il s’agit non pas d’obtenir ou de gagner le pardon de Dieu, mais de nous préparer à le recevoir. Mais cette préparation, encore une fois, qui doit l’effectuer ? Est-ce une démarche individuelle et personnelle ? C’est sûrement notre première hypothèse, dans nos sociétés marquées par un fort individualisme.

Il y a deux mille ans et davantage, l’appel était peut-être entendu, aussi, plus collectivement, comme adressé à un groupe, à un peuple entier. Pourtant, hier comme aujourd’hui, il n’y a pas de geste collectif pour rendre visible cette réorientation des comportements et des états d’esprit, il n’y a pas de baptêmes de groupe. Et s’il faut attendre que le collectif, que le groupe se repente, eh bien le changement risque de tarder voire de ne jamais survenir. Nous pouvons nous en rendre compte par exemple quand il est question de bouleverser profondément nos modes de vie pour moins consommer et pour permettre à notre planète de rester suffisamment hospitalière pour les jeunes générations d’aujourd’hui et celles qui les suivront. Oui, si tous sont appelés à changer, il vaudrait mieux ne pas attendre que les autres bougent pour commencer… Commençons par ce qui est à notre portée, commençons par nous-mêmes. Chaque femme, chaque homme, est invité à entrer dans une démarche volontaire, consciente, de changement, pour se préparer à la venue du Sauveur.

Mais Luc, en citant le prophète Ésaïe, évoque aussi des vallées comblées, des collines et même des montagnes abaissées, des chemins rendus moins sinueux et moins accidentés… Et là, il ne s’agit pas d’impératifs destinés à des individus ou à des groupes, mais des futurs au passif. Vous le savez, dans la Bible, très souvent, le passif est théologique, il désigne ce que Dieu prend en charge. Oui, tous ces gros œuvres décrits par le prophète Ésaïe et associés au ministère de Jean Baptiste, tous ces gros œuvres ne dépendent pas de nous, et c’est une bonne nouvelle ! Jésus, dans son ministère, nous rappellera à quel point la réconciliation avec Dieu nous est offerte, indépendamment de nos mérites. Nous n’avons pas à faire des sacrifices, dans tous les sens du terme, pour que le pardon de Dieu nous atteigne. C’est Dieu qui fait tout le chemin, c’est lui qui fait disparaître les obstacles et qui nous sort des gouffres dans lesquels nous pouvons nous trouver. Nous, nous n’avons qu’à nous tenir prêts pour le recevoir et l’accueillir.

Reprenons donc : Jean annonce que le chemin de la réconciliation entre Dieu et son peuple, entre Dieu et chaque être humain, ce chemin va être emprunté prochainement. Il nous invite à nous préparer, en orientant différemment nos regards. Il nous invite à chercher la Parole de Dieu là où nous ne la cherchons pas d’habitude. Dieu s’occupera du reste : aucun obstacle ne s’opposera à son amour pour nous. Changer de regard et accueillir le Sauveur, voilà ce qui dépend de nous. Et la conclusion de notre texte rappelle que l’accomplissement des promesses sera une bénédiction universelle : « Tous verront le salut de Dieu. » Amen.

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