Culte du dimanche 7 novembre 2021
Prédication par le pasteur David Veldhuizen
Texte biblique: Marc 12,38-44
Chers amis,
Comme tous les évangélistes, Marc ne se contente pas de raconter les gestes de Jésus, et de nous rapporter ses paroles. L’auteur de l’évangile propose à celle ou celui qui l’entend un chemin. Ce chemin commence par un appel ; il passe par plusieurs étapes ; puis il arrive au bouleversement de Pâques, qui renouvelle radicalement notre relation avec Dieu et renouvelle aussi notre identité devant nos contemporains ; mais le chemin ne s’arrête pas là et se poursuit, par nos vies en plénitude, par nos vies ouvertes sur l’éternité.
Alors que nous arrivons bientôt à la fin de l’année liturgique, qui, je vous le rappelle, commence le premier dimanche de l’Avent, nous arrivons aussi dans les dernières pages de l’évangile de Marc. Nous accompagnons Jésus vers la croix… mais l’évangéliste jalonne aussi notre itinéraire pour devenir croyant, pour devenir disciple, pour confesser le Christ comme notre référence pour nos choix importants et nos choix du quotidien.
Dans le mouvement qui aboutit à la croix, il y a cette tension, cette hostilité qui grandit ; les opposants de Jésus se succèdent et tentent de le piéger en l’interrogeant sur de nombreuses polémiques de leur temps. Mais aucun de ces groupes d’adversaires n’atteint l’objectif. Jésus n’est pas dupe, et bien souvent, le piège va se retourner contre ceux qui l’ont posé. Dans la première partie du passage que nous venons de lire, Jésus met en garde ceux qui l’écoutent : en matière de religion aussi, il faut se méfier des apparences, ou, pour le dire avec un autre dicton populaire, l’habit ne fait pas le moine ! En effet, alors qu’il se trouve avec ses disciples à Jérusalem, près du Temple, le lieu par excellence de la foi du peuple hébreu, Jésus montre une réalité qui existait avant, et qui s’observe encore aujourd’hui : un certain nombre d’humains se glorifient de leur pratique religieuse. Les sacrifices offerts devant toute une assistance, les longues prières visibles, les vêtements utilisés comme preuves ostentatoires de leur piété, cela n’est qu’apparence, et même danger : car alors, la relation à Dieu peut être détournée, manipulée, pervertie pour mépriser l’autre, pour affaiblir ou écraser son prochain. Pendant son ministère, ni Jésus ni les disciples n’ont été des exemples de piété si cette dernière est comprise comme une accumulation d’actes rituels, de gestes publics de dévotion. Mais Jésus a montré un autre exemple, celui de la rencontre, celui du service, celui de l’amour qui, comme nous l’avons vu la semaine dernière, n’est pas un sentiment d’affection mais un comportement pour que notre prochain s’épanouisse. Quelques jours avant Pâques, mais sa mise en garde est en fait éternelle, Jésus prévient ceux qui sont en chemin vers Dieu : ne suivez pas ceux qui se prétendent religieux mais sont surtout orgueilleux et injustes ; suivez plutôt les humbles.
La deuxième partie du passage, dans laquelle Jésus observe l’offrande des riches et l’offrande de la veuve pauvre, cette deuxième partie constitue en fait un jalon de plus sur le chemin pour suivre Jésus, pour devenir à notre tour des disciples.
Quelques chapitres auparavant, il y avait eu cet échange entre Jésus et l’homme riche, qui ne venait pas avec de mauvaises intentions. Cet homme connaissait les commandements et semblait les respecter sincèrement, en particulier en ce qui concerne les meilleures façons que Dieu nous propose pour être en relation les uns avec les autres. Marc nous dit que « Jésus le regarda et l’aima. » Il l’appelle alors à vendre tout ce qu’il avait, à le donner aux pauvres, et à le suivre. Vous vous en souvenez, l’homme s’en va, tristement. Visiblement, il ne peut pas s’engager à ce moment sur cette nouvelle étape du chemin.
Peu après, c’est l’aveugle Bartimée qui entend Jésus approcher et qui cherche à le rencontrer. Après quelques péripéties, après, surtout, un appel, Bartimée se lève et jette une de ses rares possessions, une des rares marques de son identité d’être humain : son manteau. Jésus lui demande ce qu’il peut faire pour lui, et après avoir entendu la réponse de Bartimée, il dit : « Va, ta foi t’a sauvé ». Et nous apprenons alors que l’aveugle a retrouvé la vue et surtout, qu’il « se mit à le suivre sur le chemin. »
Arrivé à Jérusalem, nouvelle rencontre, qui évoque un peu celle avec l’homme riche. Cette fois-ci, il s’agit d’un scribe, d’un spécialiste des Écritures. C’est ce dont nous avons parlé dimanche dernier. Ce théologien, ce religieux professionnel est lui aussi en recherche, et il interroge le prédicateur itinérant et à succès qu’est Jésus : « Quel est le plus grand commandement ? » L’amour de Dieu, c’est-à-dire l’écoute et la place qu’on lui laisse dans nos vies, et l’amour du prochain, à nouveau cette dynamique de permettre son épanouissement, constituent les réponses de Jésus. Le scribe est d’accord et il complète en reprenant d’autres textes du Premier Testament : « c’est plus que tous les sacrifices. » « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu », conclut Jésus.
Aujourd’hui, c’est une veuve pauvre, donc quelqu’un en situation de complète dépendance envers les autres puisqu’elle n’a plus son mari et puisqu’elle manque d’argent, c’est une veuve pauvre qui est montrée en exemple. Qu’a-t-elle fait ? Eh bien un geste économiquement fou, un geste que nous qualifierons volontiers d’irrationnel : elle a donné le peu qu’elle avait en offrande. Imaginez la polémique que nous aurions aujourd’hui de la part de nombreux politiciens en quête de notoriété si une personne touchant un revenu minimal le donnait intégralement à une œuvre religieuse ou solidaire ! C’est ce que fait cette femme… En fait, elle accepte complètement la situation qui est la sienne : elle dépend des autres, elle dépend de Dieu, et ce, pour tout, y compris pour ce qui est vital. Mais les riches qui ne partagent que leur superflu, et nous-mêmes aujourd’hui, nous aussi, nous sommes complètement dépendants les uns des autres, complètement dépendants de ce que Dieu nous donne. Souvent, nous nous berçons d’illusions. Au fond, et c’est aussi pour cela que Jésus nous montre cette femme en exemple, au fond, nous sommes dans la même situation qu’elle. Si nous acceptions cette situation, si nous nous débarrassions de notre souci de paraître, alors peut-être que nous pourrions parvenir à cette nouvelle étape…
Dernier jalon avant l’incroyable confession de foi du centurion – un étranger, un oppresseur ! – au pied de la croix, c’est le geste là aussi complètement fou de la femme qui verse sur la tête de Jésus un parfum de grand prix. Encore une fois, économiquement, c’est une aberration, que les disciples relèvent. Mais Jésus sait, l’évangéliste avec lui et nous avec eux, qu’elle ne fait finalement qu’anticiper les soins qui devraient être effectués pour une personne morte. Symboliquement, cette femme incarne l’humanité qui prend soin de la personne que cette même humanité va mettre à mort. Symboliquement, cette femme incarne le bien qui n’est pas emporté par le mal absolu. Et Jésus ajoute : « partout où la bonne nouvelle sera proclamée dans le monde entier, on racontera aussi, en mémoire de cette femme, ce qu’elle a fait ».
Remarquez, frères et sœurs, que la femme qui a oint Jésus de parfum, dont nous ne savons pas grand-chose, et la veuve pauvre qui donne son offrande au Temple, et dont nous ne savons rien non plus, ces deux anonymes ont accompli des gestes qui, deux mille ans après, sont toujours des exemples pour nous. Remarquez que ces gestes fous bousculent encore aujourd’hui nos façons de raisonner. Remarquez comment Jésus a transformé ces anecdotes en leçons radicales et intemporelles, ces femmes ignorées et probablement méprisées en maîtresses spirituelles pour l’humanité ! Quelle bonne nouvelle pour nous qui pensons ne pas être grand-chose ! Non, ce ne sont pas les apparences de piété qui comptent, mais la justice et l’amour dont nous faisons preuve, la confiance que nous osons.
Je pense bien sûr qu’aucun de nous ne cherche à devenir un modèle de foi qui suscite l’admiration ; nous sommes plutôt en quête de ce qui nous fera avancer sur le chemin sur lequel nous sommes appelés. Et ce matin, nous entendons à nouveau que nous devons être extrêmement lucides avec toutes les logiques d’accumulation, qu’il s’agisse de richesses matérielles ou de rites religieux. Car bien souvent, l’accumulation se fait aux dépens de notre prochain. Au contraire, pour avancer, il nous est demandé d’accepter notre dépouillement et nos interdépendances. Il nous est demandé de faire le choix du partage et donc de la sobriété. Ce chemin de vérité devient chemin de bénédiction quand nous osons, à chaque pas, la rencontre, le service et l’amour. Amen.